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compositions architecturales assez semblables à
celles qu’obtient le bambin qui a reçu, à la fin de
l’an, une boîte de construction?
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A ce point de vue, les nombreuses publications
d’architecture ont rendu de mauvais services, parce
que ceux qui les ont consultées sans prudence et
sans clairvoyance se sont faits, involontairement je
le veux bien, de vulgaires plagiaires. Tel motif,
bretèque, lucarne, cadre de fenêtre, portail, etc., a
plu; la mémoire en a reçu l’empreinte, photogra-
phique en quelque sorte, et, malgré l’esprit et l’ima-
gination auquel il doit être soumis, l’œil, dans
l’étude qui surgit sur le papier, recherche cette
forme, cette silhouette aimée.
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Dans nos études nourrissons-nous de faits, faisons
ample provision de combinaisons et de détails, bien
plutôt en en recherchant la raison d’être qu’en nous
préoccupant de retenir le linéament de l’applica-
tion que nous avons rencontrée.
Nous devons nous armer avec d’autant plus de
soin que la lutte est plus difficile et ne point perdre
de vue le rôle que l’art architectural a rempli dans
le passé avec tant de grandeur et de majesté.
Le passé est pour nous rempli de grandes et
précieuses leçons. N’est-ce pas au moment où la
philosophie atteint les régions les plus élevées et les
plus sereines, en même temps que se produit dans
l’esprit humain une profonde révolution, que l’art
grec atteint sa plus éclatante, sa plus radieuse
puissance d’expression? N’est-ce pas lorsque Rome,
riche des dépouilles du monde connu, atteint un
haut degré de civilisation, que l’art architectural
élève dans la ville, aujourd’hui vingt-six fois sécu-
laire, les plus admirables édifices.
En Occident, dans nos contrées, n’est-ce pas sous
l’influence du génie, civilisateur autant que guer-
rier, de Charlemagne qu’éclot cet art roman qui
se transforme peu après en même temps que la
pensée humaine prend une direction nouvelle?
Dès le XVe siècle, l’esprit humain s’afiranchit.
Ce mouvement, qui date du XIIIe siècle en Italie,
vint modifier profondément l’art architectural et,
en même temps que la pensée humaine dans sa
manifestation la plus noble, la philosophie, jette un
regard vers l'antiquité et que, profondément trou-
blée par la hardiesse même de la révolution qui se
produit, elle cherche dans le passé des points de
repère et des exemples pour se guider, l’art archi-
tectural suit le même mouvement; d’instinct, il sent
que pour être l’émanation vraie de la civilisation
nouvelle, il lui faut se transformer encore et sans
retard.
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L’invention de l’imprimerie vint à cette époque
entraver l'effort qui se produisait dans le sens d’une
rénovation ou plutôt d une révolution qui eut, sans
doute, été plus profonde sans cette découverte. La
pensée humaine avait trouvé un moyen de se per-
pétuer, non seulement plus durable et plus résis-
tant, mais encore plus simple, plus facile et plus
rapide. Elle avait trouvé ce moyen encore de
s’étendre, de se propager, alors que dans le passé
elle s’était forcément trouvée localisée.
Et immédiatement la légende brutale des âges pri-
mitifs se transforme; il fallait sculpter ces figures gros-
sièrement ébauchées qui n’inspiraient plus que du
mépris. Le Demi, l’Arioste et le Tasse accomplirent
cette transformation en littérature à une époque
qui correspond exactement à la révolution archi-
tecturale laquelle amena l'art gracieux, élégant
et délicat de la renaissance italienne.
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Tout est dans tout, a-t-on dit, et nous pourrions
ajouter, tout est dans l’architecture : mœurs, esprit,
caractère et tendances. Rappelez-vous l’art sombre
du moyen âge, époque de la pensée asservie; l’art
puissant, énergique des palais de Florence, véri-
tables citadelles d’une cité sans cesse réveillée par
le bruit des armes. Comparez-y l’art de la Renais-
sance, gai, sautillant, fantaisiste; l’art grave,
maniéré dans sa préoccupation d’être noble, de
l’époque de Louis XIV; puis immédiatement, cet
art badin, léger, froufrou du temps de Louis XV
que nous n’employons plus guère que pour la
décoration des boudoirs; enfin, cette architecture
Louis XVI qui fait un puissant effort vers le
sérieux et la simplicité, qui l’atteint quelquefois,
mais le plus souvent retombe dans la mignardise et
la frivolité, et dont le seul esprit paraît avoir été la
recherche de la grâce élégante jusqu’à la légèreté.
Vain effort, le mal dont souffrait la pensée
humaine avait frappé l’art. Le chaos était là,
régnant en maître et, comme la politique, l’art était
sans direction, cherchant, aspirant vers une voie
nouvelle. Aussi cet art tomba en même temps que
la royauté laissait échapper le sceptre sous l’effort
puissant du soulèvement de la pensée humaine.
En littérature, le madrigal et l’élégie ont fait
place à l’ode et à la satire, et bientôt tout disparaît
dans l’effroyable tourbillon de la révolution la plus
grandiose, la plus terrible qui ait ébranlé notre
vieux monde.
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Avec le calme l’art reprend bientôt ses droits, et
bientôt, en architecture, nous voyons reparaître,
pour forme nouvelle, une forme de la plus haute
antiquité.
C’est ce que l’on a appelé l’art du premier empire,
bien inexactement. Et je m’étonne que jamais l’on
n’ait relevé cette erreur manifeste.
Sans doute le nom vrai qu’il eût fallu lui donner
effrayait bien des gens; il y avait un puissant
intérêt à démarquer tout ce qui pouvait rappeler la
tourmente de 1789 à 1793. Nous n’avons pas ce
souci ; nous n’en avons d’autre que celui de la vérité
absolue, toujours et quand même.
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A la fin du règne de Louis XVI, le puissant
mouvement intellectuel qui s’était produit sous
l’impulsion de Voltaire, de Rousseau et de Diderot
et dont l’un des monuments les plus remarquables
est YEncyclopédie française, ce mouvement avait
atteint son apogée. Parti des esprits les plus élevés,
il s’était répandu dans les masses et avait pénétré
les couches les plus humbles de la société.
Les écrits du temps, sous toutes les formes
qu’emploie la pensée humaine pour se manifester
dans les lettres, travaillaient à la rénovation de
l’homme; un souffle ardent, continuateur de celui
du XVIe siècle arrêté par la réaction qui le suivit
immédiatement, échauffait les cœurs et enflammait
la parole brûlante des orateurs du tiers-Etat au
sein de la Convention.
Tous les discours respiraient une mâle énergie, et
c’est dans l’antiquité la plus reculée que les âmes,
ardentes et généreuses, cherchaient des situations
et des exemples propres à cette époque grandiose
qui devait se terminer dans une tragédie dont
l'histoire de l’humanité n’avait pas encore offert
d’exemple.
Comme l’éloquence et la poésie, l’art fit un brus-
que retour vers l’antiquité; la mythologie et l’his-
toire grecques inspirèrent les peintres autant que
les poètes, David au même titre que Byron.
Au même moment ces populations helléniques se
soulevèrent contre le joug des Turcs et un vif cou-
rant de sympathie pour les populations malheu-
reuses et héroïques se manifesta dans tout l’Occi-
dent.
C’est de cet ensemble de circonstances qu’est
sortie la rénovation de l’art grec, qui se continua
pendant une bonne partie du premier empire.
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Mais cette rénovation, pas plus que celle de la
Renaissance, ne devait donner un résultat dans l’art
architectural.
Il y a là un fait digne d’attention et auquel nous
nous arrêterons pour l’examiner dans notre qua-
trième et dernier article. E. Allard.
HOTEL DE VILLE DE BRUXELLES
Rectification
Dans une précédente étude sur l’Exposition nationale
d’Architecturc, en parlant de la section rétrospective, nous
avons dit que les gravures exposées ne nous apprenaient pas
grand’chose quant à la question controversée de l’existence ou
de la non-existence, dans l’œuvre primitive, des deux penden-
tifs remplaçant les colonnes à droite et à gauche de l’escalier
des Lions de l’hôtel de ville de Bruxelles.
Monsieur l’architecte Jamar a bien voulu nous donner quel-
ques éclaircissements à ce sujet.
Dans l’ouvrage d’Eric Puteani, la planche 124 qui donne
la vue d’ensemble de l’hôtel de ville et la planche pages
128-129 des Délices du Brabant, indiquent parfaitement les
culs-de-lampe.
Lorsqu’il a été question de la restauration de cette partie de
la galerie de droite, des discussions furent soulevées au sein
ces commissions du Conseil communal. 11 fut décidé que l’on
prendrait l’avis de M. Viollet-le-Duc.
Le savant auteur du Dictionnaire raisonné de l’architecture
du ixe au xve siècle, dans une note datée du 22 août 1866,
conclut d’une faç»n formelle à la reconstruction sur culs-de-
lampe des deux arcs latéraux de l’escalier des Lions. Il
déclare que ce n’est pas un exemple unique, que d’ailleurs, il
convient de s’arrêter à la gravure de Callot.
Ce qui vient de confirmer les suppositions de M. l’architecte
Jamar quant à l’existence originelle des culs-de-lampe, c’est
que, en 1867, en démolissant pour la reconstruire cette
partie de la bretèque, on découvrit un ouvrage de fers carrés
combinés, suspendant les culs-de-lampe qui reçoivent les
retombées de l’arc.
Ce que nous avions dit pouvait faire naître un doute que
nous avons tenu à prévenir en publiant cette note.
Allard.
La Maison du Roi à Bruxelles.
Nous extrayons du Cahier d’explications du projet de budget
de la ville de Bruxelles pour 1883 les renseignements qui
suivent sur la Maison du Roi et sur la restauration des mai-
sons de la Grand’Place.
Pour la Maison du Roi, le Cahier d’explications a produit
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la notice suivante, rédigée par les soins de M. Wauters, archi-
viste de la ville :
« L’édifice appelé la Maison du Roi, parce que plusieurs
cours subalternes dépendant de l’ancien domaine du souverain
y tenaient leurs séances, ou Maison du Pain (Broodthuis),
parce que l’on en employait jadis une partie comme halle au
pain, constitue, sans contestation, l’un des plus beaux spéci-
mens qui existent de l’architecture ogivale-llamboyante ou de
la dernière époque.
« L’ornementation en est à la fois élégante et variée, sans
tomber dans les défauts que l’on a mainte fois reprochés aux
constructions du même temps : le manque de goût dans la
forme, l’abus des détails architectoniques.
« Lorsqu’elle sera achevée, la Maison du Roi formera, avec
l’hôtel-de-ville et les anciennnes maisons des métiers, un en-
semble de constructions du plus haut intérêt, tel que peu de
villes au monde peuvent en offrir.
« Quoique appartenant jadis au domaine, c’est par les soins
de la ville que l’édifice a été construit, au moyen de sommes
prélevées sur des aides accordées au prince, qui était alors le
célèbre Charles-Quint.
« L’ancienne Broodthuis tombait en ruines; la nouvelle fut
commencée en 1513 et était terminée en 1524, puisque, à
cette époque, on adjugea la pose de la couverture en ardoises;
toutefois ses dispositions intérieures ne furent terminées
qu’en 1531.
« Au surplus, le nom seul des architectes qui ont travaillé
à la Maison du Roi justifie l’intérêt que l’on porte à cette con-
struction. Le premier, Antoine Keldermans, « maître ouvrier
des maçonneries de Monseigneur le Roi en Brabant, » c’est-à-
dire architecte du domaine en Brabant, en a fait le modèle;
mais il mourut presque aussitôt. Son successeur, Louis Van
Bodeghem ou Van Beughem, nommé en 1516, dirigea ensuite
les travaux, mais pendant peu de temps, parce qu’il dut don-
ner tous ses soins à la magnifique église de Notre-Dame-de-
Brou, en Bresse, que faisait alors élever Marguerite d’Au-
triche, tante de l’empereur Charles-Quint et gouvernante
générale des Pays-Bas. L’homme à qui revient la plus large
part dans l’édification du monument est un autre grand ar-
tiste, Henri Van Pede, architecte de la ville de Bruxelles, célèbre
aussi par la bâtisse de l’hôtel de ville d’Audenarde. Ce fut lui
qui continua et acheva l’édifice, auquel la ville désire rendre
aujourd’hui sa première splendeur, et qui présente encore cette
particularité importante d’avoir un revêtement complet de
pierres de taille bleues.
« Depuis le commencement du xvie siècle, la Maison du Roi
a été le théâtre de plusieurs événements importants. Elle a été
le dernier lieu de réclusion des comtes d’Egmont et de Bornes ;
elle a assisté à tous les drames politiques auxquels la Grand’
Place a servi de théâtre ; elle a vu siéger dans son sein, outre
la chambre des tonlieux, le tribunal de la foresterie, le con-
sistoire de la trompe, plusieurs anciennes gildes ou corpora-
tions de tireurs. Ses annales sont donc intimement liées à celles
de la commune même. »
Voici ce que dit le Cahier d’explications de la restauration
de maisons de la Grand’Place pour lequel objet il a été inscrit
au budget un crédit de 80,000 francs :
« L’administration s’efforce, dans les limites du possible, de
rendre à ia place de l’hôtel de ville son caractère primitif.
« C’est pour atteindre ce but quelle a toujours cherché à
s’entendre avec les propriétaires et qu’elle est intervenue dans
une grande partie des frais de restauration des façades.
« Un arrangement a été récemment conclu avec le proprié-
taire de la maison du Renard; les travaux de restauration sont
en cours d’exécution.
« Des négociations sont également poursuivies avec les pro-
priétaires de six maisons situées entre les rues de la Colline et
des Chapeliers.
« Nous espérons aboutir à bref délai. »
La note ci-dessous de notre archiviste présente un intérêt
réel en ce qui concerne les mutations dont ce groupe de mai-
sons a été l’objet.
C’est à ce titre que nous croyons devoir la publier :
« Le terrain sur lequel sont bâties les six maisons du haut
de la place appartenait en majeure partie à la ville, qui en
avait fait l’acquisition vers 1441. Les actes d’achat existent en
copie à l’hôtel de ville dans un manuscrit du temps. Deux des
maisons appartenaient dès lors à des corps de métiers, l’une
aux maçons, l’autre aux charpentiers. Toutes formaient un
édifice régulier, divisé en six habitations complètement con-
formes l’une à l’autre. (V. Histoire de Bruxelles, t.IIf,p. 36.)
« Après le bombardement de 1695, qui avait bouleversé
tout le centre de Bruxelles, et afin de se procurer de l’argent,
le magistrat résolut de vendre cette propriété. C’est alors que
l’on conçut et exécuta le projet d’élever de ce côté l’immense
bâtiment qui va de la rue de la Colline à la rue des Chapeliers
et où tous les détails sont uniformes et se correspondent, bien
qu’il y ait autant de propriétés distinctes que de maisons.
« Il est à remarquer que, pour deux des habitations, le ter-
rain n’appartenait pas à la ville, mais à des corps de métier.
D’après ia législation existante ou alors en vigueur, le magis-
trat était en droit de prescrire à ces derniers comment ils pou-
vaient tirer parti de leurs biens. Rien n’empêchait donc la ville
de régler la manière dont on utiliserait le terrain occupé par
les six habitations ayant existé en cet endroit, et dont quatre
lui avaient appartenu pendant plus de deux cent cinquante ans,
tandis que les deux autres étaient la propriété de corporations
placées sous son autorité. |