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1884.
N° 3.
9e ANNEE.
ABONNEMENTS
S'adresser à M. Ch. CLARSEN, éditeur
Rue du Jardin Botanique, 26
LIÈGE
L’ÉMULATION
PUBLICATION MENSUELLE DE LA SOCIETE CENTRALE
ANNONCES & RÉCLAMES
A FORFAIT
S’adresser à M. Ch. CLARSEN, edi..
Rue du Jardin Botanique, 26
LIÉGE
ADMINISTRATION
Boulevard du Hainaut, 139
Bruxelles
D'ARCHITECTURE
DE BELGIQUE
DIRECTION —RÉDACTION
Rue des Quatre - Bras, 5
Bruxelles
-déposé- BUREAUX : BOULEVARD DU HAINAUT, 139, BRUXELLES _ déposé -
— 25 —
SOMMAIRE
Exposition nationale d'Architecture (suite). E. Allard.
La Maison du Roi (de Broodthuis). — Concours :
hôtel de ville de Bruxelles; rectification. — Concours
de l'Académie de Belgique en 1885. — La propriété
artistique ; architecture. — Société Centrale d'Archi-
tecture de Belgique. — Architectes provinciaux.
Archéologie. — L'incendie du Palais de la Nation.
Nécrologie. — Faits divers.
L’abondance des matières nous force à remettre à une pro-
chaine livraison divers articles intéressants, notamment ceux
intitulés: Art et construction, par Un timide. — A propos
du cours d’archéologie donné à l'Académie de Bruxelles,
Alpha. — Une étude d'esthétique architecturale. — Un
compte-rendu du concours de Verriers et une Réponse à
un article signé Edmond Louis, publié dans la Fédération
artistique.
L’Exposition nationale d’Architecture
(SUITE.)
Do l’ensemble des œuvres exposées dans la sec-
tion religieuse, il ne faut pas conclure que le senti-
ment adéquat soit démontré.
Nous n’ignorons pas qu’il fut un temps où il sem-
blait convenu que pour faire de l’art religieux il
fallût nécessairement être un mystique, un Fra
Angelico par exemple.
L’histoire de l’art dans l’antiquité, les exemples
irréfutables de Michael-Angelo, de Raphaël, de
Rubens même, et après lui de Van Dyck, nous sont
d’amples et convaincantes démonstrations.
Cela pourrait être vrai si dans l’artiste, le compo-
siteur, architecte ou peintre, il n’y avait en même
temps et au même titre que l’homme de goût de
dessinateur, l’homme de l’imagination.
Et pas plus que dans tous les autres arts, que l’on
est convenu d’enfermer dans cette formule générique
« les beaux-arts », pas plus, disons-nous, qu’en
peinture, qu’en statuaire, qu’en musique et en
poésie, on ne peut exiger de l’architecte qu’il éprouve,
mieux, qu’il partage les sentiments et les convictions
dont il doit donner l’expression artistique.
L architecte, pour faire une église, un temple, ne
doit pas plus être prêtre, moine ou théologien que
Goethe et Gounod n’ont été Faust, que " Michel-
Ange dans son Moïse, Raphaël dans ses madones,
Van Dyck dans ses christs admirables, ne nous
devaient démontrer leurs sentiments intimes et pro-
fondément religieux.
Nous n’hésitons pas à le dire, il y a plus dans
l’architecte qu’un constructeur et un dessinateur, il
y a un poète; poète par la puissance créatrice, par
le concept d’au delà, par la puissance d’expression
du sentiment qu’il a étudié, que souvent même
il n’a pas écouté vibrer en lui.
Et pour conclure, nous citerons cet exemple
■ marquant, qu’à l’époque où la Grèce élevait ses plus
beaux temples, la philosophie de Socrate et de
Platon, toute l’école des Stoïciens et des Epicuriens
avec elle, faisait s’écrouler les colonnes de l’Olympe
païen.
Qu à 1 heure même où la Rome chrétienne élevait
ses superbes temples à l'absolutisme théogonique, elle
empruntait l'art du paganisme comme expression
artistique et installait ses divinités sur les autels
abandonnés de Jupiter, de Mars, d’Apollon et de
Vénus.
Et plus tard, lorsque dans l’extrême Occident
l’idée religieuse se croit assez sûre de l’avenir pour
élever ses superbes cathédrales, à ce moment même,
le clergé tout entier, séculier et monastique, était
en hutte à la satire franche, hardie et parfois bru-
tale, du compagnon tailleur de pierre ou du tailleur
d’images.
Aujourd’hui, il y a comme un sentiment de lassi-
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tude dans la conception et l’édification des édifices
religieux.
Et, de l’ensemble des œuvres exposées dans la
section, nous concluons que seule subsiste l’idée
archéologique, la préoccupation de la tradition
romane ou gothique.
Il y a dans ce fait une leçon, non seulement au
point de vue artistique, mais encore au point de vue
philosophique.
En effet, nul n’ignore à qui nous devons la plu-
part des églises élevées au XVIe et au XVIIe siècle.
Pour l’indiquer il suffit du nom seul que porte
dans l’histoire de l’art cette architecture introduite
par Boromini, art bâtard et faux, dont nous avons
tant d'exemples chez nous, à Anvers, Louvain,
Malines et même à Bruxelles, et dont est un des
moins mauvais exemples, l’église Saint-Aubin de
Namur, construite par le milanais Pizzoni au
temps où le cardinal Granvelle, gouverneur des
Pays-Bas, confiait à l’Italien Pastonara la con-
struction de son palais de Bruxelles.
*
* *
Quoi qu’il en soit, dans cette situation tout n’est
pas regrettable; en effet, l’étude sérieuse, appro-
fondie de l’art du moyen âge a eu cette conséquence
de nous donner enfin une génération d’architectes
assez consciencieux pour respecter, dans la restau-
ration des édifices religieux du XIe au XVIe siècle,
la pensée du maître de l’œuvre, et assez érudits
pour l’interpréter comme il l’eût fait lui-même.
Ce souci de la vérité archéologique a, sous la puis-
sante impulsion des archéologues, et surtout du
savant Viollet-le-Duc, attiré l’attention des archi-
tectes sur l’architecture civile du moyen âge.
La restauration de l’hôtel de ville de Bruxelles,
la restitution de la Maison du Roi, à la Grand’Place
do notre capitale, nous montrent que si l’on s’est
préparé sérieusement à la restauration de nos
églises ogivales, nos architectes contemporains sont
également maîtres de leur art lorsqu’il leur est
demandé de restaurer des édifices civils.
Ceci nous prépare la transition et nous aborde-
rons immédiatement la section d'architecture civile
publique.
Pour la construction des hôtels de ville et des
hôtels communaux, il est incontestable que la sec-
tion présente des projets très remarquables.
Il y a, notamment, les projets d’hôtel de ville
présentés au concours de Schaerbeek en 1881. Nous
avons dit, lors de l’exposition de ces projets, qui a
suivi le concours, ce que nous pensions de ces
œuvres, parmi lesquelles il en est de très fortement
étudiées et qui présentent, à notre avis, l’application
absolue et véritablement ingénieuse du programme,
casse-téte chinois, imposé par l’administration com-
munale.
Nous ne pouvons cependant nous empêcher de
nous demander si, dans l'esprit de l’administration
communale, il y avait autre chose que de demander
une consultation d’architectes.
On sait que ce concours n’a pu, jusqu’ici, obtenir
sa solution naturelle : la désignation de l’artiste à
qui serait confiée l’exécution de l’édifice.
Cette situation doit flatter énormément les
membres du jury, n’est-ce pas, et ici, comme à
Blankenberghe, amuser singulièrement les concur-
rents? On voudrait rendre les concours impossibles
en fatiguantles architectes assez osés pour répondre
à l’appel des administrations que l’on ne s’y pren-
drait pas autrement.
Nous nous faisons un devoir de rappeler les projets
de MM. E. Desmedt, V. Dumortter et O. Van
Rysselberghe, à l’attention de l’administration
communale de Schaerbeek, et exprimons le regret
de n’avoir pas revu à l’exposition nationale le
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projet de M. Neute, que nous avions noté, si nous
nous souvenons bien, parmi les meilleurs lors du
concours.
Décidément, dans tout ce que nous avons dit
dans l'Emulation à propos de concours, nous ne
nous sommes adressés qu’à des sourds.
Quelques projets, intéressants sans contredit,
d’une entrée de Tunnel dans les Alpes, présentés
au concours ouvert par l’académie et dont le juge-
ment a, on s’en souvient, soulevé de vives discus-
sions.
Etait-il plus logique, cependant, de s’étonner
d’une entrée de tunnel en architecture égyptienne
que d’une gare de chemin de fer en style ogival.
Certes, nous ne repoussons pas d’une façon abso-
lue l’idée d’emprunter à l’art du passé, pour les
appliquer à des constructions modernes, certaines
formes, certains motifs, voire même certains détails.
Mais ce que nous ne saurions admettre, c’est que
dans cet emprunt il n’y ait que la préoccupation de
la vérité archéologique. Ces formes, ces motifs, ces
détails ne doivent être que des points de départ;
il importe qu’ils soient revus avec attention pour
que l’application en soit logique, quelle corresponde
et satisfasse à la fin que l’on se propose.
Nous avons constaté trop souvent aussi une véri-
table manie de juxtaposition, de groupement,
dans de grandes compositions architecturales, et
même dans des projets primés dans des concours ou
des expositions.
Tout l’art, dans ce cas, réside dans le plus ou
moins d’habileté de ramener ces éléments à une
même échelle, puis à les souder l’un à l’autre de
manière à ce qu’il y ait un semblant d’unité.
Et comment veut-on que, par ce procédé, ce
grand principe d’esthétique indispensable à toute
œuvre d’art, l’unité, puisse exister dans le travail
dont on accouche à grand’peine et que nous nous
refusons à appeler composition aussi longtemps
que ce mot pourra s’appliquer, dans le même
esprit, au travail auquel se livre le cuisinier peur
préparer quelque soupe, quelque sauce nouvelle.
* X
Les critiques que nous développons ci-dessus
d’une façon générale se trouvent applicables à la
gare de Bruges, de lamentable mémoire. Aussi
qu’est-il arrivé à l’œuvre de M. Schadde, dont le
projet d’ensemble avait cependant deux qualités :
du pittoresque et de l’originalité dans les masses?
On ne nous demandera pas d’insister, n’est-ce
pas? Ce serait peu généreux.
Mais aussi pourquoi s’entêter à ne pas com-
prendre que ce que l’on vous demande n’est pas
une vérité, une exactitude de style qui ne peut être
exigée d’ailleurs que dans la restauration de monu-
ments historiques.
Ce qu’il faut que nous fassions, c’est nous servir
des éléments, des formes et des combinaisons que
nous ont laissés les anciens, delà même manière que
le, littérateur emploie les mots, la ponctuation, les
tropes, l’antithèse, le paradoxe dans la construction
de phrases qui, composées des mêmes éléments,
expriment des idées absolument differentes.
En musique cela est plus frappant encore, les
sons primitifs ou notes sont invariables et partout
les mêmes; leurs modulations uniformément ad-
mises et, Euler l’a démontré dans sa Physique mathé-
matique, les lois mêmes de l’harmonie sont des lois
absolues.
Et cependant que dit-on de l’artiste dont l’œuvre
ne se compose que de fragments, que de ressouve-
nances plus ou moins habilement soudées. Peut-on
dire même que ce soit un artiste?
Par la même nécessité logique pouvons-nous
admettre comme des œuvres d’art des résultats de |