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dire assez que, loin de le traiter à fond, c’est à peine s’il a le
temps de l’effleurer.
Ce qui ressort, ayant tout, de la lecture de l’ouvrage de
M. Golfs, intitulé : La Filiation généalogique de toutes les
écoles gothiques, c’est que l’auteur a foi en lui-même et en
son œuvre. Il est profondément convaincu de l’exellence de
son travail et ne néglige rien pour faire partager cette con-
viction à ses lecteurs. Il commence par établir en principe
que les documents historiques ne suffisent pas pour faire
l’histoire de l’architecture et que l’étude des monuments est
indispensable. Il a parfaitement raison ; mais lorsqu’il croit
être l’inventeur de cette méthode, il est dans l’erreur. Tous
ceux qui se sont occupés de l’architecture, théoriquement ou
historiquement, ont basé leurs démonstrations sur l’analyse
et sur la comparaison des monuments.
Le but de l’auteur est de prouver que l’architecture gothi-
que a pris naissance en Angleterre. Après avoir établi un
parallèle entre les architectures romanes de la France, de
l’Allemagne et de l’Angleterre, il s’attache à démontrer que
le style gothique ayant eu, dans ce dernier pays, une floraison
subite et en quelque sorte spontanée, la France et l’Allema-
gne reçurent de l’Angleterre l’architecture gothique toute
faite, avec cette différence que la France greffa le gothique
anglais sur le roman, tandis que l’Allemagne le prit et l’ap-
pliqua en son entier.
L’auteur est fort 'dur pour les archéologues et pour les
architectes français. Suivant lui, les Anglais seuls savent ce
qu’ils disent et ce qu’ils font. Les archéologues français, à
commencer par M. de Gaumont, manquent absolument de
sagacité et d’instruction. D’après lui encore, il n’y a rien de
raisonné dans l’architecture gothique française. Le gothique
français est dû à des continuateurs du roman continental qui
se sont bornés à faire quelques emprunts à l’école anglaise,
sans avoir pris la peine d’étudier et d’approfondir les secrets
de cette dernière. « Il se peut, ajoute-t-il, que le caractère
français, d’origine latine, se soit montré vè,che (sans doute
revêche, rebelle) à l’introduction d’un élément germanique
ou ait manqué des dispositions requises pour le comprendre. »
L’infériorité de la France dans les conceptions architectu-
rales est le thème favori de M. Golfs.
Des considérations générales, l’auteur passe aux détails, et
prenant l’un après l’autre tous les éléments constitutifs de
l’architecture gothique, il les analyse comparativement et
historiquement, pour montrer leurs modifications successives
et pour établir, par ce moyen, l’ordre chronologique des épo-
ques de l’histoire de l’art. Cette partie du travail est faite
avec méthode et avec soin.
M. Golfs ne se rend pas toujours bien compte de la valeur
des termes qu’il emploie, et cela peut donner lieu à d’étran-
ges confusions d’idées, lorsqu’il s’agit d’expressions techni-
ques. Suivant lui : “ une transition ne se fait pas par la
modification de quelques détails; mais elle s’applique tout
d’abord à modifier entièrement la structure. « Tout le monde
sait, au contraire, qu’un style de transition est formé de
certaines formes anciennement usitées et de formes nouvel-
les. Ce qui caractérise la transition, c’est le mélange. La
même erreur est commise par l’auteur à plusieurs reprises,
il se sert indifféremment des mots A'école-mère et d’école de
transition, les appliquant à une seule et même chose, sans
réfléchir à ceci qu’une école de transition est autant fille que
mère, puisqu’elle se rattache à la fois au passé et à l’avenir.
L’auteur dit que trente-cinq ans d’études assidues des mo-
numents lui ont donné la certitude que, pour établir un
enseignement sérieux de l’architecture, il faut connaître,
avant tout, d’une manière approfondie, la filiation généalo-
gique de toutes les architectures qui ont été déduites les unes
des autres. Il ajoute que sans cette connaissance, il n’y a pas
de bon enseignement dans les académies et pas de bonnes res-
taurations des monuments. Ce sont là d’incontestables véri-
tés. M. Golfs n’est pas, comme il le croit, le premier qui les
ait proclamées. On a pu se tromper dans l’application; mais
on était parfaitement d’accord sur le principe.
L’auteur est dans le vrai, lorsqu’il signale comme une
lacune dans l’enseignement des académies l’absence d’une
étude raisonnée de l'architecture gothique, et lorsqu’il attri-
bue à ce qu’il y a d’incomplet dans cet enseignement les
bévues qui ont été souvent commises dans la restauration des
monuments gothiques. D’autres avaient, avant lui, insisté sur
les inconvénients qu’il y a à charger de la restauration de
monuments du moyen âge, des architectes qui n’ont étudié et
ne connaissent que le style classique. M. Golfs a bien fait
d’aborder, à son tour, cette question. On ne saurait trop
répéter une vérité, lorsqu’on veut qu’elle soit finalement
accueillie. L’absence d’enseignement de l’architecture gothi-
que est encore actuellement une lacune du programme des
études de l’académie de Bruxelles. M. Golfs termine le pre-
mier volume de son ouvrage, qui attend une suite, par l’ex-
posé d’une, méthode pour l’enseignement de l’architecture
dans les académies. En résumé, l’auteur de la Filiation
généalogique de toutes les écoles gothiques prouve, dans ce
travail, qu’il a fait une étude attentive de l’architecture
gothique et qu’il a vu beaucoup de monuments avec la pensée
d’observer les lois de leur construction. S’étant fait un sys-
tème tout d’une pièce, il n’admet pas la contradiction, même
sur les points les plus discutables. Les fortes convictions ont
leurs avantages et leurs inconvénients.
Le cours de construction donné de 1864 à 1874 à la sec-
tion du génie de l'école d’application de Belgique, par le
major du génie M. Devos, ne rentre pas dans la catégorie des
ouvrages sur lesquels le jury est appelé à se prononcer. Pour
l’admettre à participer au concours, il faudrait prendre au
pied de la lettre la définition incomplète que Littré donne du
mot Architecture : L’art de construire les édifices. La défi-
nition infiniment plus judicieuse du dictionnaire de l’Aca-
démie française : L’art de construire, disposer et orner les
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édifices, indique que l’ouvrage de M. De Vos, quel que soit
son mérite d’ailleurs, ne peut pas être considéré comme un
ouvrage sur l’architecture. Il y a deux parties distinctes et
pourtant réunies dans l’architecture : la science qui construit
les édifices et l’art qui les orne, pour employer les termes de
la définition du dictionnaire de l’Académie. L’ouvrage de
M. De Vos est exclusivement consacré à la première de ces
deux parties : à la science. Il y est parlé des objets suivants :
connaissance des matériaux ; résistance des matériaux ; stabi-
lité des constructions; exécution des maçonneries, fonda-
tions ; travaux de bâtiments ; travaux des voies de communi-
cation ; projets et modes d’exécution des travaux ; tarif
général des prix courants.
On le voit, c’est uniquement de la construction qu’il s’agit ;
la question de la forme architecturale n’est pas posée une
seule fois. M. De Vos s’est maintenu volontairement sur le
terrain de la science, n’ayant pas à en sortir pour remplir
exactement le programme de son cours a l’Ecole d’applica-
tion. Son livre est tel qu’il devait être ; mais ce n’est pas un
ouvrage sur l’architecture.
Lm Monographie de l’ancienne abbaye de Villers-la-
ville. Etat ancien; état restitué, par M. Ch. Licot, est inté-
ressante par les planches qui sont nombreuses et d’une bonne
exécution. L’auteur ne s’est pas borné à donner une descrip-
tion et une restitution de l’église ; son travail a’ porté sur
l’abbaye entière. Malheureusement le texte n’est en rap-
port avec les planches ni pour l’étendue, ni pour l’intérêt. Ce
n’est guère qu’une sèche description à laquelle sont ajoutées
çà et là de sommaires indications historiques. Il y aurait eu
bien plus à dire, pour rappeler les souvenirs évoqués par le
monument qui ne sera bientôt plus lui-même qu’un souvenir,
pour faire apprécier son importance architecturale, pour jus-
tifier enfin les restitutions dont mainte partie a été l’objet.
Si cette monographie est publiée, l’auteur devra développer
davantage ses idées, étendre ses descriptions insuffisantes et
compléter les renseignements historiques dont ne saurait se
passer une œuvre d’archéolegie.
La Monographie de la chapelle de Berlaymont, par
M. Almain, est une publication dont le caractère est absolu-
ment et exclusivement personnel. Ce n’est pas, à proprement
parler, un ouvrage sur l’architecture ; c’est la reproduction
d’un édifice, lequel est l’œuvre d’un artiste contemporain, en
sorte que le prix, s’il l’obtenait, serait donné à l’édifice même;
or le j ury n’a pas pour mission de couronner l’auteur d’un
monument. Le mérite architectural plus ou moins grand de
la chapelle de Berlaymont n’est pas à juger ici. Une mono-
graphie pouvait être admise; mais c’était à la condition
qu’elle fût conçue au point de vue de celles dont nous parlions
tout à l’heure : décrivant un monument d’une valeur artisti-
que reconnue et digne d’être offert, tant dans son ensemble
que dans ses détails, comme un sujet d’étude aux architectes
et aux archéologues. Telle n’est pas la monographie de l’église
de Berlaymont ; M. Almain le reconnaîtra lui-même-et com-
prendra que son travail n’avait aucune chance d’être cou-
ronné.
11 Emulation, publication mensuelle de la société centrale
d’architecture, (années 1874 à 1878) est une œuvre collective.
On pourrait se demander s’il était bien régulier de l’admet-
tre au nombre des ouvrages pouvant prétendre au prix.
Les recueils périodiques ne sont pas généralement regardés
comme remplissant les conditions imposées par les program-
mes des concours semblables à celui dont le gouvernement
nous a institués juges. On couronne, lorsqu’il y a lieu, l’au-
teur de cet ouvrage. Or, Y Emulation n’est pas un ouvrage,
mais un composé d’ouvrages différents ; elle a de nombreux
auteurs, dont quelques-uns ont peut-être gardé l’anonyme.
Cependant, malgré ce qu’il y avait d’inusité dans cette situa-
tion, le jury a pensé qu’un recueil périodique d’architecture,
qui publierait d’excellents travaux, rendrait assez de servi-
ces pour mériter une récompense. Il ne s’agit plus d’examiner
si, à ce titre, une dérogation à l’usage pouvait être invoquée
en faveur de Y Emulation. On a trouvé que les travaux pu-
bliés dans ce recueil n’avaient pas le degré d’importance et
de mérite nécessaires pour donner des droits à une haute dis-
tinction. Il en est de recommandables ; d’autres sont faibles;
l’œuvre mérite d’être encouragée ; mais les jeunes collabora-
teurs de Y Emulation n’ont pas, sans doute, élevé sérieuse-
ment leur ambition jusqu’au prix royal.
En envoyant au jury les Instructions concernant la con-
struction et l’ameublement des maisons d'école, par
M. E. Blandot-Grayet, on n’aura voulu certainement qu’atti-
rer l’attention sur cette publication qui offre une certaine
utilité pour un objet spécial, mais sur lequel on n’a dû fonder
aucun espoir relativement à l’obtention du prix. Ces instruc-
tions n’ont rien de commun avec l’architecture. Elles renfer-
ment le texte de la loi allouant un crédit de vingt millions de
francs pour la construction de maisons d’école; des règle-
ments, des programmes, des modèles de cahiers des charges
et de procès-verbaux d’adjudication, des devis pour la con-
struction de bâtiments d’écoles et de logements pour les insti-
tuteurs. C’est purement et simplement un document adminis-
tratif.
Nous venons de passer en revue neuf des dix ouvrages
soumis au jury. Quant au dixième : L'histoire de l’influence
italienne sur l’architecture dans les Pays-Bas, par
M. Aug. Schoy, nous avons dit qu’une décision ministérielle
l’avait exclu comme n’ayant pas été produit dans la période
fixée par l’arrêté qui a institué les prix royaux. En effet,
l’existence de ce travail est antérieure d’une année à l’ouver-
ture des concours ; elle est constatée par la décision de l’Aca-
démie qui lui a décerné la médaille d’or et par les rapports
imprimés dans les bulletins de cette compagnie. Le fait de sa
publication à une époque postérieure ne saurait le sauver de
l’exclusion. Il est de toute nécessité d’observer rigoureuse-
ment les règles fixées dans les arrêtés, relativement aux dates
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d’ouverture et de clôture de la période des concours. Si, par
tolérance, on admet une infraction à ces règles en faveur
d’un ouvrage, on s’expose à commettre une injustice à l’égard
d’un autre ou de plusieurs autres et à faire naître de justes
réclamations.
Il nous reste à vous faire connaître, monsieur le Ministre,
le résultat des opérations du jury.
Par cinq voix contre deux données à l’Etude de MM. Van
Bemmel etCoulon,sur l’église deVillers, le jury a décidé qu’au-
cun des ouvrages qui lui avaient été soumis ne pouvait être
proposé pour le prix de vingt-cinq mille francs fondé par le
Roi. Ce n’est pas sans de longues hésitations et sans un vif
regret que cette résolution a été prise.
Comment la nouvelle de ce résultat négatif du concours
sera-t-elle accueillie par le public ? Nous ne parlons pas des
auteurs, chacun d’eux se croyant, nécessairement, victime
d’une injustice.
N’accusera-t-on pas le jury d’avoir usé d’une sévérité
excessive ?
Ne s’étonnera-t-on pas, ne s’affligera-t-on pas de la stérilité
des auteurs, et l’amour-propre national n’aura-t-il pas à
souffrir de la décision qui aura, en quelque sorte, proclamé
cette stérilité ?
Ne pourra-t-on pas dire, enfin, qu’une telle résolution va à
l’encontre des généreuses intentions du fondateur du prix ?
Tout cela a été pensé, a été dit et discuté. Après y avoir
mûrement réfléchi, la majorité est demeurée convaincue que
le jury ne devait pas se laisser influencer par de telles consi-
dérations. Une question était posée : Parmi les ouvrages pré-
sentés au concours, y en a-t-il un dont le mérite soit propor-
tionné à l’importance du prix ?
Après l’avoir examinée et y avoir répondu conformément
à ce que lui dictait sa conscience, le jury a rempli sa
mission ; il n’a rien à se reprocher. Sa décision sera criti-
quée, par les intéressés d’abord, puis par les personnes
portées à blâmer toute résolution d’une assemblée quel-
conque, puis enfin par les bons patriotes qui aiment que
les Belges réussissent dans tout ce qu’ils entreprennent. Qu’y
faire ?
Le jury eût-il évité les critiques, en décernant le prix
quand même ?
Assurément non. Il eût été critiqué, à bon droit cette fois,
dans le pays et à l’étranger. On attendra avec impatience la
publication de l’ouvrage couronné, s’il est inédit ; s’il est
imprimé, ceux qui ne le connaissent pas s’empresseront de
l’examiner, pour voir jusqu’à quel point il répond à l’idée
qu’on s’en fait d’après la haute distinction dont il est l’objet.
On s’attend à un ouvrage d’un mérite supérieur. Si ce n’est
qu’un bon ouvrage ordinaire, on éprouvera un désappointe-
ment suivi, comme toujours, d’un revirement de l’opinion,
sévère jusqu’à l’injustice, de sorte qu’en résumé on aura
rendu, sinon matériellement, du moins moralement, un mau-
vais service à l’auteur trop facilement couronné.
Si telle était l’impression dans le pays, il serait à craindre
quelle ne fût plus défavorable encore à l’étranger. L’institu-
tion des prix royaux a eu un grand retentissement en Europe ;
partout on a loué l’initiative à laquelle la Belgique en a été
redevable, et l’on en attend de grands résultats. Ces résul-
tats, elle les produira un jour, nous en avons la conviction ;
mais si nous paraissons avoir fait un très-grand cas d’un
ouvrage auquel le jugement des hommes compétents des pays
voisins assignerait un rang plus modeste, il se pourrait qu’on
supposât que faute d’avoir chez nous des points de comparai-
son, nous manquons de la faculté d’apprécier sainement le
mérite des hommes et des choses.
Il ne faut pas qu’on pense au dehors que l’ouvrage cou-
ronné dans les concours royaux est bon pour la Belgique ; il
doit être bon partout.
Veùillez agréer, monsieur le Ministre, l’assurance de
notre haute considération.
Les membres du jury :
F. Wellens, président; A. Balat, H. Beyaert,
R. Chalon, A. Pauli, J. Rousseau; Ed. Fétis,
secrétaire-rapporteur.
BIBLIOGRAPHIE
Lm Filiation généalogique de toutes les écoles gothiques,
par F. Golfs, architecte, qui a paru il y a peu de temps, est
une œuvre toute de science.
L’auteur y recherche la cause de la défectuosité de l’ensei-
gnement de cet art important et établit le programme d’un
enseignement tout nouveau, basé sur des études archéolo-
giques et architectoniques exposées avec beaucoup de clarté
et de simplicité.
Bien'qu’il contienne quelques affirmations un peu risquées,
cet ouvrage acquiert une certaine valeur maintenant qu’il est
question, dans toutes les branches de l’enseignement, d’une
révision de programmes et de méthodes.
L’ouvrage est divisé en sept parties comprenant :
I. Archéologie dans laquelle l’auteur détermine l’origine
de l’architecture gothique.
IL L’architecture ou considération de l’art de bâtir, la
structure, etc.
III. Le génie de l’architecture.
IV. Les écoles transitionnelles.
V. Comparaison entre les architectures romanes de la
France, de l’Allemagne et de l’Angleterre. Création de l’ar-
chitecture gothique anglaise. Transformation de l’architec-
ture française romane en architecture française gothique.
Apparition en Allemagne de l’architure gothique anglaise.
VI. La filiation généalogique des écoles gothiques.
VIL L’école nouvelle.
Il se trouve chez l’éditeur J.-E. Buschmann, à Anvers,
et chez les principaux libraires, au prix de 20 francs.
Il vient de paraître à l’Office de Publicité. |