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VaMcttcs du Précurseur
MARTEL.
T'alarme avec raison.
Tu vois que je m’en vais.
edgar, indigné.
Vous ! dans celte maison !
J’admire votre audace. Ah 1 c'est un grand courage
Que d’oser se montrer chez les gens qu’on outrage.
MAKTKL.
Ici je ne viens pas non plus pour mon plaisir.
Et d'y rester long-temps je n’ai point le désir.
Monsieur Guilbert m’écrit une insolente lettre
Que dans notre journal il nous condamne à mettre ;
Mais il n'en sera rien : nous ne publierons pas
Sa réclamation... Non. . et tu le verras.
Jesuis très bravement venu pour le lui dire.
Et lui dicter enfin ce qu’il doit nous écrire.
EDGAR.
Ah ! votre feuilleton, qui le (latte si fort,
Prouve assez qu’avec vous il n’était point d'accord !
MARTEL.
Cet article bâclé dans un jour de folie,
Qu'au fond d'un vieui carton a trouvé Cornélle I...
Ma foi, monsieur Guilbert a voulu s’ériger !
En censeur de mes moeurs... j'ai voulu me venger 1
Edgar, avec chaleur.
L’excuse est excellente et part d’une belle âme !
Vous vous vengez d'un homme en attaquant sa femme
martel, avec ironie.
Pour madame Guilbert vous parlez chaudement.
Si j’avais su, monsieur, qu’un tendre sentiment
Vous fit le défenseur d’une femme chérie,
Croyez...
_ EDGAR.
Épargnez moi cette plaisanterie.
Je ne souffrirai pas qu'on insulte d'un mot
La famille Guilbert. dont je serai bientôt...
martel, avec surprise.
Quoi ! tu dots épouser...
Malvina...
EDGAR.
La soeur de Valentine,
i
martel.
Pour mari c'est loi qu'on lui destine,
Et tu ne m'en dis rien I Mon Dieu, que de regrets...
Norval, aussi pourquoi me cacher tes secrets 1
EDGAR.
Je voulais te conter rela, mais ta dauseuse
Nous écoutait toujours.
martel.
Toujours !... la malheureoM
Cause tous mes chagrins, je lui dois tous mes torts.
Ah I je veux désormais la fuir comme un remords.
Par ses obsessions, dans mon journal j'offense
Une honnête famille et mon ami d'enfance.
Mais je viens d'acquérir le droit de la quitter.
La lepon est cruelle, et j'en veux profiler.
EDGAR.
Il est bien tard ; je crains que cot avis perfide
N'ait jeté le soupçon dans une âme candide;
Elle ne pourra point supporter un tel coup.
MARTEL.
C'est donc vrat?...
EDGAR.
Non... d’honneur! mais on l’a dit beaucoup.
Tout viendra, malgré moi, lui rendre cette idée:
Dans un passé douteux, par le soupçon guidée,
Elle va chaque jour, dans ia moindre action.
Trouver contre sa mère une accusation!
Le malheur qu’on redoute est toujours si probable t
Et d'ailleurs ton article...
martel, avec douleur.
Ah ! je suis bien coupablo t
Mais je veux croire encor qu’elle n’a pas lu.
EDGAR.
La voici... Qu’elle est pâle!
martel.
Edgar, tout est perdu!
EDGAR.
Va vite, il ne faut pas qu’elle nous voie ensemble.
(Martel sort.)
Scène III.
EDGAR, VALENTINE.
EDGAR.
(A part.)
Son regard me fait mal... Mon Dien, comme elle tremfcle.
Hélas ! que de bonheur un mot vient de troubler i
(Haut.)
Vous désirez me voir ?
VALENTINE.
Oui, je veux vous parler,
Edgar Pour des motifs que je ne puis vous dire,
Mais que vous devinez... sans doute... je désire
Avoir bientôt en vous un frère, un défenseur.
Oh ! vous êtes si bon, v»us aimez tant ma sœur I
J’ai hâte d’assister â votre mariage,
Et quand vous partirez je serai du voyage.
EDGAR.
Quoi ! partir avec dous !... et pour quelle raison ?
Votre mari....
VALENTINE.
Je veux quitter cette maison ;
Elle m’est odieuse, et je n’y peux plus vivre.
De mon indigne chaîne il faut qu’on me délivre.
Je ne peux plus cacher ma houle et mon dégoût I...
Ensemble ils me trompaient I... Je sais tout, je sais tout!
EDGAR.
Gardez-vous de nourrir cette affreuse pensée.
VALENTINE.
Moi qui les aimais tant !... Que j’étais insensée 1
edgar.
Vous devez les chérir encor....
valentine.
Jamais, jamais.
EDGAR.
Votre mère pour voos...
VALENTINE.
Ma mère!.... je la bais I
Voilà donc l'union que ses mains ont bénie !
EDGAR.
Osez-vous la juger sur une calomnie ?
Et voulez-vous troubler sou bonheur, son repos,
Par votre confiance en ub lâche propos?
Pensez-vous qu’avec euxje sois d’intelligence ?
Pour de tels sentiments ai-je de l’indulgence ?
Croyez-vous que l'honneur me soit si peu sacré
Que j'unisse à mon nom un nom déshonoré ?
Ah ! vous méconnaissez, et vous devez comprendre...
VALENTINE.
Edgar, c’est un devoir pour vous de les défendre ;
Mais vos secours sont vains, le prestige a cessé.
Et mes yeux sont ouverts ; j’ai lu dans le passé.
Je me suis rappelé bien des choses obscures
Qui s’expliquent enfin par autant d’impostures ;
fies égards que d’abord je n’avais pas compris,
Sacrifices menteurs dont je connais le prix.
Je me suis rappelé bien des discours étranges,
De tendresse et de haine incroyables mélanges !
Ah i Je me suis toujours rappelé l’heureux jour
Où ma mère, joyeuse et triste tour à tour.
Nous maria... Mod Dieu !... nous étions à l'église,
A faute); près de moi ma mère était assise.
Tout à coup... en sanglots je l’entends éclater...
Elle s’évanonit... il fallut l'emporter I
Oh ! je me sens mourir... Edgar, je vous implore,
Evitons un éclat... il en est temps encore:
Partons avec ma sœur, emmenez-moi... du moins
Mon affreux désespoir n’aura pas de témoins ;
Peut-être loin de ceux dont le bonheur m’outrage
Je pourrai me contraindre et vivre avec courage.,.
Je vous supplie !
EDGAR.
Eh bien 1 vous viendrez avec nous.
Mais d’ici là soyez prudente, calmez-vous ;
Vous tenez dans vos mains l’honneur de votre mère !
J’entends venir quelqu'un, ne pleurez pas !...
valentine, apercevant Guilbert.
Mon père 1
Scène IV.
VALENTINE, EDGAR, GUILBERT.
guilbert, à Edgar.
Vous savez, mon ami, tout ce qui s’est passé ?
EDGAR.
Non....
■ GUILBERT.
Par ses ennemis mon gendre est renversé.
Malgré tous nos efforts, on le met à la porte,
Et c’est le Président du Conseil qui l’emporte !
EDGAR.
On le disait hier déjà, mais j’espérais
Qu'ils se mettraient d’accord.
GUILBERT.
Jugez de mes regrets 1
De tout ce changement c’est moi qui suis la cause.
Ah ! pour les désunir il fallait peu de chose.
Ce journal a servi de prétexte.
( Guilbert regarde Valentine avec inquiétude. Elle s’en
aperçoit et s'efforce de sourire.)
VALENTINE.
Vraiment,
N’allez-vous pas gémir sur cet événement ?
Regretter un pouvoir dont on était l'esclave.
GUILBERT.
Voyez-vous ce héros ! tu fais toujours la brave,
Mais je m'aperçois bien que tes yeux ont pleuré.
EDGAR.
Ce n’est rieo.
GUILBERT.
Cependant son teint est altéré ;
Elle paraît souffrante, et sa pâleur m'afflige.
Diles-moi.... savez-vous?
EDGAR.
Mais ce n’est rien, vous dis-je.
GUILBERT.
Valentine n'est pas en larmes saus sujet.
VALENTINE.
Mon père, je voulais vous parler d’un projet
Qui nous ferait à tous grand plaisir, mais je n’ose.
GUILBERT.
Et quel est ce projet qu’en tremblant on propose?
VALENTINE.
Je veux vous demander de marier ma sœur.
GUILBERT.
Dans six mois ?
VALENTINE.
Maintenant.
GUILBERT.
J’y consens de grand cœur.
EDGAR.
Abl que je suis heureux!
GUILBERT.
Très bien, mais prenez garde,
C’est madame Guilbert que ce projet regarde;
C’est son consentement qu'il vous faut obtenir.
(A Valentine.)
Tu pourras lui parler, car elle va venir.
(A Edgar.)
Pendant ce temps tous deux nous irons chez mon gendre,
Qui nous fait demander, et qui doit nous attendre.
edgar , à part.
Sa mère va venir, elles vont se revoir.
Ah! dans cet entretien je mets tout mon espoir.
(Ils sortent. Edgar fait signe â Valentine et l’engage à se
contraindre.)
Scène V.
VALENTINE seule.
VALENTINE.
Oh ! j'étooffais 1... C’est trop prolonger mon supplice.
A quoi me servira ce courage factice ?...
Je vais revoir ma mère... el le va m'embrasser !...
Hélas ! il me faudra la fuir, la repousser t
Mon Dieu ! je l'aimais tant t j’étais si fiére d'elle !
Comme je l’admirais !... je la trouvais si belle I
Et pour elle mon cœur s'est à jamais fermé I
Qu’il est dur de haïr ce qu'on a tant a imé t
Je ne pourrai jamais me contraindre à sa vue,
Malgré moi... ^
Scène VI.
MADAME GUILBERT, VALENTINE!
madame guilbert, au fond du théâtre.
Valentine !
valentine , entendant sa voix.
Ah !...
madame guilbert.
Comme elle est émue I
Qu’est-il donc arrivé ? mon Dieu ! quelle pâleur !
Pour elle nos ennuis ne sont pas un malheur.
Non, quelqu'autre chagrin la menace ou l’agite.
Elle fuit mes regards... toujours... elle m’évite...
Valentine !
VALENTINE,
Ah ! c’est vous t... Je veux vous demander...
MADAME GUILBERT.
Eh bien ! parle ; est-ce moi qui dois t'intimider ?
VALENTINE.
J’ai déjà confié ce projet à mon père.
Et vous l'approuverez comme lui, je l'espère.
Nous voulons marier ma sœur...
MADAME GUILBERT.
Si promptement !
Ah ! vous vous passerez de mon consentement,
Son absence aujourd’hui serait trop douloureuse.
valentine.
J’ai le droit d'exiger que ma sœur soit heureuse.
MADAME GUILBERT.
Envers toi, Valentine, ai-je donc quelques torts?
VALENTINE.
On se croit Innocent quand on est sans remords.
MADAME GUILBERT.
Si je te fais souffrir, ma fille, ose te plaindre,
Ce n’est pas avec moi que tu peux te contraindre.
Pourquoi trembler ainsi... pâlir à mon aspect?
Parle, cette froideur...
VALENTINE.
Est encor du respect.
De mes ressentiments je crains la violence.
Ah! ne me forcez pas à rompre le silence.
MADAME GUILBERT.
Je ne puis supporter cette position ;
Je demande, j’attends une explication :
D’où vient ce désespoir ? cette parole amère !...
VALENTINE.
Vous m’avez mariée à votre amant, ma mère;
Vous-même avez formé cet indigne lien I
MADAME GUILBERT.
Ma fille, écoute-moi.
VALENTINE.
Non, je n’écoute rien...
MADAME GUILBERT.
C'est ta soumission que ta mère réclame.
VALENTINE.
Moi, je ne me sens plus votre fille, madame.
MADAME GUILBERT.
Les méchants ont parlé ; pauvre enfant, calme-toi.
VALENTINE.
Adieu! je vais partir, soyez heureux sans moi.
Vous aimez mou mari, je vous rends sa tendresse.
MADAME GUILBERT. -
Viens.
valentine, la repoussant.
Non, vous n’ètes plus... pour moi que sa maîtresse.
MADAME GUILBERT.
Comment de sa pensée arracher cette erreur?
Mais, courage, laissons s’exhaler sa fureur.
Elle n’enteudrait pas aiaiulenant!
VALENTINE.
, O misère!
Être frappée au cœur par une main si chère!
Trouver la trahison dans les bras maternels!
Une mère bénir des liens criminels,
Déshonorer sa fille!... étouffer dans son âme
Sa piété d'enfant et son amour de femme;
La livcer à des vœux, des soupçons révoltants,
Et flétrir en un jour tous ses jours... à vingt ans!
Une mère, l’honneur, l’orgueil de la famille !
Ah! c’est infâme!...
MADAME GUILBERT.
Aussi cela n’est pas, ma fille.
Il faut m'entendre enfin... Écoute, je le Yeux.
Qu’importe la douleur do ces tristes aveux!
Par d'horribles soupçons je te vois poursuirle,
Il est temps de trahir le secret de ma vie...
Oui... j'aimai ton mari...
VALENTINE.
Bien!...
MADAME GUILBERT,
Malgré mes combat!...
VALENTINE.
Madame... je le sais!
MADAME GUILBERT.
Mais lui! ne le sait pas!
Jamais il n’a pu lire en mon âme blessée.
Jamais il n’a connu ma coupable pensée,
Et cet aveu d’amour... qui m’étouffe la voix...
Je le fais aujourd'hui pour la première fois.
J’ai long-temps combattu pour vaincre ma faiblesse,
Mais ce talent si beau, ce cœur plein de noblesse,
Ces dons supérieurs qui partout font la loi.
M'attiraient, me charmaient, m’entraînaient malgré mol.
Je voulus demander secours à son génie...
Fol espoir, dont je fus cruellement punie.
Son esprit se calmait dans de graves travaux,
Mais mon cœur s’exaltait de ses succès nouveaux.
Ah ! c'était imprudent, je le sentis moi-même :
11 est bien dangereux d’admirer ce qu’on aime !
Je luttais vainement contre un amour fatal,
Et j'gllais succomber... Mais un soir dans un bal...
Sortant de la retraite où tu fus élevée,
Il te vit, Valeutine... Alors je fus sauvéel...
Oui, depuis ce moment toi seule l’occupas.
Eh bien !..; je t’aime tant... que je n’en souffris pasl
Ces soins ne me causaient ni douleur ni colère ;
Oh ! je te pardonnais, ma fille, de lui plaire.
Je me rendais justice, et changeant de fierté,
Je mettais mon orgueil dans ta jeune beauté ;
Joyeuse, je sentais qu’en mon âme innocente,
La tendresse de mère était la plus puissante ;
Moi-même l’apprenais à l’aimer chaque jour;
Mon amour s’épurait dans ton naissant amour,
Etlorsqu'après un an tu devins sou épouse,
Si tu me vis pleurer, si tu me vis jalouse,
Ce n'était pas de toi-., mais de lui : j’avais peur.
Mon enfant, qu’il ne prit ma place dans ton cœur.
VALENTINE.
O ma mère !
MADAME GUILBERT.
On blâma hautement ma conduite.
Tant que de ces propos tu ne fus pas instruite
Je supportai ces cris, et je me résignai;
Mais je défends enfin mon honneur indigné.
VALENTINE.
C'est que de tels efforts, si grandement sublimes.
Si monstrueux en bien !... ressemblent à des crimes ;
Le monde est effrayé des trop beaux sentiments ;
Il voit dans leur excès d'affreux égarements,
Il ne peut les comprendre, il juge de sa place !...
MADAME GUILBERT.
Mais viens donc, mon enfant, viens donc que je t’embrasse...
valentine, tombant à genoux.
(Elle sangiotte.)
Ah i c’est à vos genoux... Maman, pardonne-moi !
MADAME GUILBERT.
Va, ces affreux soupçons ne venaient pas de toi !
VALENTINE.
Non, mais hier j’ai lu dans un journal infâme...
Les indignes !... flétrir une si noble femme I
Forcer ce cœur si pur à se justifier,
Apprendre â son enfant même à s'en défier !
Hommes sans foi, démons inspirés par l'envie !...
Ah ! je ne veux plus lire un journal de ma vie.
ACTE V.
Scène première.
ANDRÉ seul.
andrê ; il tient un journal â la main.
C’est nn éloge 1... Énfin nous l’avons emporté !
Un éloge pompeux. Vive la Vérité !
Mon bon maître ! pour lui la surprise est charmante !
Depuis bientôt deux ans, deux ans qu’on le tourmente
C'est la première fois qu’ou dit du bien de lui t
Allons, je suis content, et du moins aujourd'hui
Je ne l’entendrai pas me gronder et se plaindre !
Ah ! nous sommes sauvés s'il recommence â peindre.
(Il pose le journal sur la boîte de couleur!.)
Préparons l'atelier, et faisons un bon feu.
Il manque deux couleurs... de l'ocre et puis du bleu.
Pour un portrait de femme il faut un fond très sombre ;
Ce jour est éclatant, faisons ici de l'ombre.
(Morin, entré depuis un instant, regarde tristement André
faire ses préparatifs. Morin est vêtu d'une longue robe de
chambre eu velours noir.)
Scène II.
MORIN, ANDRÉ.
Morin, à part.
Mon pauvre compagnon... sa gaitéme Tait mal !
(A André.)
Tiens... porte cette lettre â monsieur de Norval,
Tu la lui remettras toi-mème.
andré, regardant Morin.
Qu'il est triste I
Mais quand il aura lu....
(Morin lui fait signe de se bâter. André sort.)
Scène III.
MORIN, seul.
MORIN.
L’art fait vivre l’artiste I
Eb bien l'artiste meurt quand son art est perdu 1
C'en est fait ; ce travail si beau, qui m’était dû,
Est donné! Vainement une main charitable
Me protégeait, ce coup était inévitable.
Mon ennemi l'emporte et m’ôte tout espoir)
(Il aperçoit le journal qui est sur la boite de couleurs.)
Quoi ce journal !... encor !... je ne veux plus le voir.
(Il déchire le journal et jette les morceaux loin de lui.)
C'est mon rival, le chef de la nouvelle école,
C'est Jardy qui peindra cette immense coupole 1
Moi, je n’ai rien... Alon nom n’obtient que des mépris !
De mes nombreux travaux est-ce doue là le prix ?
Il o’est donc ici-bas nuis triomphes durables
Si le sot jugement de quelques misérables
Peut détruire eu un jour quarante ans de succès,
Et quels succès !... D’orgueil comme je frémissais !
Quand devant ces tableaux, aujourd'hui leur risée,
La foule avec ardeur se pressait au Musée !
Chacun voulait les voir, on se battait pour eux.
Que j'étais fier... hélas ! et que j'étais heureux,
Quand l’Empereur, après une grande victoire.
Choisissait mes pinceaux pour eu tracer l’histoire,
Et me disait, devant mes confrères jaloux :
« Ab 1 Morin, nous venons de travailler pour vous ! »
Ces mots flattent encor mou oreille charmée.
Eh ! quoi... tant de succès et tant de renommée
Sont à jamais détruits 1 par des fous saos talent
Qui vendent au hasard leur langage insolent,
Qui se font un état dans !a littérature
En prenant bassement ma gloire pour pâture ;
Eu frappant sans pudeur, sans haine et sans danger,
Un vieillard qui n'a plus de fils pour le venger !
(Il parcourt l’atelier et contemple ses tableaux,)
O mes tableaux !... témoins de ma sombre sgonie,
Recevez mes adieux, espoir de mon génie.
Que mon talent par vous soit réhabilité,
Et que ma mort vous rende à sa postérité !
(11 ouvre une cassette remplie de journaux qu'il déploie. II
prend un cahier cacheté de noir et le met dans la cassette.)
Je mets mon testament sur ce monceau d’injures,
11 renferme l’aveu de mes longues tortures.
En voyant ce poison dont s'abreuvaient mes jours,
On me pardonnera d’en arrêter le cours.
Je le sens, aujourd’hui, dans ma chute profonde,
C’est un crime d’avoir une idole en ce monde !
Ce crime fut le mien !... mon jeune âge exalté
Poussa l’amour de l'art jusqu’à l'impiété.
Pour donner la lumière et l’espace à ma toile.
Pour faire enfler la vague et frisonner la voile.
Pour peindre le regard, le sourire, l'éclair,
j'aurais vendu mon âme au démon de l’enfer.
Mon art c'était ma vie, il avait tous mes rêves.
Et j’aimai mes enfans bien moins que mes élèves ;
Mes amis au tombeau je les pleurai deux jours ;
Mes élèves ingrats je les pleure toujours !
Dans tous mes sentiments l'art me trouva fidèle.
Une femme 1... pour moi ce n'était qu'un modèle,
Je ne lui demandai ni foi ni pureté,
J’avais mis la vertu dans la seule beauté,
Je contemplais sa joie avec des yeux profanes ;
Cruel, j’étudiais ses larmes diaphanes !
J’étais peintre toujours : sans effroi, sans remord,
Dans ses plus noirs secrets j'interrogeais la mort !
Je luttais avec Dieu... l’auteur de la nature
N’était pour mou orgueil qu’un rival en peinture,
Et je lui reprochais, dans mes jaloux combats.
Les couleurs du soleil, que je ne trouvais pas I
Mais Dieu in’a bien puni, sa vengeance fut prompte ;
J’ai vécu par l’orgueil... et je meurs par la bonte !
(11 sort eu cachaDl sa figure dans ses mains. Au même instant
Valentine paraît au haut de l’escalier.)
Scène IV.
MADAME, GUILBERT, VALENTINE.
(Mm* Guilbert et Valentine sont en robes du matin très élé-
gantes.)
valentine, d’abord seule.
Ma mère suivez-moi, prenez cet escalier.
J’ai trouvé le chemin, je suis dans l’atelier.
MADAME GUILBERT.
Que de détours, mon Dieu ! Mais je ne vois personne.
Morin doit nous attendre, et cet oubli m’étonne.
valentine, â part.
Ce qu’il me demandait, je n’ai pu l’obtenir ;
C’est pour le consoler que j'ai voulu venir,
Afin qu’en apprenant cette triste nouvelle
Il ne m'accuse pas d’avoir manqué de zèle.
(Haut se promenant dans l'atelier.)
Pendant qu'il n’est pas là regardons ses tableaux ;
Je ne les connais pas... Ma mère, qu’ils sont beaux I
J'ignorais que Morin eût fait de tels ouvrages.
Quoi ! c’est ce grand talent que poursuivent d’outrages.
Ces indignes journaui ! rien n’est sacré pour eux.
Oh I qu'il avait raison... et qu’ils sont dangereux t
Combien je les déteste à mon tour, quand je songe,
Hélas ! que par l’effet de leur affreui mensonge
Vous o'osez plus, ma mère, avec nous habiter.
Et que nous.punissant, vous allez nous quitter 1
MADAME GUILBERT.
Ma présence chez vous n’était plus convenable
Après tout ces propos... Allons, sois raisonnable,
(Valentine pleure.)
Scène V.
MADAME GUILBERT, VALENTINE, ANDRÉ.
ANDRÉ.
Ah ! mesdames, pardon, mon maître vous attend.
Je vais le prévenir; car je rentre à l'instant.
Il m’avait ordonné de porter one lettre
Chez monsieur de Norval et de la lui remettre
Moi-même en propres mains; mais il était sorti.
(11 entre dans l’appartement de Morin.)
MADAME GUILBERT.
Edgar est prévenu, nous l'avons averti;
Ton père et lui viendront nous chercher à deux heures.
Mais on ne fera pas ton portrait si tu pleures !
Viens !
(Elle embrasse Valentine.)
VALENTINE.
Il était si doux de se voir tous les jours !
(Ou entend une graude rumeur.)
MADAME GUILBERT.
Mon Dieu! n’eDteuds-tu pas que l'on crie au secours?
VALENTINE.
Je distingue ces mots : tombé par la fenêtre 1
Quel horrible soupçon !
(Elle court vers l’appartement de Morin. André parait dans le
plus grand désespoir.
Scciic Y J t
MADAME GUILBERT,. VALENTINE, ANDRÉ.
ANDRÉ.
Ah ! mon malheureux maître!
Je le cherchais partout.. je ne l’ai point trouvé,
Et je viens dele voir... là-bas... sur le pavé !...
Il a perdu l'esprit... à force de souffrances !
VALENTINE.
Dieu !
madame cuilbert, courant vers la porte.
Mais... peut-être il vit encor ?
(Elle va pour sortir, Edgar l’arrête.)
EDGAR.
Plus d'espérance
Tout est fini.
t
ANDRÉ.
Mon maître I
EDGAR.
H vient de succomber.
Je suis vite accouru, mais pour le voir tomber..
Cette lettre m’apprend sa dernière pensée,
Et me dit le secret de sa mort insensée.
(Pendant qu’il parle plusieurs personnes alarmées montent
l’escalier.)
(Voir la findans le feuilleton du journal d'aujourd'hui
IMPRIMERIE DE DEWEVER FRÈRES.
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