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1S4LG. JS. 361,
ANVERS _ Mercredi SG Bécemhre.
(Rosiælèaise A «suée.)
A
ON S'ABONNE :
A Anvers au bureau du Précur-
seur , bourse Anglaise , N» HM.fr,
en Belgique et à l'étranger chez
tous les Directeurs des Postes.
Politique, Comififcial, Maritime et Littéraire.
PAIX. — LIBERTE. — PROGRÈS.
ABONNEMENT PAR TRIMESTRE
Pour Anvers, 15 fri; pour la pro' |
vince 18 fr.; ptmr l’éluingor 20 fr.
Insertions 25 centimes la ligne..
Réclames 50 » *,/
30 Décembre.
Résultat des Elections de Tournai.
L’opinion libérale, à laquelle nous appartenons, vient de
remporter un nouvel et éclatant triomphe, à Tournai. M. le
comte Le Hon a été élu hier, à une très grande majorité, mem-
bre de la Chambre des Représentants, en remplacement de M.
Savart-Martel.
Le nombre des votants inscrits était de 1,501.
Cinq bulletins ayant été annulés, il a été réduit à 1,290.
La majorité absolue était donc de.............649
M. Le lion a obtenu sept cent quarante quatre voix.
M. Hughebaert-Sàvari n’en a eu que............555
par conséquent la différence en faveur du candidat libéral a
été, quant à la majorité absolue.................95 voix.
et quant à la majorité relative..................191 »
C’est là certes une victoire complète pour notre parti, s’il en
fut jamais, car on n'avait rien épargné pour le faire échouer
dans cette lutte. Non seulement, l’épiscopat et le ministère
avaient appelé à leur aide le ban et l’arrière ban de ceux qui
sont à leur dévotion, mais ils avaient choisi lé candidat le plus
capable d’être opposé à M Le lion. M. Hughebaert était gen-
dre deM. Savart-Martel, magistrat, puissant par ses alliances,
ses relations, et vierge d’ailleurs de tout antécédent politique.
Cette dernière qualité était précieuse, pour ceux qui se con-
stituaient ses parrains. N’osant l’avouer ouvertement pour un
des leurs, ils ont tenté de le faire passer pour libéral, et le ti-
tre que nous donnious à notre candidat, ils étaient réduits,
pour ne pas échouer, à le donner traîtreusement au leur, es-
pérant le faire passer sous le masque Mais ils en ont été pour
leur courte honte. Si ces gens pouvaient profiler des leçons
qu’on leur inflige, ils comprendraient dès aujourd’hui le sort
qui les atteud aux élections prochaines, et ils renonceraient
à un système que l’opinion publique repousse d’une manière
si évidente; mais ils n’en feront rien, et ils iront jusqu’au
bout, que l’on en soit sûr.
Bienfaisance publique.
Nous étions bien convaincus d’avance qu’on ne ferait pas en
vain un appej aux sentiments charitables de l'Association
Commerciale et Industrielle, et certains que le comité ne
négligerait rien, pour venir efficacement en aide à la classe
ouvrière. 11 a été convoqué dans ce but, et c’est demain soir
qu’il doit se réunir, pour aviser aux mesures à prendre. Nous
n’avons pas besoin de stimuler, à cet égard, le zèle de ceux qui
en font partie. Ils ont donné d’eux-mêmes trop de preuves de
l’intérêt qu’ils portent au sort des ouvriers, pour que ce soit
nécessaire. Ne mettant pas le moins du monde en doute le
désir sincère qu’ils ont d’adoucir,pour les familles nécessiteuses,
les rigueurs de la mauvaise saison, nous sommes persuadés
que leurs actes répondront à leurs bonnes intentions. Le bien
qu’ils ont fait, l’année dernière, nous est un sur garant de celui
qu’ils feront cette année-ci. Ils doivent d’ailleurs y être encou-
ragés par les témoignages de satisfaction que leur ont donnés,
en assemblée générale, tous les membres de la société. Le sage
emploi qu’ils avaient fait de l’argent receuilli, au moyen des
souscriptions volontaires, a obtenu l'approbation unanime, et
Dieu sait combien d’ouvriers ont été utilement aidés et secou-
rus. 11 en sera de même encore cette fois ; V Association Libérale
et Industrielle ne se montrera pas moins généreuse, si l’on fait
circuler des listes de souscription et l’psage que l'on fera des
ressources acquises et à acquérir ne sera pas moins intelligent,
pas moins digne d’éloges.
Comme l’année dernière, on s’appliquera surtout sans doute
à rendre le prix des denrées et du combustible moindre
pour la classe laborieuse' et pauvre. C’est là le meilleur
moyen de la soulager, et à cet égard nou* indiquerons au co-
mité une mesure qui a eu d’excellents résultats dans d’autres
villes. Il s’agit de bons supplémentaires, destinés à solder la
différence qui existe entre le prix trop élevé et le prix raison-
nable des objets.
Supposons par exemple que le pain vaille 30 centimes, tan-
disqu il ne devrait en valoir que 20, pour que l’ouvrier put en
acheter autant qu’il lui en faut, sans excéder ses ressources.
La différence serait de 10 centimes. Eh bien ! c’est cette diffé-
rence que l’on comble au moyen de bons spéciaux que l’on dé-
livre et que la plupart des détaillants s’empresseraient d’ac-
cepter, en supplément, comme de l’argent, sachant bien que
c’est en réalité de l’argeoi pour eux, puisqu’ils en pourraient
toucher le montant, lorsque bon leur semblerait. Cette mesure
appliquée à un Héftibre déterminé d’objets de consommation,
a porté de très bons fruits dans quelques localités, elle a eu,
entre autres, ceci d'qtile qu’elle a servi les intérêts respecta-
bles aussi, des boutiquiers et des détaillants, en même temps
que ceux des pauvres. Les ouvriers ont continué de se pour-
voir là où ils en avaient l’habitude, dans les temps meilleurs,
et tout le monde y a trouvé son compte.
Sans généraliser cette mesure, nous pensons que l’on pour-
rait en faire l’essai. C’est une idée que nouSTsoumetlons au co-
mité et qu’au reste il a peut-être déjà eue lui-même ; nous l’i-
gnorons. Quoiqu’il en soit, et quelques mesures qu’il arrête
dans sa sagesse, il rendra un éminent service à la classe ou-
vrière, dans les circonstances difficiles où elle se trouve au-
jourd’hui. Les secours qu’il distribuera seront, on ne saurait
plus, opportuns, et nous sommes persuadés qu’il ne les épar-
gnera pas.
Nous avons dit, à propos de la relâche à Cowes, que le
ministère, en invoquant les intérêts du commerce national, de
l'industrie nationale, pour écarter de nos ports les navires
étrangers, comme il le fait par les mesures restrictives qu’il a
prises, n’avait pas compris la question, attendu que les navires
belges, tout aussi bien et mieux même que les autres, grâce au
privilège dont-ils jouissent, peuvent favoriser l’exploitation de
notre marché intérieur par les spéculateurs des autres pays.Le
journal des RR. PP. prétend que nous en avons fait un crime à
la marine belge. « Le Précurseur la blâme, dit-il, de se mettre
au service du commerce de Liverpool ; il l’accuse de se livrer à
des manœuvres commerciales trop faciles et trop lucratives,
pour ne pas être fréquemment pratiquées. »
Rien de cela n’est vrai. Nous n’avons ni blâmé, ni accusé la
marine belge de rien de semblable. Nous avons constaté des
faits, voilà tout, et nous irons plus loin ; nous dirons que, si
nous étions armateurs, comme il y en a plusieurs à Anvers et à
Bruxelles, nousferions absolument comme eux ; nous louerions
nos navires le plus cher possible à quiconque voudrait les
affréter, fût-il Coehinchinois, et nous priserions fort la loi du
21 juillet 1844, u’y voyant qu’uue chose à redire, c’est qu’elle
n’est pas encore assez protectrice et que l’on devrait résolument
chasser de nos côtes tous les autres pavillons.
Que si nous étions négociant anglais et que nous ayions en-
vie d'exploiter le marché belge à notre profit et au bénéfice de
l’industrie anglaise, nous louerions un navire belge, nous le
chargerions à Liverpool des produits de .Manchester, de Bel-
fast, etc., nous l’enverrions en Amérique ou aux Indes, et, cette
manœuvré, nous la renouvellerions^e plus souvent possible.
Nous ferions en cela notre métier de négociant et nous ne
dous en cacherions pas le moins du monde.
Il n’y a donc eu, de notre part! nililâme ni accusation. Les
faits dont nous nous sommes servis, comme d’arguments très
concluants en faveur de nos idées, existent-ils, oui ou non ? toute
la question est là. Ils existent ; le journal des RR. PP. explique
lui-même avec une extrême complaisance comment ils se
passent :
* En attendant, dit-il, que nos armateurs se procurent des cargai-
sons d’aller, ils louent leurs navires à des spéculateurs anglais ; ces na-
vires se rendent à Liverpool, par exemple, y prennent un chargement
de marchandises anglaises, le transportent en Amérique et reviennent
importer chez nous une cargaison de cafés ou de sucres. »
Que l’on vienne doue, après cela, prétendre que nous avons
eu tort de dire que cette exploitation du marché belge, par l’é-
tranger et au profit de l'étranger, dont on parle tant, pour re-
pousser les réclamations du commerce , est précisément une
des conséquences de la loi du 21 juillet 1844 et des arrêtés
royaux qui la règlent ! Conséquemment, il est déraisonnable,
pour un ministre, d’invoquer une pareille raison, afin de
maintenir dans toute sa rigueur un système qui sacrifie à un
petit intérêt privé les intérêts essentiels du négoce et de l’in-
dustrie belges. Voilà tout ce que nous avop^, prétendu, et les
faits nous donnent gain de cause
«l
Système des assurances par l’Etat.
Un arrêté royal en date du 28 décembre, contresigné par M.
le ministre des finances, porte ce qui suit :
Art. H. Il est institué , au ministère des finances . une commission
spéciale pour préparer les éléments d’un projet de loi portant création
du système des assurances par l’Etat.
Art. 2 La commission sera présidée par Notre ministre des finances.
Elle est composée de :
MM Brabant, membre de la chambre des représentants;
Cans, membre de-la chambre des représentants ;
Ed Cogels-Dubois, ancien représentant ;
Ch. de Brouckere, ancien ministre des finances ;
Mast de Vries, membre de la chambre des représentants ;
Orban. membre de la chambre des représentants ;
Verhuist, professeur à l’école militaire.
Recensement (le la province (le Liège.
Nous sommes en mesure de pouvoir donner les relevés officiels de
la population de la province de Liège pour les villes et arrondisse-
ments administratifs. Nous faisons suivre chacun d’eux du chiffre offi-
ciel des relevés antérieurs.
DOCUMENTS RECENSEMENT
Liège (commune de)............
Verviers......................
Huy...........................
Limbourg......................
Slavelot......................
Visé..........................
Herve.........................
Arrondissem1 administratif de Huy
Arrondissement de Liège ....
Arrondissement de Verviers. . . .
Arrondissement de Waremme . .
ANCIENS.
77,587
2-2,183
8,469
1,704
3,998
2,143
3.504
65.597
130.493
72.571
49,820
438,877
NOUVEAU.
75,961
23,328
8.871
1.763
3.902
2.409
3 615
66.541
144.550
75 427
50.134
452,701
Relevé général pour la province.
La province de Liège n’a, pour le moment, que neuf représenlants.
Sa population lui donne droit à onze membres dans la Chambre,.ea
calculant sur le pied de un par 40,000 âmes.
On voudra bien prendre garde qu’il s’agit du chiffre de la popula-
tion de faitMans la nuit du 15 au 16 octobre 1846.
Ce grand travail promet des renseignements d’un haut intérêt.
Nous ne citerons que les détails qui Suivent :
Il résulte du rapport du jury communal de Lens-sur-Geer (commune
rurale de la Hersbaye), que le prix moyen de l’hectare, qui était, en
1830 de 1,540 fr., s’est élevé) en 1846, à 3,000 fr,, et que je prix moyen
de la location d’un hectare, qui était, en 1830, de 40 fr., est maintenant de
100 (r.
Effet de la liberté commerciale.
Le tableau du commerce de l’Angleterre pour les mois de l’année qui
sont écoulés, donne les résultats comparatifs suivans :
Animaux vivants. — La quantité d’animaux vivans importés, en
Angleterre, a été quatre fois plus copsidérable. en 1846, que pendant
la même période de 1845 Du 5 septembre ati )0 êèlobre de l'année cou-
rante, c’est-à-dire dans un mois, le chiffre de l’importation a dépassé,
six fois celui des neuf premiers mois de 1845.
Animaux importés en neuf mois : 1844... 5.949
— 1845,,,. 19,592
— 1846... 84.162
Dans le seul mois de septembre : 1846... 25,603
Subsistances. — Les importations de subsistances ont presque dou-
blé. Les grains et farines, entrés pour la consommation de la dernière
quinzaine de juin jusqu’au mois d’octobre, ont donné le chiffre, de 4
millions de quarters. dont 2 millions 500,000 de froment; 1 million d’a-
voine, orge, et 500,000 de maïs. La plus grande partie de ce maïs est
de provenance européenne.
Café. — Les importations ont été telles dans le mois de septembre,
que leur excédant sur celles de 1845 est de 3 millions de livres. Il était
arrivé, entre janvier et octobre 1845............... 3t.243.262 £
Il est arrivé, pendant la même période en 1846 . . . 55.099,814 --
Thé. — Il a été importé 4 millions 007,288 livres de thé de plus en
1846 qu'en 1845.
Sucre. — Depuis le nouveau tarif, il est entré à la consommation
113,280 quintaux de sucre venant directement de lieux de prodi éliou.
Au 10 octobre, l’exédant du chiffre des mises en consommation sur la
même époque de 1845 est de 15,646 quintaux.
Dans les seul mois de septembre, il a éléconsomnié665,373 quintaux.
Jamais le chiffre de consommation ne s’était encore élevé jusque là;
c’est une augementation de 160,000 qainlaux, comparativement au
mois correspondant de 1845.
En général, tous les articles de subsistance présentent dans le tableau
de l’administration des douanes un accroissement d’importation et de
consommation considérable.
FEUILLETON.
AGi\î:$ 012 MÉB4SIE.
Il est inutile de vous dire le vif intérêt que portait le public à cette
seconde tentative de l’heureux auteur de Lucrèce Chez nous, Français
le succès, quel qu’il soit, vous place tout de suite son homme au pre-
mier rang; la veille encore on n’élait rien,le lendemain on est célèbre:
point de millieu entre la|gloire|et le néaut.et voilà pourquoi nous tenons
si fort à cette renommée parisienne qui porte toute chose à l’excès.
Ce n’est que plus tard après des épreuves multipliées,et quand chacun
a payé son tribut à la louange et au blâme, au dédain et à l'admiration
que se fait un triage sévère, alors vous êtes classé définitivement à la
place qui vous revient, au second, au troisième rang, qu’importe ?
Quabtà occuper la première place, l’événement est rare; on n’occupe
guère le premier rang qu’un seul jour, et encore le premier jour
Donc la foule était immense;le théâtre,assiégé de très bonne heure,
s’est rempli en un clin d’œil, et quand la toile s'est levée enfin, toute
cette foule attentive, curieuse, s’est mise à écouler l’œuvre nouvelle.
Que d’emotionsî que d’espérances.' que de passions pour et contre le
poète nouveau ! Tâche difficile de raconter cette soirée ; mais nous en
avons raconté de plus difficiles que celle-là.
Agnès de Méranie, de la maison de Franche-Comté, mariée depuis
Cinq ans à Philippe-Auguste, est entourée de tous les prestiges de
l'amour, de la puissance, de la gloire. Mère féconde, épouse adorée,
reine bénie par tout un peuple reconnaissant, dame de beauté et de
gloire que les plus hardis chevaliers saluent avec honneur, rien ne
manque au bonheur de la belle Agnès ; aussi bien, toute entière à ces
joies innocentes de la royauté et de la famille, la reine de France trouve
de charmantes paroles de bonheur. Cette introduction est pleine de
poésie et de grâce ; on voit que le poète partage les ravissements de
cette touchante héroïne; en ce moment rien ne le troubie, rien ne le
gêne ; il écrit à loisir, il sait qu’il lui est permis de s’abandonner à sou
heureuse rêverie, et il use de son droit. — Arrive, au milieu de ce can-
tique, Philippe-Auguste. Le roi de France n’a jamais été plus heureux
qu’à cette heure. Son conseil a duré tout le jour, mais dans cette réu-
nion imposante des grands fondataires delà couronne, qui viennent
renouveler au seigneur roi leur hommage féodal, Philippe et les ba-
rons ont agité la grande question de la Normandie reconquise. Depuis
assez longtemps l'Angleterre a pesé sur la France; le siècle de ia
France va commencer. A la place de cette vaste monarchie anglo-nor-
mande que déshonore Jean-saus-Terre, nous,gallons trouver ta vraie
France dans ses limites d’autrefois. C’en est fait, la Bretagne se ré-
volte et demande à venger son jeune prince Arthur ; la Normandie ap-
pelle à son aide ses anciens maîtres; l’Anjou, le Maine, le Poitou, ia
Touraine invoquent tout bas le roi de France :
Jean-sans-Terre, à ce compte,
Deviendra Jean sans terre et de nom et de honte.
Merci, Jean l’assassin; je ne suis pas fâché.
D’avoir eu ce préiexte à prendre ton duché !
Tout ce passage est beau, toute cette histoire est bien à sa place. On
aime à entendre ce roi de France qui redemande sa rivière de Seine,—
ce grand sujet de tant de batailles : «MiTSI
Quoi ! le fleuve qui passe au pied de mon palais.
Ouvre son embouchure aux vaisseaux des Anglais !
Ceci est. une leçon d’histoire si l’on veut; mais une leçon d’histoire
est bien placée dans une tragédie. C’était la passion de nos vieux maî-
tres, c’était la joie de Voltaire ; et vraiment la poésie a bon air quand
elle explique d’une façon naturelle et vive les mystères cachés dans les
annales des peuplés. Plus tard, aux actes suivants, quand le drame au-
rait fait progrès, nous supporterons moins volontiers ces disserta-
tions hardiment rimées; mais enfin c’est le droit du premier acte de se
contenter des idées générales, et personne n’eut été fâché , ceux-là
surtout qui se rendaient compte des difficultés d’un pareil sujet, de
voir l’auteur de Lucrèce employer tout ce premier acte à des géuérali-
tés habiles. Bien volontiers on eût attendu jusqu’à la fin du second
acte l’apparition du légat d’innocent III. Ce légat tombe comme un
coup de foudre au milieu de ces joies intimes, de cet orgueil et de ces
prospérités royales. Or, il faut se méfier de ces coups de foudre qui se
font entendre dès les premières scènes : que de fois le tonnerre qui
gronde dans un nuage vous annonce une tempête avortée, et qui se
perd, inutile, dans le lointain !
Ce moine esL d’autant plus le ma! venu dans notre drame, qu’il s’est
fait attendre pendant cinq années dans l’histoire du roi Philippe. Ce
moine arrive porteur de la colère pontificale ; il arrive tenant dans le
pli de sa robe la paix ou la guerre, l’exil d’Agnès ou l’interdiction. Rien
n’a fait pressentir la venue de ce messager funeste, et, si nous con-
naissons bien Philippe-Auguste, cette ferme vo’onté, cet intrépride
courage, le profond sentiment de cette royauté qu’il rêvait si grande
et si belle, il nous semble que ce pape et ce légat jouent là un gros
jeu à venir piquer ce lion amoureux au milieu de sa maison féodale.
— Mais, dites-vous, c’est l’envoyé du pontife ! c’est le bras droit
de ce terrible Innocent III, le grand dominateur de la pensée hu-
maine au moyen âge, ce mattre souverain des volontés et des con-
sciences, qui réclamait d’une voix si haute la domination du monde
et la responsabilité de son avenir ! — Je le veux bien, mais enfin
c’est le même pape que le roi Jean-sans-Tcrre,tout lâche qu’il élait.avait
mis en interdit dans son royaume d’Angleterre. Mais ce légat qui
s’en vient ainsi déshonorer cette femme et ce roi de France devrait se
souvenir que, récemment encore, dans toute l'Angleterre catholique,
pas un prêtre porteur d’excommunication et d’interdit ne s’est rencon-
tré assez hardi pour les signifier au roi Jean. Tous ces prêtres étaient
muets, dit la chronique, comme, des chiens qui n’osent pas aboyer, et pi n-
dant cinq ans le roi Jean osa résister aux anathèmes de Rome ! Il f. ut
donc que le roi de France ait moins de courage que le roi anglais ! il
faut donc que tout d’un coup cette fière coitrougie soit brisée sur co
noble front ! Pour ma part, je trouve que c’e>t trop se hâter, d'autant
plus que la tragédie d’Agnès de ilpranie' n’aura plus rien à nous racon-
ter, une fois que l’excommunioation' de Kbute aura éclaté dans ers
beaux vers ! tsvw*.* ..... .
Au second acte déjà, cette langueur de l’action se ferait sentir, si
nous ne prenions pas ce second'acle tomme' une exposition u uv.elle
du même drame. Hélas! l’excommunication fulminée la veille a porté
ses fruits dès le lendemain ! O miracle ! soudain un grand silence a rem-
placé ces bruits de gloire et de fortune ! Soudain l’isolement a rem-
placé autour de ce roi menacé la foule armée des soldats, des poêles,
des grands hommes, des feudataires, des comtes, des ducs, des ba-
rons, de toute la race féodale ! Un mot d’un prèlre, le geste d’un
moine a suffi pour créer la solitude dans ce palais du plus grand roi
de la France féodale, entouré des gardes qu’il s’est, donnés pour
veiller sur sa personne! Ceci me paraît encore aller trop vite en
besogne. M. Ponsard traite Philippe-Auguste excommunié comme
on traiterait à peine Louis-le-Débonnaire. Eh quoi ! dans cette na-
tion de soldats,d’ambitieux, de beaux esprits, de chevaliers amoureux,
de poètes railleurs, dans ce siècle plein de menaces pour les croyances
religieuses, où tout est nuit et colere pour l’évêque de Rome, au milieu
de ces désordres de tanL d’Eglises dissidentes, quand la loi de Mahomet
triomphe en Orient et menace le monde connu .quand Abélard règfie en-
core par sesdisciples.au fond de son tombeau entouré de respect, quand
la métaphysique d’Aristote, nouvellement importée de Constantinople,
menace de remplacer même l’Evangile, quand c’est une docl rine couran-
te de l’Université de France, cette imprenable citadelle du monde, yque
pas un pontife ici-bas, même le pape, n’est infaillible!» (l)bien plus, quand
nos hardis barons, si peu disposés à trembler là où n’est pas la terreur,
ont répondu déjà une fois, à propos du Château-Gaillard, qu’innocent
(1) Cum nullus pastor vivent in terris, imo nec Papa, si! itnp ccabili, di-
sait le docteur Jean Gerson. |