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L’ÉMULATION.
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En parcourant attentivement ce quartier neuf de Liège, on
constate cependant avec plaisir qu’un certain groupe d’archi-
tectes cherche à sortir de l’ornière habituelle et a produit
quelques conceptions originales, qui, bien quelles ne soient
pas toujours réussies, loin de là, attestent la ferme volonté de
sortir de la banalité. Celles de ces constructions inspirées le
plus souvent de la Renaissance flamande ou française ainsi
que de l’art gothique, sont sans contredit les plus intéres-
santes du quartier ; ce sont elles aussi qui contribuent pour la
plus grande part à lui donner quelque mérite artistique.
Nous citerons d’abord, comme étant la plus importante,
l’hôtel boulevard Frère-Orban, n° 20, et la maison attenante
dont les deux façades ne forment qu’un ensemble de vingt
mètres de longueur. L’architecte, M. Charles Soubre, s’est
attaché, non sans succès, à donner à sa conception le caractère
de construction de la Renaissance, autant dans les masses
principales et les détails des façades que dans la silhouette
accidentée des toitures. Ces façades ont été judicieusement
décorées de détails d’architecture destinés à faciliter la vue du
splendide panorama de la Meuse qui se déroule devant elles :
à gauche, nous trouvons une tourelle semi-hexagonale de la
hauteur de deux étages soutenue sur un cul-de-lampe; au
centre, une galerie ouverte avec colonnade ionique ; à droite,
une bretèche d’un dessin original soutenue sur des consoles ;
le tout surmonté de balcons avec balustrades à jour. L’emploi
d’éléments si divers et si variés ne nuit en rien à l’unité de
l’ensemble bien soutenu et cette façade est harmonieuse en
même temps que pittoresque. Tous les détails en sont bien
agencés, sobres d’ornementation et d’un dessin élégant. Nous
lui reprochons cependant la lourdeur du cul-de-lampe de la
tourelle et une certaine maigreur dans les montants de la
petite porte d’entrée.
M. Soubre a produit une œuvre incontestablement bien
personnelle et d’une certaine valeur artistique ; il a donné le
premier l’exemple d’une répudiation complète des errements
de nos devanciers. Cet exemple aura, nous en sommes per-
suadés, une heureuse influence sur l’avenir de l’architec-
ture. Il justifie le choix heureux du conseil communal de
Liège qui a appelé l’an dernier M. Soubre aux fonctions de
professeur de la classe de composition architecturale de son
Académie. (A continuer.)
Concours pour la restauration du Dôm
d’Aix-la-Chapelle
1 y a plus d’un an que le Carl’s-Verein et le
Chapitre de la cathédrale d’Aix-la-Chapelle ont
ouvert deux concours, dont l’un concernait la
décoration de la coupole octogonale carlo-
vingienne et les bas cotes environnants avec tribunes par
des peintures murales ; l’autre, la construction en style car-
lovingien d’un atrium ou d’une cour entourée d’arcades devant
la façade occidentale de la cathédrale. Les projets devaient
être rendus le 3i décembre i885. C’étaient deux concours
très importants : il s’agissait de l’achèvement du bâtiment le
plus ancien de l’ère chrétienne en Allemagne. Quoique le
Carl’s Verein eût expédié plus de cinquante programmes sur
demande, soit que le style extraordinaire prescrit pour les
travaux, soit que les vojmges à Aix-la-Chapelle, indispensables
aux concurrents pour s’informer de tous les détails, aient
empêché divers artistes d’y prendre part, les envois furent peu
nombreux. Un projet seulement fut envoyé pour le premier
concours et quatre pour le second concours.
Les concours étaient internationaux.
Diverses raisons empêchèrent la convocation du jury avant
le commencement de mai dernier.
Le jury se composa pour le premier concours de quatre
architectes et d’un peintre ; c’étaient :
MM. Adler, Geheimer Ober-Baurath et professeur à Berlin;
Persius, Geheimer Regierungsrath à Berlin ;
Essenwein, directeur du musée germanique à Nu-
remberg ;
Ewerbeck, professeur à Aix-la-Chapelle ;
Jansen, peintre à Dusseldorf;
et pour le second concours des cinq architectes suivants :
MM. Adler, Geheimer Ober-Baurath et professeur à Berlin;
Persius, Geheimer Regierungsrath à Berlin ;
Essenwein, directeur du musée germanique à Nu-
remberg ;
Henrici, professeur à Aix-la-Chapelle ;
Kruse, Regierungs- und Baurath.
Voici un extrait du procès-verbal de l’assemblée du jury
appelé à juger le premier concours (Décoration de la coupole) : '
« Après avoir examiné en détail l’unique travail envoyé,
« les membres du jury ont pris la résolution de ne pas accor-
« der de prix pour ce projet, parce que le travail ne répond
« en aucune manière à la condition principale du programme,
« de suivre dans les compositions décoratives les traditions
« carlovingiennes de l’ère primaire du moyen âge. »
L’affaire de la décoration de la chapelle de Charlemagne
n’est donc pas avancée, et il est très vraisemblable que le
Carl’s Verein ouvrira un second concours général, mais avec
programme plus détaillé, spécialement en ce qui concerne le
sujet (la matière) du cycle des représentations. Il y a une
grande difficulté à franchir ; elle consiste dans la nécessité
d’harmoniser les peintures nouvelles, pour lesquelles le pro-
gramme a prescrit une exécution en couleurs préparées à la
cire, avec les mosaïques un peu criardes de la coupole, exé-
cutées il y a quelques années d’après des dessins de M. Bé-
thune, à Gand; en effet, des recherches sérieuses, faites récem-
ment, ont fait constater que la coupole et les parois de
l’église de Charlemagne étaient, contrairement à l’opinion
d’autrefois, dépourvues de, mosaïques et d’un revêtement de
plaques en marbre. On a trouvé, il est vrai, certaines parties
dorées et coloriées sur les murailles, mais ce sont pro-
bablement les débris des décorations de la petite abside
orientale qui a été démolie au quatorzième siècle, lorsqu’on
a commencé le grand chœur gothique.
Pour le second concours, la construction d'un atrium devant
le porche de la cathédrale, le jury avait à juger quatre projets,
dont celui portant la devise Carolus M. fut exclu. Il accorda
le premier prix, de 3,000 marks, au projet de M. Franz
Ewerbeck, professeur à Aix-la-Chapelle ; le second prix, de
i,5oo marks, au projet de M. Ludwig Becker, architecte à
Mayence; le troisième projet, de MM. J.-G. Schmitz, archi-
tecte à Cologne, et Baecker à Aix-la-Chapelle, fut recommandé
au Carl’s Verein pour qu’il en fasse l’acquisition.
Le procès-verbal du jury, relatant les motifs du jugement,
est très détaillé, et trop long pour le reproduire ici.
Le problème à résoudre était de nature plus archéologique
qu’artistique ; il ne s’agissait que de la conception d’une cour
rectangulaire entourée de portiques, comme à Essen en West-
phalie, à Parenzo en Istrie, ou à San Ambrogio à Milan,
mais le style et les matériaux de cet atrium devaient être en
harmonie avec celui de l’église de Charlemagne; de plus,
les proportions devaient être en relation avec la façade occi-
dentale, qui possède depuis quelques années une grande tour
carrée gothique. Le soubassement de cette tour, jusqu’à vingt
mètres au-dessus du sol, possède une large et haute fenêtre,
éclairant la tribune de l’octogone, d’où Charlemagne avait
l’habitude d’entendre la messe ; elle est tout à fait carlovin-
gienne, et c’était absolument nécessaire de la conserver. Il
était désirable de ne fermer la cour que par des annexes ou
des bâtiments suffisamment bas et d’y faire un porche assez
élevé.
L’un des concurrents (probablement M. Guldenpfennig,
Baurath à Paderborn) avait caché cette fenêtre du fond jus-
qu’en haut par une abside romane en deux étages, entourée
alors par trois ailes de l’atrium également à deux étages. Au
point de vue purement artistique c’était une conception heu-
reuse et les formes accusaient un architecte habile et expéri-
menté ; mais ce travail était en contradiction avec les condi-
tions du programme et le jury l’a exclu avec raison.
Concernant le projet de MM. Baecker et Schmitz (recom-
mandé pour l’acquisition), le procès-verbal du jury s’exprime
ainsi :
« Quoique la tendance des concurrents à suivre les modèles
« carlovingiens dans leur construction, leur forme et leurs
« matériaux, soit rationnelle, le proj et est pourtant trop pauvre
« en idées et la composition artistique est trop dépourvue de
« motifs importants et intéressants. »
Le travail de M. Becker, à Mayence (second prix), basé
sur des études très sérieuses concernant le style carlovingien
et protoroman, est une conception très remarquable; c’est un
travail très sévère dans les formes et dans des proportions
très justes à cette place. L’architecture des portiques à deux
étages, entourant une cour avec la statue de Charlemagne, est
inspirée un peu par le porche carlovingien connu de Lorsch
au bord du Rhin ; seulement il est à regretter que le concur-
rent, craignant probablement d’outrepasser les intentions du
Carl’s Verein, se soit trop inquiété de conserver toutes les
anciennes maisonnettes, ruelles, etc., et une chapelle sans
valeur qui masquent la façade occidentale de l’église. Son
architecture est tellement une architecture intérieure que de |