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3 LA BELGIQUE.
avec une large part consacrée à l'élevage des bêtes, et tirant profit des interminables
prairies, comme d'un vaste magasin de fourrages où la chair animale constamment s'élabore
pour les besoins de la capitale. | ”
Ailleurs, une succession de terrains sablonneux et nus, emmélés de broussailles, fait
penser aux landes de la Campine, aux solitudes emplies du froissement des bruyères. Et
de nouveau, ensuite, les aspects changent, le grès crève le sol, la plaine se disloque, on
croit voir saillir sous la eroûte terrestre les premières vertèbres de la grande ossature
ardennaise. En même temps le travail se modifie : la maigreur de la terre ne parvenant
plus à alimenter les paturages, la charrue péniblement fouille ses flancs pierreux afin
d'en faire jaillir les céréales, et laetivité humaine supplée à la production ralentie de la
glèbe; puis, quand lexploitation agricole n'est elle-même plus possible, le pie se taille
ou bien les machines
une voie dans le roc, les carrières ouvrent leurs fissures profondes ;
fonctionnent au sous-sol grondant des laboratoires industriels.
Autour de la ville, toutefois, la campagne présente plutôt
l'aspect d'un grand potager, où les cultures, pareilles aux
cases d'un damier, alternent en carrés réguliers. Anderlecht,
Schaerbeek, Jette, Evere, Laeken, Uccle, Forest et tous les
villages environnants sont le jardin nourricier de l’agglomé-
ration bruxelloise; la terre, spongieuse et brune, fécondée
par un travail régulier et nourrie d'engrais puissants, produit
sans relâche. En tous sens, les banlieues disparaissent sous
le déferlement continu des champs, formant aux maisons une
ceinture d'un velours profond sur lequel se détachent les habi-
tations rurales, disséminées dans ce vert universel, avee le rouge
clair de leurs toits de tuiles, semblables à de grands coquelicots.
Enfilez le mince sentier bordé de haies derrière lesquelles
le paysan engraisse son lopin de terre : l'attirail agraire
emplit partout les hangars, vans, charrues, herses, cylindres,
SE NE OT fourches, bêches et râteaux ; sous le toit sont rangées les
cages en bois où mürit l’aigre pestilence des fromages; dans
les cours, des charrettes bondées de bottes de carottes. de chapelets d'oignons, d'amas de
navets attendent le moment d'appareiller pour la ville; près de l'étable, scintille le cuivre des
cruches à lait; un mätin, le museau allongé sur ses pattes, considère la petite charrette
peinte en vert à laquelle on l'attellera tout à l'heure. Et par les fenêtres basses vous apercevrez,
dans les chambres proprement échaudées, les hommes et les femmes accomplissant des besognes
qui ont trait encore à la terre. C'est une préoccupation unique de faire suer à celle-ci un
rapport sans trève qui lentement augmente l'épargne des ménages; et dès l'aube les routes
grondent sous le roulement de centaines de roues qui, par longs convois, charrient aux citadins
une nutrition plantureuse.
{ci, comme partout, la couleur est la note essentielle de ce train matinal ; elle
domine dans les harmonies fondues de la plante et de la bète, dans les jonchées éclatantes
qui encombrent les chariots, dans le poitrail bosselé des pesants limoniers, chatoyants et
comme caparaçonnés de moire sous les bardeaux étoilés de clous de cuivre, dans les
Joues vermillonnées des paysannes assises entre les paniers, avec leurs bonnets à rubans,
leurs châles ramagés de fleurs, leurs courtes Jupes de tiretaine lie de vin, modelant le dessin
Puissant des hanches. On dirait de savoureuses natures mortes barbouillée sur des bouts
d'horizon, avec des scimtillements, des jets de lumière rose, un ensemble d'accords graves et
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