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tère personnel et passablement agressive. — Mon
honorable correspondant, au moment de signer sa
lettre, a éprouvé un double sentiment d’hésitation.
Le premier, quant à l’endroit où il allait poser sa
signature; l’autre, quant à la signature même.
Il s'est tenu dans l’ombre, attendrissante violette
et, après avoir effacé du doigt une première signa-
ture, il a, bravement, signé Timbra.
Hélas! qui donc me prêtera un bras secourable?
Qui donc en cette pénible circonstance va m’aider de
ses conseils, m’inspirera?
Je vois bien que je devrai m’en tirer tout seul,
s’il se peut; dès lors, prenons la bête par les cornes.
(Que mon timide correspondant veuille bien se per-
suader que cette locution ne lui est pas directement
adressée; ce serait, comme il dit, un peu cavalier.)
Je dirai donc: relisons la lettre du vaillant Umbra.
« Vous vous occupez assez longuement dans le n° 8 de
l'Émulation, du concours ouvert par la Société des Beaux-
Arts d’Anvers, et avant de faire la critique des projets expo-
sés, vous dites quelques mots sur l’article du programme qui
prescrit le dessin au trait à l’exclusion du dessin ombré et
teinté.
•> Cet article, vous l’approuvez fort. C’est évidemment
votre droit, mais vous profitez de l’occasion qui se présente,
pour tomber à bras raccourcis sur les partisans du dessin à
l’effet, que vous traitez d’une façon très-cavalière (!)
» Personne ne songera à s’en plaindre. Et ceux que vous
malmenez si bien dans votre article se réjouiront de pouvoir
vous répondre sans craindre d’employer une expression qui,
de prime abord, pourrait sembler un peu vive.
» Vous dites, en premier lieu, que le retour du dessin au
trait obligera les concurrents à travailler plus complètement
leur projet. Cela est-il bien exact ? Et n’ètes-vous pas d’avis,
au contraire, que bien souvent, lorsqu'on a dessiné ses façades
au trait, on se voit obligé de les remanier plus d’une fois,
après y avoir indiqué les vides et les grandes saillies? La dis-
proportion entre les vides et les pleins, qui saute aux yeux
dans un dessin à l’effet, n’est souvent pas apréciable, si l’on
s’est contenté d’un simple contour et il est indiscutable que
si, dans certains cas, un dessin dépouillé de ses teintes perd
ce qu’il pouvait avoir de séduisant; dans bien d’autres, les
ombres tueront une façade qui, laissée simplement au trait,
aurait pu paraître convenable.
» Il n’est pas d’ailleurs, bien difficile, quand on a sous la
main tous les renseignements nécessaires, de se convaincre
si les ombres sont indiquées correctement et si le concurrent
a rendu d’une façon sincère les différentes parties de sa com-
position.
« Avez-vous, d’autre part, assez de confiance en nos aînés,
pour croire qu’ils se laisseront égarer par un dessin qui ne
serait qu’un trompe-l’œil et où, pour employer vos propres
expressions, les fautes les plus grossières seraient dissimu-
lées, grâce aux ficelles des teintes et des ombres. Pourriez-
vous citer un seul concours, où le lauréat n’a dû sa place
qu’à l'habileté de sa main, qui avait sauvé la pauvreté de
quelques données jetées à la diable et de proportions
venues par hasard?
y Enfin, combien avez-vous vu de dessins chiqués dans
nos expositions, et combien y a-t-il en Belgique de jeunes
architectes capables de rendre un dessin avec chic?
” Que vous criiez gare à nos confrères de France, soit;
mais s’adressant à notre pays, où l’on a l’habitude de dessi-
ner d'une façon si timide, votre observation m'a l'air d’ètre
légèrement ironique. Vous feignez de ne pas voir la diffé-
rence entre le dessin rendu sérieusement et le croquis lâché,
et il me semble que vous n’ayez eu en vue que d’éreinter ceux
qui ne pensent pas et ne font pas comme vous.
» Je ne vois pus. Monsieur, que le moment soit venu de
retourner aux errements d’il y a 20 ans, et je me rappelle que
c’est dans les colonnes mêmes de VÉnudation qu’on a dit,
il y a quelques années, à propos du concours de Charleroi,
que nous ne savions pas dessiner et que, pour cette raison,
nous ne pouvions lutter avec les architectes français. Par
dessiner, on entendait la façon de rendre ou de présenter un
projet.
» Si dorénavant, nos jeunes architectes doivent se tenir au
dessin au trait pour les concours, ils seront étrangement dés-
appointés la première fois quïi leur arrivera de se mesurer
avec les artistes étrangers. Que deviendront alors nos expo-
sitions, qui maintenant ont déjà tant de peine à attirer le
monde?Elles ne seront probablement plus visitées que parles
seuls membres du jury de placement.
» Le système que l’on préconise actuellement n’est d’ail-
leurs suivi nulle part, ni en France, ni en Angleterre, ni en
Allemagne. Ce n’est, sans doute, pas une raison suffisante
pour qu’on ne l’adopte pas, mais comme il n’est, je crois, pas
en Europe de pays où les gouvernants s’occupent aussi peu
d’architecture qu’en Belgique, et où, dans les sphères officiel-
les, on ait le mépris qu’on semble avoir chez nous pour notre
art, nous ne devrions pas afficher la prétention de changer
d’un trait de plume, ce que d’autres pays ont adopté après
une expérience et une étude sérieuse. Nous voudrions voir
encourager les architectes dans la voie où ils sont entrés
depuis peu de temps, afin que plus tard, s’ils ne participent
pas aux concours publics, ce ne soit pas uniquement à cause
d’une misérable question de dessin.
■’ Vous trouverez sans doute, Monsieur, que je noircis
beaucoup de papier pour répondre à vos quelques ligues ;
mais on peut condamner en deux mots, et il en faut davan-
tage pour défendre, surtout lorsque comme moi, on a plus
l’habitude de dessiner que d’écrire. Je n’aurais, au surplus,
pas voulu combattre votre manière de voir si je ne savais
pertinemment qu'un grand nombre de mes collègues sont
avec moi.
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» Nous avons regretté que l'Émulation ait pris aussi
nettement un parti, et quoique nous n’ignorions pas que cette
attitude n’engage que la signature (?) de l’article, nous avons
tenu à protester, afin que l’on sache bien que l’opinion expri-
mée dans le seul journal sérieux que nous ayons en Bel-
gique pour défendre notre art, est loin d’ètre celle de tous les
architectes.
» J’espère, avec mes amis, que cette protestation venant
après celle de plusieurs membres du jury d’Anvers, empêchera
qu’on étende la fâcheuse mesure aux concours futurs et vous
prie d’agréer, etc. « Umbra. »
Donc c’est un fait entendu : il ne faut plus des-
siner au trait seul, n’est-ce pas, très honoré Umbra?
C’est du moins ce qui résulte de la première partie
de votre longue lettre; il faut pousser au dessin
rehaussé de lavis, de teintes et d’ombres.
Mais pourquoi, alors, ô mon mystérieux contra-
dicteur, condamner en France ce que vous approu-
vez si fort en Belgique ?
Remarquez que je discute avec vous, bien que je
n’aie pas encore pris soin de relever ce fait : je ne
suis pas absolument antipathique au dessin rehaussé
par le lavis; je ne veux pas, d’une façon exclusive,
condamner tous autres rendus que ceux au trait.
J’ai dit, que trop) souvent, grâce aux teintes et aux
ombres, on dissimule des fautes grossières et que
l’on fait valoir des proportions venues par hasard,
des données jetées à la diable.
Et je maintiens absolument ce que j’ai dit.
-k
* *
Vous appelez à votre aide un grand nombre (?) de
vos collègues pour donner du poids à votre argu-
mentation. Je vous répondrai par l’exemple de nos
architectes dont le talent est le plus généralement
reconnu; je vous opposerai encore l’expérience
acquise clans l’étude que j’ai faite de quelques mil-
liers de dessins depuis que m’est échu le périlleux
honneur de faire les comptes rendus critiques des
expositions et des concours publics.
■¥• ¥
Je ne puis cependant faire admettre que mon
opinion doive prévaloir si je ne discute au moins la
vôtre et, j’y reviens. Vous êtes partisan, pour la
Belgique, du dessin au lavis et ombré.
Que vous criiez gare à vos confrères de France,
dites-vous! Mais, prolifique Umbra, c’est parce que
nous avons trop souvent pu constater les pauvres
résultats donnés par les images architecturales
françaises à l’exécution, que nous crions casse-cou
à nos confrères belges.
Vous ne voulez pas entendre, soit; mais, per-
mettez-moi de douter que, quoi que vous en disiez,
un grand nombre de vos confrères ne fera point
comme vous : se boucher les oreilles et me laisser
crier.
Et si vous ne voulez pas accepter les errements
d’il y a vingt ans, n’acceptez donc pas à la légère
une tendance, une forme, un mode de dessin sous le
fallacieux prétexte que cela se fait à l’étranger.
(Toujours la contrefaçon belge!)
¥ ¥
Quant aux expositions, vous avez une apparence
de raison en disant : Que deviendront-elles, alors
que maintenant elles ont déjà tant de peine à attirer
le monde.
Mais, très-honoré contradicteur, si je me suis
insurgé contre le dessin de chic en architecture, c’est
parce que dans nos expositions, j’ai constaté cette
tendance, comme j’ai pu, et vous êtes cette fois de
mon avis, constater que malgré cela, il n’y a aux
expositions d’architecture que des visiteurs archi-
tectes ou peu s’en faut.
■k
La fin de votre lettre, de plus en plus mysté-
rieuse, ô timide et humble timbra, semble vous
poser en organe d’un groupe de confrères. Nous
acceptons ce qui y est dit quant au caractère
sérieux que possède l'Emulation, caractère que nous
saurons lui conserver. Nous vous en faisons nos bien
sincères congratulations, bienveillantes Umbrœ, et,
pour notre prochaine livraison, nous vous promet-
tons un article-étude dans lequel nous développe-
rons nos idées quant au dessin architectural.
En étant plus précis, nous taquinerons peut-être
un peu plus ceux qui semblent croire que l’art de
l’imagier pourra jamais suppléer au talent architec-
tural. Ernal.
Le Prix du Roi, pour le meilleur ouvrage Architecture
Nous publions in extenso le rapport présenté à
M. le ministre de l’intérieur par le jury.
Ce jury était composé de :
MM. Balat, architecte, membre de la classe des
beaux-arts de l’Académie royale de Bel-
gique ;
Beyakrt, architecte à Bruxelles;
Chalon, vice-président de la Commission
royale des monuments ;
Fétis, membre de la classe des beaux-arts de
l’Académie royale de Belgique ;
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MM. Pauli,architecte à Garni,membre de la classe
des beaux-arts de l’Académie de Belgique ;
Rousseau, directeur-inspecteur des beaux-
arts au ministère de l’intérieur, et
Wellkns, président de la Commission royale
des monuments.
Bruxelles, le 1er septembre 1879.
Monsieur le ministre,
Le jury chargé d’examiner les ouvrages sur l’architecture
pouvant prétendre au prix fondé par la munificence du Roi,
a dû, pour remplir sa mission, s’inspirer de la pensée qui a
présidé à la conception du plan de l'institution. Il est hors
de doute qu’en offrant aux auteurs la perspective d’une récom-
pense aussi supérieure à celle qui pouvait leur échoir jusqu’à
ce jour pour leurs travaux, l’auguste fondateur du prix de
25,000 fr. a voulu provoquer des efforts capables de donner
naissance à des œuvres d’un mérite supérieur aussi. C’est là
une vérité dont ceux qui aspireront désormais à ces prix
devront se pénétrer. Tel ouvrage qui aurait pu l’emporter
dans un concours académique ou prétendre à l'un des prix
quinquennaux institués par le gouvernement, serait, à juste
titre, considéré comme n’ayant pas un mérite suffisant pour
être couronné dans les luttes ouvertes pour l’obtention du
prix de la fondation royale. Les auteurs se font aisément et
doucement illusion sur la valeur de leurs productions ; mais
ils doivent considérer l’importance du prix et se demander
sincèrement si à cette importance répond celle de leur tra-
vail.
Ces grands efforts dont nous parlions tout à l’heure, on
n’a pas l’habitude de les faire en Belgique à cause de la faible
rémunération qu’y obtiennent les travaux intellectuels, et
aussi, ayons le courage de le dire, à cause du peu d’attention
que leur accorde le public. Aussi n’y aura-t-il pas lieu de
s’étonner si les premiers concours ouverts par la généreuse
initiative du Souverain n’aboutissent pas tous à d’heureux
résultats. Instruits par l’expérience, les auteurs se rendront
mieux compte, à l’avenir, de ce qu’ils doivent faire pour
mériter les prix institués par Sa Majesté. Si, pour ne pas
décourager les concurrents, le jury se montrait, de prime
d’abord, trop facile à satisfaire et s’il couronnait des ouvrages
d’une valeur ordinaire, il risquerait d’affaiblir les ressorts
dont une tension énergique peut seule amener la production
d’œuvres vraiment remarquables. Il pourrait être rendu res-
ponsable, jusqu’à un certain point, de la stérilité des futurs
concours, car il aurait contribué à faire perdre de vue le
but de l’institution.
Dix ouvrages ont été soumis au jury. Sur ce nombre, huit
sont imprimés ; les deux autres étaient manuscrits. Parmi les
premiers, il s’en trouvait un qui, ayant été couronné par la
classe des beaux-arts de l’Académie en 1873, un an avant la
publication de l’arrêté qui instituait le prix royal, ne se trou-
vait pas dans les limites de la période quatriennale régle-
mentaire. Invité à prendre une résolution à cet égard, vous
avez décidé, monsieur le ministre, que l’ouvrage en question
était forcément exclu du concours par le fait du jugement
académique qui lui donne une date certaine.
Parmi les ouvrages que le jury a eu à examiner, il en est
certainement qui méritent d’être remarqués et loués ; cela
constaté, il restait à voir s’il y en avait qui fussent de nature
à justifier l’octroi d’une récompense aussi considérable que
celle qu’il s’agit de décerner, car c’était là le point capital
pour les juges du concours.
Un ouvrage de peu d’étendue pourrait mériter le prix, s’il
renfermait une idée nouvelle et féconde, un principe dont
l’application donnât la réalisation d’un progrès considérable
dans l’architecture.
Un ouvrage n’offrant rien d’absolument nouveau, comme
idée ou comme principe, ne serait pas considéré comme in-
digne du prix, s’il avait une grande importance scientifique,
si, par la justesse du sens critique ou de l’esprit d’analyse,
par l’élévation des vues et par la sagacité des démonstrations,
il pouvait exercer une influence heureuse sur la marche de
l’art. Supposons un livre tel que Y Histoire de V architecture
en Belgique, de Schayes, conçu avec plus de méthode et
ayant de plus larges développements, donnant l’histoire et
l’analyse des monuments de différents styles épars sur le sol
de la Belgique, accompagné de p.anches mettant la représen-
tation figurée en regard de la description, complétant l’ex-
posé théorique par des applications ; un pareil livre aurait
assurément de grandes chances d’obtenir ie prix.
On en peut dire autant d’un ouvrage qui serait fait, pour
la Belgique, sur le plan du Dictionnaire de l'architecture
française, de Viollet-le-Duc, analysant, dans toutes leurs
parties, les édifices religieux et civils de la Belgique, expo-
sant la raison d’ètre de tous les plans, de toutes les formes
architecturales, en tenant compte des idées, des mœurs, de
la destination des monuments, des matériaux, du climat, de
toutes les causes déterminantes de l’ensemble et des détails
de ces monuments.
L'étude des monuments de notre pays nous intéresse parti-
culièrement ; mais nous ne prétendons pas que ce doive être
là l’unique sujet des investigations des auteurs belges trai-
tant de l'architecture, soit au point de vue de l’histoire, soit
à celui de la théorie. Les généralités ne leur sont pas inter-
dites.
N’applaudirait-on pas à la publication d’un ouvrage sem-
blable au Traité d'architecture de M. Léonce Reynaud,
renfermant un exposé complet des règles de la science et de
l’art? Ne serait-on pas heureux d’avoir à récompenser les
efforts d’un homme de savoir et de talent qui irait étudier
sur place les monuments anciens d’un pays étranger et qui
nous les ferait connaître au retour, en indiquant le parti
qu’en pourraient tirer les architectes de l’époque actuelle,
car notre éclectisme ne néglige aucune source d’enseigne-
ment ou dinspiration? Bien des architectes français, aile- |