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1879.
N° 10.
5e ANNEE.
ABONNEMENTS
S’adresser rue de la Pompe, 5
BRUXELLES
L'ÉMULATION
ANNONCES & RÉCLAMES
A FORFAIT
S’adresser rue de la Pompe, â
BRUXELLES
PUBLICATION MENSUELLE DE LA SOCIÉTÉ CENTRALE
ADMINISTRATION
Boulevard du Hainaut, 74
Bruxelles
D'ARCHITECTURE
DIRECTION—RÉDACTION
Bue des Quatre-Bras, 5
Bruxelles
DE BELGIQUE
-déposé- BUREAUX : RUE DE LA POMPE, 3, BRUXELLES _déposé-
—61—
Bruxelles, Octobre 1879.
SOMMAIRE
La critique, E. A. — Le prix du Roi : Rapport du jury
d'architecture. — Bibliographie.
LA CRITIQUE
Il est peu de nos lecteurs qui n’aient lu ou tout
au moins entendu parler de la polémique soulevée
dans un journal quotidien, à propos de la critique,
laite par l’un de ses collaborateurs, d’un bâtiment
d’école élevé au milieu de l’un des sites les plus
intéressants de nos pittoresques Ardennes.
Nous ne connaissons pas encore l’œuvre de l’ar-
chitecte; mais, après avoir donné la critique du
journaliste, nous publions, ci-après, la réponse
qu’il y a faite.
Nos lecteurs jugeront.
D’ici quelque temps, nous aurons sans doute
l’occasion d’aller promener notre curiosité, et, puis-
qu’il s’agit de critique, chercher du côté d’Houffa-
lize les éléments de l’une de ces agréables causeries
que nous avons avec nos lecteurs, depuis cinq ans
déjà.
Voici donc les documents du combat :
A l’aube crevant, HoufFalize est joli comme tout. Un Houf-
falize d’automne, avec des brouillards déchiquetés courant
sur la rivière. Celle-ci fait une ceinture au promontoire étroit
où le bourg s’échelonne. Au bas, vers la pointe, s’élève
l’église, à laquelle tenait jadis un cloître, ainsi que l’indiquent
une série de corbeaux saillants du mur latéral et des bâti-
ments contigus.
A mi-côte, dans la rue montante qui conduit à la place en
longeant la crête des rochers portant les restes noircis du
vieux château, se dresse la tour carrée du château neuf. Des
maisons dégringolent, jetées sur la pente, en un désordre
pittoresque, jusqu’aux vertes prairies du fond, encore noyé
dans l’ombre, blanc de rosée, tandis que le premier soleil dore
les hauteurs.
Au revers du promontoire, le paroi de rochers bronzés,
veloutés, descend jusqu’à la rivière. C’est le côté sauvage. La
crête se hérisse, couronnée des noirs débris du château.
Il y a quelques années, HoufFalize éprouva le besoin de se
donner un édifice d’un style neuf, selon les formules distin-
guées, intelligentes, harmonieuses, de l’architecture provin-
ciale, et qui servît à la fois de maison communale et d’école
primaire.
On chercha la place qui convenait à un tel monument, et
quelquun la trouva. Je ne sais qui; mais j’aime à croire que
ce fut 1 architecte lui-même : l’auteur d’une telle oeuvre pou-
vait seul concevoir l’idée d’un tel emplacement.
On travailla longtemps à pratiquer une infernale brèche
dans la crête de rochers ; on fit sauter impitoyablement les
ruines antiques avec le roc qui les soutenait; on aplanit, on
poussa les déblais vers la vallée, du côté escarpé, de façon à
produire dans cette belle muraille naturelle une affreuse
solution de continuité et un talus imitant les collines artifi-
cielles formées aux abords des puits d’extraction.
Sur la plaie béante, lamentable, horrible à voir, on édifia
la plus vilaine, la plus saugrenue, la plus ridicule, la plus
abominable, la plus nauséabonde, la plus infâme de toutes
les bâtisses dont l’architecture officielle de troisième classe
ait doté notre sol depuis l’époque du Congrès de Vienne.
Je suis bien obligé de croire que la commission des monu-
ments — au moins par l’intermédiaire d un délégué qui se
paya une tournée en Ardenne aux frais du gouvernement —
approuva non seulement cette bouffonnerie architecturale,
mais encore l’odieux travail qui en avait été la digne prépa-
ration.
Je ne vous parle pas d’une époque lointaine : cela s est fait
hier. On a mis six ans à émietter le roc et les vieux murs,
deux ans à bâtir.
L auteur n’est autre, vous le pensez bien, que l’architecte
e la province de Luxembourg.
Il s appelle Vandewyngaert.
J’ai tait le serment - et je le tiendrai — de livrer à une
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renommée préliminaire, en attendant qu’on les inscrive au
Panthéon projeté, les noms de ceux qui, ayant reçu la mis-
sion officielle d’enlaidir notre sol et de lui donner une physio-
nomie ridicule, prennent cette mission au sérieux, jusqu’à
bâtir la maison communale d'Houffalize, auprès de laquelle
les palais de justice de Dinant et de Tournai, ces ignominies,
pourraient être considérés comme des Parthénons — relatifs.
Voici la réponse de M. Vandewyngaert:
“ Monsieur le Directeur de la Chronique,
» Un de vos collaborateurs, M. Jean d’Ardenne, s’occupe,
dans votre numéro du 25 de ce mois, de l’école construite à
HoutFalize d’après mes plans.
” Suivant M. Jean d’Ardenne, cette construction est la
plus vilaine, la plus saugrenue, la plus ridicule, la plus
abominable, la plus nauséabonde, la plus infâme de toutes
les bâtisses dont l’architecture officielle de troisième classe
ait doté notre sol depuis l’époque du Congrès de Vienne.
” Je suis convaincu que le goût de M. Jean d’Ardenne en
matière architecturale est le plus fin, le plus pur, le plus
savant, le plus élevé, le plus éthéré, le plus subtil et le moins
mélangé d’alliage qui se puisse rencontrer.
» Je n’y contredis nullement.
” Qu’il me permette seulement quelques mots d’historique.
» Quand le gouvernement fut invité à organiser la section
belge d’enseignement à l’Exposition universelle de Paris,
il réunit les plans d’école produits pendant ces dernières
années. Pour le Luxembourg, il fit choix de trois plans dont
je suis l’auteur, le plan de l’école de Mabergy, celui de l’école
de Bras (Saint-Hubert), et enfin, précisément, celui de l’école
de HoufFalize que votre collaborateur trouve si saugrenu,
sans compter les autres épithètes que le souvenir de
Mme de Sévigné lui a inspirées.
» Ces plans furent donc exposés à Paris.
” Vers la fin de l’Exposition, je reçus deux lettres, l’une
de M. César Daly, le directeur de la Revue générale de
l'Architecture et des Travaux publics, l’autre de MM.Wul-
liam et Farge, directeurs du Recueil d’Architecture, choix
de documents pratiques.
' Je ne reproduirai pas les éloges que ces messieurs, qui
passent pour des autorités incontestables, m’adressèrent à
cette occasion ; je me bornerai à dire qu’ils me demandèrent
la permission de reproduire ces trois plans dans leurs
annales.
” Voyez le numéro d’août 1879, page 183, de la Revue
pédagogique, publiée à Paris, chez Delagrave : la chose s’y
trouve relatée en toutes lettres.
” Plus tard, M. Narjoux, architecte de la ville de Paris,
une autorité aussi, je pense, très-connu par ses publications
sur les écoles publiques en Belgique, en Hollande, en France,
en Angleterre, en Suisse, etc., etc., m’a demandé la même
permission.
» Que l’opinion du gouvernement, de'la commission des
monuments, de MM. César Daly, Wulliam, Farge, Narjoux
ne compte pour rien auprès du Michel-Ange qui continue
dans vos colonnes la tradition des grandes critiques d’art,
cela m’étonne peu.
>> Avouez pourtant que c’est pour moi une consolation
assez légitime, une compensation assez peu mince.
» D’un autre côté, quand je me rappelle que M. Jean d’Ar-
denne, passant à Arlon, a découvert dans une église de cette
ville un chemin de croix qu’il n’a pas hésité à traiter d’œuvre
de maître, alors que c’est bien la plus belle réunion de
croûtes qu’on puisse imaginer, ce souvenir est quelque peu
fait aussi pour me consoler de n’avoir peint trouvé grâce
aux yeux de votre éminent collaborateur et ne laisse pas que
de m’inspirer quelque doute sur la valeur de ses appré-
ciations critiques.
Seulement, je tiens à ce que mon humble défense soit
mise aux yeux de vos lecteurs.
” Veuillez donc, je vous prie, insérer la présente et rece-
voir mes salutations.
« L. Vandewyngaert,
” Architecte provincial.
” Arlon, ce 28 octobre 1879. »
Voici la riposte de la Chronique :
Je voudrais, passant du grave au doux, consacrer quelques
lignes à M. Vandewyngaert, d’Arlon. J’ai un petit compte à
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régler avec cet architecte provincial qui, en mon absence, a
eu la malice de se tailler ici une petite réclame en qualité de
fabricant d’écoles honoré des meilleurs certificats.
Je n’aurais point vu de mal à cet usage du droit de réponse,
si cette malice n’eût été doublée d’un désir de vengeance :
M. Vandewyngaert a voulu se venger de moi, et se venger
par ses procédés littéraires.
Quelle tarentule bizarre a donc piqué cet architecte ?
L’infortuné !
Il s’aventure sur mon terrain. Il est agressif, il est rail-
leur, il est ironique, il est littéraire, il cite Mme de Sévigné,
il me compare — comme critique — à Michel-Ange... Que
sais-je ?... On n’est ni plus maladroit, ni plus imprudent.
Cette maladresse me désarme un peu. M. Vandewyngaert a
une certaine chance dans son infortune : je ne suis pas
aujourd’hui de trop méchante humeur, et je consens à la lui
passer douce, me bornant à lui faire observer :
1° Que Michel-Ange était sculpteur, et point critique :
dans le métier des lettres, on est tenu de ne pas ignorer ces
choses-là.
2° Que “ ses quelques mots d’historique à lui, Vande-
wyngaert, ne répondent nullement à ce que j’ai dit de la
construction phénoménale qui dépare le joli bourg d’Houf-
falize.
J’ai parlé d’une affreuse entaille faite à une crête de
rochers que le premier devoir d’un artiste, question d’école
mise à part, eût été de faire respecter à tout prix; de
vieilles ruines stupidement détruites ; par là-dessus, d’une
bâtisse d’aspect abominable, de lignes ridicules et de couleur
bouffonne.
Les plans d’écoles n’avaient rien à voir en ceci, et je ne
connais même pas l’aménagement intérieur de l’édifice en
question.
M. l’architecte de la province de Luxembourg peut très-
bien avoir obtenu, pour ses plans, toutes les récompenses à
toutes les expositions de l’univers, avec les éloges enthou-
siastes de tous les gens du métier et de toutes les commis-
sions officielles. Il serait même breveté de toutes les cours
de l’Europe et décoré de tous les ordres, que je n’y verrais
pas d'inconvénient.
Et ces mérites, joints à une infinité d’autres, n’empêche-
raient pas le monument d’Houffalize d’être horrible à voir.
Inutile d’insister, n’est-ce pas? Il me serait trop facile de
retourner M. Vandewyngaert, trois colonnes durant, sur le
gril où il est venu bénévolement se poser lui-même.
Si cependant, grâce à une bizarrerie quelconque de la
nature humaine, cet exercice ne lui répugnait pas trop (nous
avons eu saint Laurent et Gnatimozin), il n’a qu’à parler : le
droit de réponse lui fournit une nouvelle occasion d’exhiber
sa prose.
On a dit que cela manquait d’intérêt pour le public.
Pas tant que ça.
Je me charge de faire rire les lecteurs, en continuant ce
propos, aussi longtemps qu’il plaira à M. Vandewyngaert.
Jean d’Ardenne.
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Y Y
Et moi aussi, lecteurs, j’ai, paraît-il, touché au
vif quelques susceptibilités, véritables sensitives et,
événement heureux, j’ai soulevé une contradiction.
Je dirais une discussion si le sujet pouvait prendre
cette importance.
Oui. J’ai, paraît-il, développé une idée qui n est
pas celle de tout le monde. Vous me direz que rien
n’est plus impossible que rencontrer 1 assentiment
unanime, surtout quand il s’agit de confrères et
encore plus quand il est question d architectes.
J’ai, à propos du concours ouvert cette année par
la Société pour l’encouragement des beaux-arts,
d’Anvers, trouvé heureuse cette disposition du pro-
gramme exigeant des dessins au trait, sans lavis,
sans enjolivements; j’ai exprimé le regret de voir,
en architecture, se produire cette tendance aux
machines à effet, dans lesquelles l’art architectural
n’est plus guère qu’un prétexte.
Cela a porté ombrage à l’un de mes très-estimés
lecteurs qui m’écrit une longue lettre, d’un carac- |