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1841. — HT.0 9.
AWERS, Samedi 9 Janüei*.
§ixlèiîaé Anïiéê*
'iWHSRKUMMW
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du PRECURSEUR , Bourse Anglaise,
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le voilà à-peU-pfès sûr de l’appui du représentant de l’empereur Ni-
colas, car l’alliance russe ne serait pas moins chère à M. Moléque
l’alliance anglaise ne l’était à M. Tbiers avant la grande déception du
15 juillet. Toutefois, il est probable que ce changement n’aura lieu
qu’après le vote du budget, car si les doctrinaires qui, dans la cham-
bre des députés, reconnaissent pour chefs MM. Guizot et Duchatel ve-
naient à refuser au ministère Soult-Molé les voix qu’ils sont disposés
à accorder au ministère tel qu’il est actuellement constitué, la majorité
deviendrait plus qu’incertaine pour le cabinet futur.
Dans les compliments adressés à Louis Philippe à l’occasion du nou-
vel an, il devait être question du rapatriement des restes mortels du
feu emppreur des Français, roi d’Italie et protecteur de la confédéra-
tion du Rhin ; aussi en a-t-il été beaucoup parlé et dans les harangues
et dans les réponses, il circule à ce sujet une anecdote singulière. C’est,
dit-on, legrand agitateur de l’Irlande, Daniel O’Connell, à qui est dû
cet événement politique. Il se proposait de faire de la restitution des
cendres de Napoléon à la France l’objet d’une motion dans la chambre
des communes. Les membres du cabinet anglais, qu’il en prévint, le
détournèrent de cette intention, en lui promettant de faire réclamer ces
cendres par le gouvernement français. Un des rédacteurs des feuilles
libérales, avec lesquels M. Thiers, ministre, entretenait des relations
journalières, se chargea de lui en suggérer l’idée; M. Tbiers la saisit
avec empressement, bien sûr de flatter, par cette démarche, les sympa-
thies du peuple français,et Louis-Philippe y donna son assentiment
comme un moyen de popularité pour safamilleet pour lui. La grande
émotion causée parce retour a été plus loin que ne l’avaient prévu et
que ne l’auraient désiré ceux qui s’en font un mérite; mais en France,
plus que partout ailleurs, il est peu d’émoîions durables ; les yeux se
sèchent, les poitrines cessent d’être haletantes et l’effet des souvenirs
de l’empire rentre dans les limites où il se trouvait antérieurement cir-
conscrit.
Couché sur le roc brûlant de Sainte-Hélène, seul au milieu des mers,
le grand spectre de Napoléon apparaissait dans toute la majorité de sa
gloire et de ses infortunes. Sous le dôme doré de l’église des Invalides
son ombre semble à l’étroit et comme rapélissée. Mais le dernier vœu
de l’empereur est accompli ; il repose sur les bords de la Seine, au mi-
lieu de ce peuple qu’il a tant aimé et tant glorifié; la chaîne qui pesait
sur sa cendre est brisée et s’il pouvait respirer encore, il respirerait
librement. Il y a là quelque chose de moins élevé, de moins poétique,
mais de plus consolant.
BEVUE INOUSTRIEEEE ET FINANCIERE.
On nous écrit de Paris, le mercredi, 6 janvier :
La modération dans les opinions n’est pas plus habituelle à la Bourse
qu’en politique. Les optimistes et les pessimistes y abondent. Tous
pensent-ils comme ils parlent ? Ne voulant pas médire du prochain,
nous laissons la réponse en l’air.
Tout le monde connaît ce conte amusant, le Palais de la Vérité.
Il n’y avait aucun trait de ressembance avec le palais de la Bourse.
Le pessimiste, qui joue à la baisse, vous dit que la France ne pourra
pas éviter la guerre, et il en étale les conséquences les plus funestes.
L’optimiste, qui stipule à la hausse, vous prédit une longue paix,
peut-être même perpétuelle. — De là, tous les biens imaginables, le
crédit, les entreprises de travaux publics, la prospérité du commerce,
etc.
Chaque jour, nous écoutons ces deux opinions extrêmes, et nous
restons entre les deux, bien qu’il nous fût très doux de devenir opti-
mistes.
Et. dans ce moment, par exemple, nous nous sentons plus de con-
fiance, ou, pour parler plus fidèlement, moins de défiance et d’inquié-
tudes.
Nous avons dit Comment nous entendions la paix, et vrai Français,
en un mot, la bonne paix■ Si la raison finit par dominer dans lescon-
seils des nations, comme on l’espère, nous l’aurons cette bonne paix, et
notre ardeur se reportera tout entière vers les améliorations morales
et matérielles du pays.
Tel est aussi le medium des opinions les plus sages que nous ayons
recueillies.
Il y a, au surplus, une vérité de fait que nous avons souvent rappe-
lée, C'est que le jeu à la baisse est presque toujours un mauvais jeu.
La plupart des désastres viennent de là, et il y en aurait beaucoup plus,
si les habiles ne savaient se retourner à temps. La situation actuelle
en offre une nouvelle preuve.
L’exposé des motifs du budget de l’année prochaine a fait une large
part aux travaux publics; et dans plusieurs des allocutions prononcées
à l’occasion du nouvel au, nous avons remarqué que l’industrie a été
traitée en reine. C’est qu’en effet, elle est devenue la reine des sociétés
modernes; reine bienfaisante, avant pour ministres l’intelligence, là
science et les arts qu’elle emploie sans cesse aux travaux de la produc-
tion. En vain l’ignorance s’oppose à son empire, il est assuré désor-
mais par la force des choses.
Mais pourtant que de réformes à faire encore et d’améliorations à
foncier, pour assurer les progrès de l'industrie!
Nous lisons dans le journal la Presse, que le conseil d’administra-
tion du chemin de fer d’Orléans s’est présenté, il y a trois jours, chez
M. le ministre des travaux publics, pour le supplier de statuer sans
délai sur le tracé définitivement adopté par la Compagnie après de lon-
gues et consciencieuses études.
L’ouverture des travaux sur toute la ligne, à partir de Juvisy, et
l’adjudication démarchés considérables ne dépendant plus que de
cette formalité administrative, il est permis d'espérer que celle grandé
et belle entreprise va recevoir très incessamment une nouvelle et forte
impulsion. — Ainsi s'est exprimé la Presse.
Nous avons, nous, quelque chose de plus adiré : c’est que ces retards,
quand ils ne sont pas motivés, ce qui est le cas, quand ils n’ont d’au-
tre cause que des habitudes de lenteurs, et peut-être un défaut de
sympathie pour les sociétés concessionnaires de travaux publics, sont
extrêmement répréhensibles. Il n'y a pas seulement perte pour là
Compagnie, il y a perte aussi pour le pays. Ceci concerne l’administra-
tion des ponts-el-chaussées.
NOUVEEIiES XFORKENtt.
Nous recevons, avec le Journal de Smyrne du 19 décembre, lés jour-
naux de Marseille du 5 janvier, contenant tes correspondances de Con-
stantinople du 18, apportées par !e paquebot français le Lycurgue, et
eeiies d’Alexandrie du 25, apportées par le paquebot anglais VAchèron
arrivé à Marseille, le 2, avec la valise de l’Inde.
Les lettres de Constantinople ne donnent encore rien de positif sur
les résolutions de La Porte relativement à Méhémet-Aii. Quant aux
nouvelles de l’Egypte et de la Syrie, loin dé confirmer la retraite d’Ibra-
him pacha, elles le représentent au contraire dans une position encore
offensive. A cet égard, les lettres d’Alexandrie, dont nous donnons ici
un extrait, méritent attention.
Aî.exawdrIe, 24 décembre.
Le bateau à vapeur anglais Hydra, arrivé ici le 18 , venant de Bey-
routh, amenait le général Smith qui rentre en Angleterre pour motif
de santé. Par la même occasion nous avons eu des nouvelles de la Syrie
qui contredisent en partie celles qu’avait données officiellement l’amiral
Stepford touchant la fuite d’ibrahim pacha. Il paraît que l’anarchie qui
règne sur tous les points de cette contrée n’avait pas permis au com-
mandant des forces alliées de faire pénétrer dans l’intérieur, pour s’as-
surer si les troupes égyptiennes avaient effectivement opéré la retraite
qu’on leur attribuait.
D’après les lettres apportées par VHydra, il est constant qu’IbrSBim
pacha était encore le 7 courant dans les environs de Damas avec un
corps d’armée assez considérable. Toutefois, Méhémet-Ali n’a reçu au-
cun courrier de son fils, ce qui le tient dans l’inqi iétude. 11 est question
d’envoyer de nouveau Sami-Bey en Syrie, avec l'autorisation de l’ami-
ral anglais, pour qu’il puisse s’assurer si les dépêches précédemment
adressées à Ibrahim pacha, lui sont parvenues.
M. Cochelet a reçu hier une lettre de la Syrie, dans laquelle on relève
les nouvelles suivantes :
Ibrahim prcha était toujours campé près de Damas; le pacha d’Alep,
Izzet-pacha, envoya un des scheiks avec un corps de 3,000 hommes
pour l’obliger à la retraite. Mais le généralissime égyptien s’étant trouvé
à la tête d’un corps d’armée estimé diversement, mais unanimement
reconnu très considérable, a défait complètement la division turque, et
a gardé sa position, qui est, dit-on, assez forte.
Ismaël bey; qui commande encore une division égyptienne à Gaza,
vient de donner une nouvelle qui n’est pas moins intéressante au point
de vue égyptien et pas moins extraordinaire. Jérusalem est au pouvoir
de quelques hordes d’Arabes qui y frappent des contributions journa -
hères. Les habitants ont adressé une supplique au commandant égyp-
tien à Gaza pour l’adjurer d’aller tes délivrer.
Toute la Syrie est dans une anarchie à peu près semblable, à l’excep-
tion des grandes villes qui seules ont une garnison suffisante. Qu’arri-
verait-il si dans une telle conjecture Ibrahim pacha reprenaitvictorieu-
sentent l’offensive? C’est ce que l’on se demande ici. Enfin un tel état dé
choses ne peut être que favorable à Méhémet-Ali et faciliter les arrange-
ments définitifs que l’on attend.
Dans cette situation, S. A. ne voulant assumer sur éiie aucune respon-
sabilité, a décidé de ne pas envoyer Semi bey en Syrie, et d’adresser
seulement à l'amiral Stopfort un exposé de celte situation, afin qu’il
puisse lui-même tracer la conduite à suivre. ( Sud de Marseille.)
Ces nouvelles sé trouvent aussi dans la correspondance du Sémapho-
re, sous la date d'Alexandrie, 25 décembre.
Le Journal de Smyrne publie ce qui suit :
Coxst,i;ïïixopïe, 18 décembre.
Le steamer anglais, Megœra, arrivé avant-hier d’Alexandrie, a appor
té la soumission de Méhémet-Ali. Elle est conçue dans des termes qui
font espérer qu’elle sera agréée de Sa Hautesse.
Méhémet-Ali s’est décidé à cet acte après l’arrivée à Alexandrie dit
steamer français le Phaéion par ieque! il a appris définitivement qu’il
ne devait pas* compter Sur l’appui de la France; Ce qu’il y a de positif,
© jaaarier.
RUMEURS , CONJECTURES ET FAITS DIVERS.
Les fins de la diplomatie restent long-temps cachées sous des appa-
rences décevantes ; le caractère et les passions des princes sont des
indices peu sûrs des desseins qu’ils se proposent d’accomplir; en ju-
ger d’après les intérêts des peuples n’est pas même une garantie suffi-
sante contre l’incertitude des prévisions, mais dans le vaste labyrinthe
où le minotaure de la politique se dérobe aux regards, cest encore le
guide qui égare le moins. • .
La mission de M. Brunow à Londres semblait d’abord n avoir pour
but que de rompre l’alliance anglo-française. Les tentatives de I An-
gleterre pour s’ouvrir des routes vers l’Inde en passant sur les terres
de la domination turque, l'esprit haulain et I humeur aventureuse de
lord Paimerston ayant été jugées par la Russie des circonstances fa-
vorables à ses vues, M. Brunow est vënu Haller cette humeur du mi-
nistre de la reine Victoria et montrer le cabinet de Saint-Péiersbourg
tout disposé à laisser la Grande-Bretagne établir des voies de commu-
nications à son commerce pour l'Euphrate en traversant la Syrie, par
la Mer Rouge en traversant l’isthme de Suez. Offrir à 1 Angleterre
cet objet de son ardente convoitise c'était I exposer à des tentations aux-
quelles le czar savait bien qu’elle ne résisterait pas, même au prix du
sacrifice de son alliance avec la France, même au prix de 1 abandon
des principes civilisateurs que les deux puissances s’étaient promis de
soutenir en commun. . ,
Mais ce double sacrifice, obtenu par la signature du traité du 15
juillet, n’était, pour la Russie, qu’un acheminement vers les buts re-
culés auxquels tend sa politique. Il lui faut empêcher que I alliance
rompue puisse se réformer, et c’est à d’autres intérêts, à d autres pas-
sions qu elle s’adresse maintenant, li lui a été facile de prévoir qu un
ressentiment vif et profond serait éprouvé par la France entière, à la
nouvelle inattendue qu’une coalition venait de se former à Londres,
sous les auspices et avec la participation du gouvernement anglais,
moins en faveur d 'Âbdul-Meschid et contre Méhémet-Ali que contre
la constitution et le gouvernement politique fondés par la révolution
de 1830. Le cabinet de St-Pélersbourg n’ignore ni les regrets laissés à
la France par les traités de 1815, ni les déplaisirs que causent à Louis-
Philippe les superbes dédains de l’empereur Nicolas pour la branche
cadette des Bourbons. Tourner vers le chef de cette dynastie un visage
radouci ; remettre aux ministres du roi des Français une note quasi-
amicale et la faireaccompagner de quelques paroles conciliatrices plus
affectueuses encore ; dire ou du moins faire entendre qu’il est pour la
sûreté de la France et de sa capitale, un tleuve plus large et plus diffi-
cile à traverser que la Seine ; qu’il est des murailles naturelles plus
hautes et plus fortes que ne peuvent l’être celles de l’enceinte dont il
est question découvrir Paris et que, pour son compte, la Russie ne
voit aucune raison légitime d’empêcher la France de s’élendrejusqu’au
bord de ce grand fleuve, jusqu’au pied de ces hautes murailles, — c’é-
tait un moyen sûr de se faire écouter à Paris ; c’était, comme par la
première mission de M. Brunow à Londres, préparer les voies à un
rapprochement qui, pour devenir réel et durable, n’aura besoin que
d’une de ces circonstances que le temps fait éclore; que les vicissitudes
des choses humaines amènent quelquefois un peu tard, mais toujours
infailliblement, et que jamais l'habile politique de la Russie ne laisse
échapper. Déjà la presse anglaise semble s’en inquiéter, et, tout en fei-
gnant déconsidérer l’alliance de la Grande-Bretagne avec la Russie
comme fondée sur des bases plus solides que ne letaienl celles de l’al-
liance de la France avec l’Angleterre, ses paroles en parlant des Fran-
çais sont devenues moins brutales et moins insultantes. 11 est à croire
que bientôt il en sera de même de la presse allemande, mais lemoment
où les blessures faites par l'une et par l’autre sont vives et saignantes
a été adroitement saisi par la diplomatie russe, et les palinodies d’Ou-
Ire-Manche et les palinodies d’Outre-Rhin s’adresseront à des ressen-
timents trop chauds pour qu’elles puissent s’attendre à trouver sur les
bords de la Seine, une attention bien soutenue et bien complaisante.
Qu’adviendra-l-ii du rapprochement de la France et de la Russie,
si la diplomatie des deux Etats parvient à l’opérer? Il faut chercher la
réponseà cette question dans l’opposition connue et toujours croissante
des intérêts russes aux intérêts anglais, dans la marche graduelle, mais
constante que ces deux puissances prennent pour rapprocher les dis-
tances qui les séparent des champs de bataille où leur lutte à force ou-
verte doit décider de la suprématie de l’une, de l’abaissement de l’autre
et peut être de leur commune ruine.
Cependant M. Molé, que talonne l’ambition, continue de cheminer
vers le ministère dont M. Guizot a saisi le portefeuille; ses amis re-
doublent d’efforts pour luien appianir la route; il a pour lui les sym-
pathies du château, l’affection toute particulière du duc d’Orléans et
i iiiwi ihiwiuih imniwif .... i ■ i i vminnuwmmammmmmmammmÊmmmm i ...
FEUILLETON DU PRÉCURSEUR.
TX1TB TCGATÏ01T.
(SCITE ET FIS.)
III.
Le soir, ie me trouvais seul dans une petite loge de trois places que
j’avais louée tout entière, fort près de la rampe. Je me recueillis pour
voir aux prises ces deux grands artistes, Rossini et la comtesse, carelie
jouait Ninetta dans la Gazzo. Je m’exaltai si bien en attendant l’ouver-
ture, que le premier coup d’archet me lit tressaillir violemment, et une
sueur froide couvrit tous mes membres à l’entrée d’Eva sur la scène;
elle fut ce que nous avons vu la Malibran dans ce rôle, l’une de ses créa-
tions les plus sublimes. Tour à tour naïvement coquette et belle de pu-
deur et de vertu, fille tendre, amante passionnée, mais surtout admira-
ble dans sa douleur; ce fut au milieu des transports d’enthousiasme
que, échevelée, se débattant contre les preuves accablantes, et prenant
le ciel à témoin de son innocence, elle s’évanouit enfin dans les bras des
sbires, qui l’entraînèrent dans la prison.
J’étais encore palpitant ?ous l’impression de ce final, quand ta porte
de ma loge s’ouvrit. Lu étranger s’avança vers moi; il portail un cos-
tume de voyage auquel il n’avait pris le temps de rien changer. « Mon-
sieur, me dit-il avec un accent allemand très prononcé, pardonnez-moi
ma demande peut-être indiscrète ; mais j’ai fait d’inutiles efforts pour
trouver à me placer dans la salle, et j’allais y renoncer avec plus de re-
grets que vous ne pouvez le concevoir, quand on m’a dit que vous étiez
seul dans la loge que vous avez louée. Après un long voyage, je viens
de faire cinq lieues à franc étrier pour ne pas manquer cette soirée, à
laquelle j’attache un intérêt bien plus puissant que la simple curiosité,
Puis-je espérer que vous m’accorderez une place auprès de vous ? Une
pareille demande, faite d’une semblable manière, ne pouvait se refuser;
mais je l’accordai d’autant plus volontiers, que dès l’abord j’avais re-
connu le baron de Solgau. Un nouveau drame allait se jouer pour moi
de ce côté-ci de la rampe. Je me promettais d’étudier Wilhelm, et de
faire profiter la comtesse de mes observations.
En dépit du flegme que lui attribuait Eva, il me parut fort agité; il fit
quelques tentatives pour engager la conversation, et je m’y prêtai vo-
lontiers. Je lui retraçaiavecfeu le talent et les triomphes de la comtesse;
et cet enthousiasme, dans une bouche qu’il ne pouvait soupçonner de
partialité, sembla l’émouvoir vivement. Il sortit un instant, "donna un
ordre en allemand à un jeune domestique qui était dans le couloir, et il
attendait la réponseavecuneinquiétudevisible.Au bout de dix minutes,
le domestique reparut, et je compris sa réponse. « Je n’ai pu trouver
Franz, monsieur le baron; je l’ai cherché partout inutilement; je suis
sûr qu’il n’est pas dans la salle. »
Cette réponse sembla tranquilliser Wilhelm : « C’est cela, se dit-il en
se parlant à demi-voix, il aura préféré attendre mon arrivée et de nou-
veaux ordres. Que le ciel en soit loué ! n
Cependant l’introduction du second acte commença. De ce moment
les regards de Wilhelm s’attachèrent avec anxiété sur la toile, et un fris-
son l’agita visiblement quand il aperçut Eva, pâle, éplorée, dans son
cachot; puis, quand il entendit ce chant de douleur si suave et si poi-
gnant, il se frappa ie front et s’écria : « Malheureux ! qu’aurais-je fait ? »
Tout ce monologue m’inquiétait maigré moi, car je ne pouvais com-
prendre ce que voulait dire Wilhelm ; mais je devinais qu’il avait médité
quelque tentative contre la comtesse.
Le drame allait toujours, et l’émotion du baron croissait avec lui. En-
fin quand Ninetta, prête à marcher au supplice, jette, dans une der-
nière prière au ciel, ses adieux à la vie, et le cri de sa douteur, Wilhelm,
exalté, s’élança à moitié en dehors de la loge, et tendit les bras à ia com-
tesse avec un cri étouffé ; l’artiste avait vaincu le baron. Eva l’aperçut,
et fit un mouvement presque imperceptible ; mais, au même instant,
d’énergiques sifflets partirent de divers coins de la salle et couvrirent
le piano de l’orchestré. Je sentis au cœur un coup affreux, et j’èus àt
peine la force de regarder sur la scène. ,
La comtesse était évanouie; on l’emportait. Cependant un tumulte
effrayable régnait dans la salle. Des applaudissements frénétiques, que
la comtesse ne pouvait plus entendre, protestaient contre l’inconceva-
ble brutalité de cette scène imprévue’. On s’agitait, on Se pressait vers
les parties d’où s’étaient élancés les sifflets, et là chacun se renvoyait
l’accusation avec chaleur. Pour moi, quand je revins de ma stupeur, je
cherchais à mes côtés le baron que je soupçonnais de n’étre pas étran-
ger à tout, ceci; il avait disparu... je sortis de la ioge le cœur serré de
douloureux pressen timents, et je me dirigeai vers le l'ôyer des acteurs.
J’y appris que la comtesse, à peiné revenue de son évanouissement, s’é-
tait fait porter dans son carrosse, et qu’elle était retournée chez elle;
J’v courus.
Quand j’arrivai, l’hôtel était dans le plus grand désordre ; de nom-
breuses voitures étaient arrêtées dans la cour, et d’autres y entraient à
tout moment, déposant sur le perron tous ceux qui s’intéressaient à la
comt esse ; les salons étaient remplis de ses amis et des nombreux étran-
gers qui, sans la connaître, venaient la supplier de ne pas s’affecter de
ce scandale inouï. On s'interrogeait réciproquement sur les causes de
cet événement étrange ; on faisait mille conjectures ; on S'indignait
tout haut ; on plaignait Eva ; c’était,un bruit, une cohue croissant de
minute en minute. Cependant un vieux domestique de confiance, som-
bre et morne, placé à la porte de ta chambre à coucher de la comtesse,
en gardait l’entrée ; à toutes les instances, il restait inébranlable ; les
Ordres de sa maitresse étaient précis ; elle voulait être seule. On pen-
sait à se retirer, quand un bruit soudain domina les conversations et
fixa i’attentièn générale vers t’entrée des salons : c’était un jeune hom-
me, le frorit tout couvert de sueur, haletant, niais affreusementpâlejesi
vêtements en désordre et souillés de poussière, comme après une lon-
gue course’, qui s’élancait au milieu des groupes surpris, et heurtant,1
coudoyant tout le monde, demandait à grands cris Eva. Je le reconnus,’
è’était Wilhelm ; Se malheureux avait parcouru fa ville enTiè’rejs’infdf" |