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1§46» 360« ANVERS, Dimanche St Décembre. (Douzième Ansîéc.)
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bre 1846.
2 7 Décembre.
Correspondance particulière du Précurseur.
Bruxelles, 26 décembre.
Monsieur le Rédacteur,
La scandaleuse conduite du gouvernement et de ses amis, dans l’af-
faire de Tournai, soulève ici l’indignation générale, même chez les
personnes qui conservaient jusqu’ici quelques préventions contre le
comte Lehon.
Et d’abord, M. Lehon n’a jamais été et ne sera jamais un homme
anti-gouvernemental. Si quelqu’un peut désirer l’entrée de M. Lehon
à la Chambre, ce serait le gouvernement s’il marchait dans la bonne
voie, dans la voie qui lui est tracée, par l’esprit de la Conslilution. M.
Lehon combattra à la vérité le système actuel, tout en défendant le
pouvoir contre les empiétements du haut clergé, mais cela autoriserait-
il le ministère à employer les moyens odieux dont il se sert ? Evidem-
ment non.
Et pourtant ces moyens sont de notoriété publique.
Il y a à Tournai trois journaux locaux: Le Libéral dévoué et soutenu
par le parti libéral, VEcho Tournaisicn qui était dans le mémecas et en-
fin le Courrier de l'Escaut, journal de monseigneur Labis, évêque du
diocèse.
Le premier a soutenu chaleureusement M. Lehon en 1843; le second
s’est vendu quelque temps avant. les élections, pour une place de no-
taire que M. le ministre de la justice d’alors octroya à son propriétaire,
et, quoique habituellement libéral, il s’est tout à coup retourné miséra-
blement contre l’opinion qu’il avait toujours défendue. Ce marché hon-
teux a fait depuis l’objet d’une sévère critique tant à la Chambre que
dans la presserais on en avait pris son parti. C’était sous M. Nothomb
et chacun savait à quels pitoyables expédients avait recours ce cabinet
qui vivait en quelque sorte de mépris public.
Cette fois, l'Echo Tournaisien était bien dueraent revenu au bercail.
Dans la lutte que toute la ville de Tournai,par l’intermédiaire du Conseil
Communal, livrait à l’évêque, h propos de la convention dite de l’Alhé-
née, ce journal avait embrassé la cause libérale, la cause de l’opinion
publique. Il avait déjà même pris des engagements envers le parti
libéral et l’association électorale, et devait soutenir le candidat qui lui
serait désigné par celte association.Vous le voyez, le propriétaire de ce
journal besogneux, ne demandait qu’à rester honnête, mais celte
fois encore tout le monde avait compté en dehors de la corrup-
tion courante. Le propriétaire a été assiégé, menacé, circonvenu et
n’a pas su résister. Il a suivi l’exemple déshonorant de son prédéces-
seur de 1843. C’est peu de chose, en définitive, pour un parti, que la
perte d’un tel journal et d’un libéral comme son propriétaire.
Mais, que penser de ceux qui proposent, négocient et concluent de
tels marchés? Je n’ose pas croire que l’épiscopat soit descendu du haut
du sanctuaire pour entrer dans cette voie qui le flétrirait plus que d’au-
tres, en raison de l’élévation même d’où il aurait dû se plonger dans
tant de fange ; c’est donc le pouvoir ; ce sont donc ses amis, ses agents,
ses créatures, et 51. de Theux n’aurait pas reculé devant tant de bas-
sesses, devant tant de misère ! ! En vérité on est effrayé de voir jus-
qu’où peuvent tomber des hommes qui chancellent de naissance.
Heureusement toutes les calomnies que l’on débitecontre M. Lehon
sont faites en pure perte.Les informations qui nous arrivent de Tournai
sont des plus rassurantes. Au lieu de produire sur le public l’effet qu’on
en attendait, ces écrits si passionnément éhontés en produisait un
tout contraire. Les indifférents sortent de leur léthargie, en voyant
tant de cynisme et font du prosélytisme en faveur de M Lehon. qui a
décidément rendu des services à la Belgique, quoiqu’en disent ses dé-
tracteurs. »
FEUILLETON. I
THÊATBE ROYAIi D MVEBS.
Les Mousquetaires.
L’opéra des Mousquetaires n’a pas produit moins d’effet hier, que lors
de sa première repi ésentation. Le public continue à apprécier cette
œuvre de l’auteur de la Juive et de la Reine de Chypre, et cette partition
doit être entendue plusieurs fois pour être bien jugée. Bourdais est on
ne peut mieux dans lerôle de d’Entragues,et comme acteur et comme
chanteur. Son excellente méthode le tient toujours dans les bornes du
vrai et sa eorreclion lui permet d’aborder sans peine toutes les diffi-
cultés de la vocalise. De chaleureux applaudissements lui ont tenu
compte de ses efforts et de la manière dont il s’acquitte de ce rôle im-
portant- Après lui Belval est plein de naturel et de franche gaité dans
le rôle du capitaine Roland II a chanté avec sa verve ordinaire les dif-
férents morceaux de ce rôle, surtout son air du premier et du second
acte. On doit des éloges à Mad. Jacoby pour le goût qu’elle met dans le
sien qui demande une expression mêlée de simplicité. La marche de
cet opéra mérite les suffrages de l’auditoire, et les chœurs comme l’in-
strumentation ne laissent rien à désirer, on doit en rendre hommage
à la manière supérieure dont M. Beaudoin, chef d’orchestre, a dirigé
l’ensemble de cet opéra.
La musique des Mousquetaires annonce plutôt le talent que le génie :
l’art se décèle à tout moment. Les journaux de Paris, toujours un peu
portés pour les compositions de musique française, ont élevé aux
nues cet opéra. Nous pensons qu’il y a un milieu à tenir entre une ad-
miration outrée et un froid dédain. On ne peut refuser une grande
fraîcheur de style à cette partition, jointe à une habileté incontestable
dans son auteur, pour ce qui concerne l’art de nuancer les tous :
mais i! y a peu à retenir de tout ce que l’on entend. Nous ne pensons
pas rien de cette musique devienne jamais populaire: c’est un opéra
de salon.
« Quant à l’action, dit un journal de Paris dans son analyse de la
pièce, les Mousquetaires de la reine n’ont rien de commun avec Athos,
Porlhos et Aramis, si ce n’est l’uniforme, la bravoure et l’esprit. Nous
sommes à Poitiers, à la cour de Louis XIII et d’Anne d’Autriche, peu
de jours avant l’ouverture du siège de La Rochelle. Le cardinal de Ri-
chelieu a défendu plus sévèrementque jamais les duels et les intrigues,
ce qui n’empêche pas les jeunes gens de se battre et de faire l’amour à
la barbede Son Eminence. Le moyen,je vous prie, de tenir en respect
des mousquetaires et des filles d’honneur, à la veille d’un siège ; Tant
il y a, que M»' de Solanges, la propre nièce du cardinal, la plus timide
colombe de la royale volière, confie ses pensées secrètes à AU1' Berlhe
de Simiane, un soir que les deux amies se promènent au clair de ia
bine, dans les bosquets de la reine 51»' de Solanges a distingué Olivier
d Entragues au milieu de ses brillants camarades ; elle ose à peine
murmurer ce nom. de peur que l’écho ne la trahisse. Mais le pauvre
Et quand on pense que ce sont les hommes qui ont tant de fois
donné des gages de sympathie à M. Lehon, dans sa longue carrière
publique ; quand on pense que ce sont les de Theux, les Dumortier,
les Dubus, qui jadis ont chanté avec emphase les qualités, le civisme
et les services rendus de M. le comte Lehon, quand on pense, dis-je,
que ce sont ces mêmes hommes qui persécutent et pourchassent leur
Benjamin d’autres temps, il est démontré, plus que nous ne pourrions
le faire, que les partisans du système rétrograde à l’ordre du jour, ne
demandent qu’une chose des hommes politiques, c’est la soumission la
plus absolue à leur absolutisme ; que pour obtenir ce résultat, ils sacri-
fient tout et leurs sympathies d’autrefois, et leur probité, et leur déli-
catesse ; car en vérité, que penser d’un parti qui emploie des moyens
aussi vils, sinon qu’il veut, à tout prix, rester le maître du pays.
Et les journaux salariés du gouvernement, quel langage ne tien-
nent-ils point dans cette circonstance ? Pour les uns, le concurrent de
M. Lehon est un libéral ; pour les autres, ils sont au regret de s’être
déjà prononcés, sinon s’ils n’étaient point engagés, ils voteraient vo-
lontiers pour le gendre libéral de M. Savart ; ils renouvellent en l’hon-
neur du candidat libéral le vieux mot de Voltaire : Si je n’étais César
j’aurais été Brutus. Pitié que ce libéralisme là, Slensonge et hypocrisie
dont le public fera justice.
Du reste, préparez-vous à en voir de bellesaux élections prochaines? j
M. Nothomb a laissé trop de traces dans l’administration ; il a laissé
derrière lui. dans le cabinet môme, des survivants trop rompus à ses
traditions, pour pouvoir douter de ce qui va arriver incessamment.
Vous allez voir dans quelques mois des commis-voyageurs en corrup-
tion et en lâchetés parcourir le pays ; vous allez voir certains journaux
changer de drapeau et de couleur, afin de profiter des avantages qu’on
leur promettra,soit en leur offrant des fonctions publiques, soit en leur
donnant de l’argent qu’on prélèvera sur des budgets occultes et où
personne n’a rien à voir.... que les pauvres qui ne réclament pas.
Vous allez voir réorganiser le système de pervertissement de l’opinion
publique, qui a si splendidement échoué en 1845.Nous ferons litière de
ces choses édifiantes, je vous le promets d’avance,car il estde règle que
ceux qui font naufrage ne négligent, rien, et tel fera le parti théocrali-
que.N’a-t-on pas d’ailleurs faildes efforts surhumains pour ameuter 1rs
libéraux les uns contre les antres, et l’espoir du succès n’a-t-il pas donné
trop de joie au minis!ère,pour ouvrir les yeux aux plus crédules? Aussi,
quoiqu’on fasse, tenez-vous le pour dit, sou plan, de ce côté, échouera
complètement aux élections prochaines ; tous les vrais libéraux seront
unanimement d’accord pour le combattre et pour le vaincre. Nul dans
notre camp ne se laissera circonvenir par de fausses promesses, et ne se
prendra dans leurs pièges quelqu’habilement qu’ils soient ourdis. Les
loups auront beau se faire moutons ; on aura beau envelopper d’un
onctueux langage sa trahison et ses desseins,comme le faitchaque jour
celte fabuleuse Emancipation, personne ne se laissera séduire. Il y a
quelque chose de plus misérable encore que de se faire l’esclave delà
tyrannie, c’est d’être la dope des sophistes corrompus.
La Chambre est entrée jeudi en congé pour trois semaines. Ah !
Blonsieur, ce repos lui était bien nécessaire ! Jugez-en par vous môme.
Voilà un peu plus de cinq semaines qu’elle est réunie. Elle a travaillé
pendant ce temps douze à quinze heures par semaine. Pour un corps
composé de cent hommes à peu près, c’était écrasant et il fallait bien
aviser. Il y avait énormément de besogne. La situation est très criti-
que.— Le peuple a faim, et le ministre des travaux publics appelé à
lui donner de la besogne, dort profondément. — Le trésor public est
quelque peu gêné, c’est vrai, une centaine de lois dont quelques-unes
fondamentales, quelques autres urgentes, toutes nécessaires, sont ar-
riérées ; mais, en définitive, à quoi bon tenir compte de cela. N’est-ce
pas l’usage que MM. les députés profitent de Noël, pour se délasser un
peu dans leur Capoue ? En somme, cette session sera très courte, et
l’on n’aura rien fait, en définitive, que dépensé beaucoup d’argent, et
du train dont on y va, cela ne manquera pas ; déjà, pour le petit nom-
bre de séances que nous avons eues, pas mal de millions supplémen-
taires sont tombés à la charge des contribuables.
Il y a quelque chose de vraiment triste à voir le gouvernement con-
stitutionnel ainsi compris. C’est une étrange manière, de remplir son
devoir de citoyen, que de voir arriver avec joie et de profiter comme
les écoliers d’un jour de fête, pour faire l’école buissonnière. Les séna-
teurs ont aussi leurs familles et leurs intérêts dans les diverses provin-
ces du pays, et ils ne soutsnullement aussi âpres au retour sous le toit
conjugal que Messsieurs nos Représentants.
Je doute fort que cette critique, qui n’est d’ailleurs pas faite pour la
première fois, ait plus de chance d’être prise en considération qu’aupa-
ravant, mais eile n’en existe pas moins.Quand depuis seize ans, on vit
chaque année plusieurs mois sur les crédits provisoires ; quand jamais
les budgets ne sont votés que longtemps après que l’exercice ne soit
en cours, il faudra bien qu’un beau jour un des membres delà cham-
bre, s’en émeuve plus sérieusement que 51M les ministres, et par une
motion d’ordre, à la fois utile et j’allais dire de délicatesse, (car enfin,
nos dépulés sont indemnisés), nous fasse rentrer dans la voie nor-
male des gouvernements représentatifs, en proposant à ses collègues
de rester tant que les budgets ne sont pas votés. C’est si peu de chose,
que de déposer quelques jours de son temps sur l’autel de la patrie,
que, j’en suis convaincu, celui qui le proposerait serait immédiate-
ment accueilli par une approbation générale, et si la famille réclame:
Eh bien ! les pères et les époux, répondront comme 51 De Boutïlers.
Le jour où les députésavaient offertsàla séance, tout l’or et les bijoux,
qu’ils portaient sur eux ; un de ces amis le voyanlsortir sans boucles
à ses souliers de la salle de séances, lui demanda ce qu’il en avait fait :
— Je viens, répondit De Boufflers, de les mettre aux pieds de ta na-
tion !
Uu’cst-cc et que devieut l’Ordre Léopold.
Qu’est-ce que l’ordre Léopold? Dans quel but et pour quel
objet l a-t-on institué? À quoi devait-il servir et à quoi sert-il?
-—• Voilà des questions que s’adressent aujourd’hui avec raison
ceux qui ne voient, ni sans pitié,ni sans quelque tristesse, l’usage
qu’en fait le ministère. A la manière dont il en prodigue les insi-
gnes,on serait vraiment tenté de croire que c’est un de ces pro-
duits de l’industrie nationale pour lesquels un gouvernement soi-
gneux chercherait des débouchés jusqu à l’extrémité du monde.
On ne peut plus ouvrir le Moniteur sans y rencontrer une liste
de gens auxquels on les donne libéralement, comme un gage
de sa bienveillance et de sa satisfaction, et le Moniteur ne dit
pas tout. Hier, c’était un sieur de Morgenstern, appartenant
au duché d’Anlialt-Dessau que l’on nommait grand-officier de
l’ordre Léopold ; puis, on accordait la même laveur à un sieur
de Gossler, du duché d’Anhall-Coëthen et, comme ces Anlialt
ne sont pas les seuls qui soient en Allemagne et qu’un sieur de
Kerstenr.qui est au service d’Anhali-Bprnbourg aurait pu être
jaloux, on s’est vite empressé de lui adresser le même cordon
qu’à ceux d’Anhalt-Dessau et d’Anhalt-Coëthen. M. le minis-
tre des affaires étrangères a même, nousassure-l-on, envoyé un
explorateur chargé d’aller jusqu’en Hongrie, en furetant par-
tout, pour savoir s’il n’y aurait pas quelque part d’autres An-
hait à crucifier. On n’est pas plus cruel que M. Dechamps, et
nous ne désespérons pas de le voir quelque jour fixer avec bien-
veillance la croix de l’ordre Léopold sur la poitrine nue des
princes sauvages de l’Archipel indien. 11 doit bien aussi des
décorations aux magots de la Chine.
C’est là oublier de tout point le but pour lequel l’ordre
Léopold a été institué. Cet ordre a été créé, à l’image de celui
de la Légion-d’Honneur. pour récompenser les services rendus
au pays, dans les différentes carrières, puis le talent des hom-
mes éminents à différents titres. Ce devait être là son unique
usage. Le ministère en fait un tout autre, car , je vous prie,
quels services ont rendus à la Belgique les neuf-dixièmes de
ceux qui en sont décorés? quels services, par exemple, nous
ont rendus ces conseillers d Auhalt-Dessau, d’Anhalt-Coëthen
et d’Anhalt-Bernbourg, pour mériter d’être nommés grands-
officiers de l’ordre Léopold, tandis qu’il y a dans le pays même,
des hommes, et nous pourrions en citer, qui, après vingt-cinq
et trente ans consacrés à soigner la chose publique, n’ont pas
obtenu la moindre distinction ? nous serions fort curieux de
savoir quels titres ces serviteurs de petits ducs allemands ont à
la haute bienveillance du gouvernement belge. Qu’ont ils faits
pour nous, dans le passé ? qu’avons nous à en attendre dans
l’avenir, et, s’il s’agit d’honorer le mérite étranger, par quelles
œuvres se sont-ils d’abord honorés eux-mêmes? Voilà ce que
nous voudrions que M. Dechamps nous apprit.
En jetant ainsi à profusion les insignes de l’ordre Léopold,
au lieu de les distribuer avec économie et discernement, on
ôte à cette institution une très grande partie de sa valeur. Ce
devait être le cachet distinctif d’un petit nombre d hommes
Olivier ne se trouve pas dans le parc pour recueillir un aveu qui Pren-
drait le plus heureux des hommes. Ces bonheurs-là n’arrivent qu’aux
mauvais sujets. Hector de Biron surprend la confidence ; il n’entend
pas bien le nom du mousquetaire adoré ; mais quel que soit son rival
anonyme, il se mettra en son lieu et place. Une correspondance s'en-
gage, un rendez-vous est donné. Hector court se jeter aux pieds de
M11' de Solanges, tandis qu’Olivier d’Entragues remplace son cama-
rade à la tête d’une ronde de nuit.
» Mais hélas! aux premiers mots de M. de Biron, la colombe s’est
envolée. Ce n’est point là ce jeune homme respectueux et timide que
MU'de Solanges avait rêvé. Hector est, pendant la nuit, d’une har-
diesse qu’on ne soupçonnait pas au grand jour Sa bouillante éloquen-
ce effarouche la jeune fille, qui se relire indignée, et l’entreprenant
mousquetaire, entériné à double tour dans la salle des armes, passe
une nuit blanche, maudissant le tapissier du roi, qui rembourre si mal
ses fauteuils. Aussitôt délivré, l’infortuné Hector n’a rien de plus
pressé que le raconter son Illiade à 51. d’Entragues, qui le félicite sé-
rieusement sur sa bonne fortune Mais un malheur ne fond jamais seul
sur la tête d’un mousquetaire ! Olivier, devenu duc de Montbarret par
l’héritage d’un oncle, peut avouer tout haut son amour pour M»'de
Solanges. Il n'est rien de tel qu’un duché pour délier la langue des
plus timides.
» Jugez de l’embarras, des transes et du repentir d’Hector à cette
révélation foudroyante! Si Olivier apprend son équipée, il voudra se
battre avec lui Se couper la gorge avec un ami, c’est dur; mais ce n’est
rien encore auprès de la colère du cardinal, dont les édits nouveaux
punissent de mort tous ceux qui se seront battus en duel, les vain-
queurs aussi bien que les vaincus. Toute la tactique du mousquetaire
consiste alors à empêcher les deux amants de se voir et de s’expliquer.
Un grand bal a lieu le soir même; à force de manèges et de ruses, Biron
réussit assez bien à brouiller les couleurs convenues des dominos,
lorsqu’un événement terrible vient déjouer tousses projets. Legrand
prévôt, Laubardemonl, de sinistre mémoire, fait irruption au milieu
du bal, suivi de gens de justice. Olivier est accusé d’avoir tué en duel I
certain comte de Guébriac, avec lequel il devait se battre en effet le
jour suivant, grâce à la bienveillante entremise du capitaine Roland,
enragé brelteur, vieux raffiné dont la rapière illustre semble avoir di-
vorcé avec le fourreau Olivier est innocent, comme on le pense; mais
sa croix de Jérusalem, gage du combat, a été trouvée sur le cadavre
du comte ; des ch .rges accablantes pèsent sur le jeune mousquetaire.
Legrand prévôt fait un signe, les gardes s’approchent d’Olivier,-on
l’entoure, on l’emmène; lorsque M11» de Solanges, pâle, éperdue, s’é-
lance au milieu des gens de justice, en leur crianL : Arrêtez! celte nuit,
Monsieur n’a pu se battre, car cette nuit, il était près de moi !!
» Au troisième acte, le cardinal, cédant aux prières de la reine, a
pardonné aux deux amants. Le meurtrier deGuébriac a été, d’ailleurs,
découvert ; et Olivier n’e.t coupable que d’avoir aimé la nièce de Ri-
chelieu. Le nouveau duc de Montbarret, sur le point d’épouser M11' de
Solanges, a enfin une entrevue avec elle; Olivier remercie sa fiancée
de lui avoir sauvé la vie par son dévouement sublime, par un géné-
reux mensonge ; mais quels sont le désespoir du mousquetaire, sa fu-
reur concentrée, sa sombre douleur, lorsqu’il apprend de la bouche
BV»
môme de l’innocente jeune fille qu’elle n’a dit que la vérité, en avouant
qu’un homme avait passé la nuit près d’elle. Un autre était donc à la
place d’Olivier ! Celui-ci ne peut douter de l’innocence de 51»' de So-
langes ; il n’ose même pas l’interroger, craignant de ternir, par un
soupçon, la candeur de cette âme noble et fiére. Mais il lui faut une
terrible vengeance. Il prie Hector, son plus fidèle ami, son camarade,
son frère, de l’aider dans ses recherches II lui faut à tout prix la vie de
l’homme qui l’a mortellement offensé. Biron comprend alors combien
sa faute a été grave, et ne voit plus qu’un moyen de la réparer. Il
mourra, mais d’une autre main que celle de son ami.
Périr de l’épée du capitaine Roland, ou de la hache du cardinal, peu
importe. L’essentiel, c’est qu’OIivier soit vengé, sans que ses jours
courent aucun péril. Hector provoque le capitaine ; et après avoir im-
ploré le pardon de son ami par une lettre touchante, s’expose à une
mort certaine, décidé qu’il est à ne point se défendre. La lettre est
confiée à M»' de Simiane. dont la passion pour Hector,longtemps com-
primée, éclate et se trahit dans ce moment suprême. Biron n’en ac-
complira pas moins sa noble résolution. Une écharpe oubliée dans le
pavillon est tombée par hasard dans les mains d’Olivier. 51»'de Si-
miane la reconnaît pour celle qu’elle a brodée et qu’elle a donnée à
M. de Biron. Olivier découvre alors la trahison de son ami. et il reçoit
presque en même temps la lettre d’Hector. A la lecture de ces mots,
tracés d’une main mourante, line violente émotion s’empare d’Olivier.
<: Mon ami ! mon frère ! s’écrie-t-il, hélas ! il ignorait mon amour pour
51»'de Solanges, il ne croyait pas m’offenser : je ne veux pas qu’il
meure ! » 51ais le capitaine parait sur le seuil, pâle, les cheveux héris-
sés, les habits en désordre, u Dieu ! vous l’avez tué ! malheureux ! »
— Est-ce qu’on tue les gens qui ne sedéfendent pas, répond le vieux
raffiné avec une fatuité adorable ; je l’ai puni ; il apprendra à se frotter
désormais à la moustache grise du capitaine Roland.
Hector en est quitte pour une légère égralignure ; et la toile tombe
sur le mariage des deux mousquetaires avec 51»' Athénaïs de Solanges
et M»' Berthe de Simiane. n
Comme on le voit, les situations des personnages sont un peuforcées
dans celte action et la vraisemblance n’y est pas toujours observée.
Il n’est pas naturel d’abord que le capitaine Roland qui chérit d’Entra-
gues comme un fils, cherche à lui atlirer sans cesse sur les bras des
duels, autrement dit des affaires d’honneur, alors que la peine de mort
est prononcée contre tout duelliste ou bien il faut convenir que la loi
ne s’exécute pas; mais alors que deviendra la crainte qui agite Hector
lorsqu’il redoute de se battre avec son ami d’Entragues. de peur que
celui-ci n’encoure la peine de mort ! Cette peine s’applique donc; mais,
dans ce cas, il n’est pas généreux d’exposer le capitaine Roland à la
même peine, pour le plaisir de se faire tuer par lui, à moins que celui-
ci n’échappeà tout contrôle, car il se bal à chaque instant et blesse pu-
bliquement à la fin de la pièce Hector lui-même, sans que l’auteur parle
le moins du monde de ce qui s’ensuit. Comme on le voit, les paroles
des personnages sont démenties par leurs actions. El quand à la timi-
dité et à la candeur de M»« de Solanges, elles laissent beaucoup à dési-
rer en présence de sa correspondance avec un mousquetaire, de son
entrevue avec lui, et surtout de son aveu public à la fin du 2' acte. |