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Renaissance si heureusement poursuivies en Champagne, en
Picardie et en Normandie; le programme de l’excursion de mai
1885, comprenant Bonn, Coblence, Francfort, Heidelberg,
Spire, Worms, Mayence, Wiesbaden, Andernach, Sinzig,
Remagen, le Drachenfels, a été scrupuleusement suivi jusqu’au
bout, et l’on peut dire que, pour beaucoup d’entre nous, ce
voyage a été une véritable révélation, tant l’impression laissée
par les monuments que nous visitions dépassait l’idée que nous
nous en étions faite d’après les ouvrages ou les photogra-
phies.
A Bonn, un seul monument, la cathédrale, qui initie déjà le
voyageur aux éléments caractéristiques de l’art roman des bords
du Rhin ; l’abside couronnée par une galerie aux légères arca-
tures, les tours carrées du chœur, et l’énorme clocher octogo-
nal du transept constituent un ensemble très imposant; la
travée intérieure de la nef et la crypte avec son pavementpoly-
chrome ont une saveur particulière. Notons encore à Bonn, le
temple protestant ('1871), dont le mobilier, est bien étudié, et
la nouvelle gare, la plus originale que nous ayions rencontrée
au point de vue de la décoration des salles d’attente.
Coblence ne mérite d’être citée que pour son église romane
de Saint-Castor; les façades ont des proportions harmonieuses
et les décorations picturales du chœur produisent un effet
somptueux et sévère. Un hôtel renaissance (en construction) est
traité avec beaucoup d’ampleur.
Passons rapidement le château de Stolzenfels (fort mala-
droitement restauré vers 1840), pour arriver à Francfort,
une des villes dont l’aspect général est des plus intéressants ;
nous y sommes reçus par M. le baron de Reinach, consul de
Belgique (aux démarches de qui nous devons notamment de
pouvoir visiter le nouveau théâtre) et qui nous a communiqué
de nombreux renseignements sur la situation des architectes en
Allemagne; qu’il reçoive ici l’expression de notre gratitude
pour son bienveillant accueil.
Francfort, sans posséder beaucoup de monuments anciens
remarquables, a un air de grande ville qui séduit immédiate-
ment; ses rues et ses places sont largement taillées et bordées
d’hôtels et de maisons de commerce dus à des architectes répu-
tés tels que Wallot, Haenle, Mylius, Bluntschli, etc., mais
qui pèchent parfois (surtout dans les constructions traitées en
Renaissance) par l’enflure des formes et la lourdeur des
détails; ses monuments modernes,la Bourse, l’Opéra,etc.,ont
unegrandeallure ; enfin ses promenades, pittoresquement dessi-
nées, sont entourées de villas élégantes moins réussies cepen-
dant, malgré leur luxe, que celles de Wiesbaden. La cathédrale,
à laquelle on arrive par une enfilade de rues moyen-âgeuses,
vaut une visite surtout pour sa décoration picturales d’un effet
assez théâtral, et en même temps très étudiée dans ses détails;
cette œuvre témoigne du sérieux talent du décorateur, qui a su
harmoniser les riches tonalités d’une palette rutilante, sans
tomber dans, le mirlitonnage de notre école Saint-Luc.
L’Opéra de Francfort, de l’architecte Lucaë est très réussi au
point de vue de l’installation du chauffage, de la ventilation
et des divers aménagements; l’escalier d’honneur présente une
disposition assez étoffée, le foyer offre une jolie combinaison
de pénétrations de voussures; enfin la salle, dont le vaisseau
est énorme, est surtout intéressante dans les galeries supérieu-
res, et dans l’arrangement qui rappelle celui du théâtre
Constanzi à Rome; nous aimons moins la triple avant-scène,
trop développée, qui isole la scène de la salle, et nous ne
prisons guère le parti de décoration, d’une conception bien
sèche et petite d’échelle.
Les façades de la Bourse (architectes Bürnitz et Sommer),
inspirées de la bibliothèque de Saint-Marc, de Venise,
sont trop riches et manquent de calme; mais la grande salle,
d’une ordonnance classico-romaine, est bien comprise et vrai-
ment monumentale.
Si IIeioelberg n’avait pas son château elle serait certes une
ville absolument dépourvue d’intérêt : à part le pont, et l’au-
berge Zum Ritter au pignon orné de volutes échevelées, il
n’y a que désillusion. Mais le château dédommage du reste, et
cause à tous une vive surprise, car l’incolore monographie de
Pfnor ne peut donner qu’une faible idée de l’aspect puissam-
ment monumental du palais de Frédéric le Sage, et de la
grâce toute italienne des motifs du palais d’Otto-Henri, aux-
quels le grès rouge ajoute le charme de sa chaude coloration.
Nous complétons notre visite par un instructif examen des
dessins et relevés du château, exéutés depuis deux ans en vue
d’une restauration prochaine et qui ont été exposés, à l’occa-
sion de notre excursion, sur l’ordre de M. le Ministre de l’In-
térieur; nous lui sommes très reconnaissants de sa délicate
attention, et l’en remercions sincèrement, ainsi queM. Schabber,
architecte ingénieur de la ville d Heidelberg, qui était venu, à
la gare nous souhaiter la bienvenue au nom du bourgmestre,
et nous a fait les honneurs de sa cité avec un cordial empres-
Sément
Que dire de Spire si ce n’est que sa cathédrale est un des
plus superbes édifices qu’ait produits le XIme siècle, et qu elle
est encore aujourd’hui, comme dit Victor Hugo, d une majesté
incomparable. Ses façades, à assises alternées de grès rouge
et jaune, rappellent, comme ordonnance générale, les cathé-
drales de Gênes, de Pise, de Lucques, de Sienne, et ont de
superbes morceaux de sculpture ornementale; le grand porche,
disposé en loggia comme à Lucques, la nef étroite et austere,
le transept et le chœur avec leur riche ciborium, la crypte
surtout, grandiose et sévère, laissent une impression inoublia-
ble.
La cathédrale de Worms n’est qu’une répétition amoindrie
de celle de Spire, et semble plutôt faite pour intéresser un archéo-
logue cataloguant sans cesse qu’un architecte amoureux du
beau; à noter cependant une disposition que l’on retrouve à
Mayence: un chœur à chaque extrémité de la nef.
Mayence, vue au clair de lune, est étonnante de pitto-
resque; un dédale de ruelles étroites, avec échaguettes, bretè-
ches, pignons, etc., conduit sur une place où la silhouette for-
midablement étagée de la cathédrale saisit brusquement. Les
façades du Dom ne perdent rien à être vues pendant le jour;
celle du XIe siècle dont l’abside et les trois tours ont une cer-
taine austérité de lignes contraste vivement avec le caractère
du second chœur du XIVe, et surtout du Dôme, colossal entas-
sement architectural achevé malheureusement au XVIIIe siècle.
On ressent à l’intérieur la même impression qu’à Spire et
Worms; la nef, simple, presque brutale, est bien delà même
famille que les cathédrales de ces deux villes, et le chœur pro-
duit un effet assez imposant grâce à un arrangement d’escaliers
et de, terrasses qui lui font dominer toute l’église. Ce qui émer-
veille surtout, ce sont les admirables tombeaux des archevêques
électeurs, qui mériteraient chacun une élogieuse description,
tant pour le sentiment des figures que pour le goût déployé dans
la sculpture décorative. Ces tombeaux sont au nombre de 38,
savoir : I du VIIIe siècle, 2 du XIIIe, 6 du XIVe, 6 du XVe,
11du XVIe, 8 du XVIIe et 4 du XVIIIe. Attenant à l’église se
trouve un beau cloître du XIVe siècle et dans la salle capitulaire
de ravissantes stalles en bois sculpté qui témoignent de l’habi-
leté et de la fertile imagination des artistes de la Renaissance.
Ce qui reste à voir à Mayence, en dehors de la cathédrale,
est vite vu ; quelques églises possédant de superbes décorations
Louis XV qui seraient mieux à leur place dans un théâtre;
l’ancien château des électeurs d’une Renaissance absolument
décadente, une jolie fontaine, une vieille porte de ville, et un
pont monumental inauguré récemment.
Les jardins et les promenades de Wiesbaden valent leur
réputation ; ce qui est moins connu, ce sont les jolies villas qui
égaient le paysage de leurs taches de couleur et dont les archi-
tectes ont varié à l’infini les effets par l’emploi de grès, briques,
marbres, mosaïques, sgrafitti, etc. Il y a beaucoup à apprendre
à Wiesbaden, au point de vue de l’architecture des maisons de
campagne; les architectes belges peuvent y constater la supé-
riorité du goût de leurs confrères allemands.
Nous ne pouvons adresser les mêmes éloges aux sculpteurs
qui ne possèdent pas l’élégance de la composition et la grâce
de la forme des sculpteurs français, à en juger par une œuvre
toute récente: le monument de la Germania au Niederwald.
Malgré les qualités que l’on trouve dans les figures d’une allure
crâne, l’on est obligé de reconnaître que les ajustements et les
détails décoratifs sont d’une lourdeur désespérante qui nous
choque, quelque habitués que nous soyons aux exubérances
flamandes et aux boursoufflures rubéniennes.
La dernière journée de l’excursion nous réserve encore quel-
ques agréables surprises. Andernach nous montre une petite
église romane à laquelle les critiques les plus sévères ne trou-
vent rien à reprendre: ses tours ont des étages bien propor-
tionnés et une toiture caractéristique, la sculpture du portail
latéral est de la meilleure époque, le groupement des colon-
nettes de l’abside est pittoresque, enfin l’intérieur, avec ses
coins sombres où l’œil découvre ici un escalier intéressant, là
un tombeau ou un motif sculptural, a un charme inexprima-
ble. Le donjon de 1520, le vieux château, l’enceinte fortifiée
achèvent de donner à Andernach un cachet tout particulier.
L’église de Sinzig, elle, n’atteint pas ce degré de perfection,
car les façades seules sont de quelque valeur; les proportions
trapues de la nef et du chœur conviennent bien à une église
de village, mais la décoration picturale en est trop riche. La
décoration de l’église Saint-Apollinaire de Remagen ne manque
pas de qualités de composition, mais la tonalité trop éclatante
des divers panneaux a le grave défaut de détruire l’architecture
au lieu de faire corps avec elle.
Enfin le château du Drachenfels (architectes Tusshaus et
Abbema), traité en style ogival, réunit tous les suffrages; les
façades, d’une composition très variée, contiennent un bon
nombre de motifs absolument réussis, et l’intérieur, avec son
grand escalier et ses salles de fêtes superbement décorées par
les meilleurs peintres de Munich et de Stuttgart, constituent la
plus splendide demeure seigneuriale que l’on puisse rêver.
Nous sommes reçus à notre arrivée à Cologne, par M. Lede-
ganck, consul général de Belgique et présentés ensuite a
MM. Stübben, architecte de la ville, Siegert et Muller qui nous
souhaitent la bienvenue au nom de la Société des architectes et
ingénieurs du Bas-Rhin et de la Westplialie; nous faisons, le
lendemain, plus ample connaissance avec un grand nombre de
nos confrères de Cologne qui nous accueillent avec des senti-
ments de sympathique confraternité auxquels nous sommes
très sensibles.
Il n’entre pas dans nos vues de décrire les nombreuses et
belles églises de Cologne; une étude spéciale de M. De Waele,
qui paraîtra prochainement, traitera de l’architecture religieuse
rhénane. — Disons seulement, pour terminer, que les façades
de la cathédrale nous ont paru bien sèches, que les décorations
de Sainte-Marie-au-Capitole et de Saint Martin nous ont plû
par leur grand style et leur sobriété, que l’Hôtel-de-Ville et le
Gürzenich ont des parties très pittoresques, et que la biblio-
thèque et les archives jettent une note gaie dans le vieux Colo-
gne. Les nouveaux quartiers, dont le plan a été exécuté par
M. Stübben à la suite d’un concours, sont intelligemment
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tracés et embellis par des habitations très variées de style et
de matériaux.
Les dernières heures de notre séjour en Allemagne ont été
consacrées à un banquet où les toasts échangés nous ont
prouvé, comme l’a très-bien dit notre confrère M. Stübben,
que l’art n’a pas de frontières et qu’un même lien fraternel
unit les architectes de tous les pays.
Résultats de Concours.
Concours Conscience. — Trente-trois projets. — Le
1er prix consistant clans l’exécution pour une somme de
20,000 francs a été décerné à M. Franz Joris, statuaire à
Anvers, par cinq voix contre quatre. — On connaît la compo-
sition étrange du jury et l’organisation vicieuse du concours
signalée dans notre 7e livraison.
Nous reviendrons prochainement à ce concours.
Concours de l'Académie de Belgique. — Le sujet de ce
concours, « un cimetière » n’était guère attrayant, néan-
moins sept concurrents se sont présentés. — Le projet de
M. Charles Dewulf, de Bruges, élève de M. de la Censerie
a été jugé, à juste titre, comme étant le meilleur. Nos félici-
tations au jury et au jeune lauréat.
M. Vander Haeghen, de Gand, a obtenu une mention hono-
rable.
Concours de la Croix Rouge. — Le concours pour un
modèle type de baraque-ambulance mobile avait réuni, en
septembre dernier, à Anvers, un grand nombre de modèles
en grandeur d’exécution, modèles réduits et projets. Le prix
de S,000 francs a été très justement décerné à MM. Unmack
et Christoph de Copenhague, qui avaient exposé deux différents
types de baraque très bien disposées et présentant, dans des
formes modestes, le caractère exact de leur destination.
Allemagne. — Le concours ouvert à Berne pour les plans
d’un nouveau parlement vient d’être jugé ; parmi les 36 pro-
jets présentés c’est celui de M. Bluntschli qui a remporté la
lre prime ; quatre autres primes ont été décernées aux projets
de MM. Auer de Vienne, Walser et Friedrich de Bâle, Girardet
et Bezencenet de Paris, Hirsbrunner et Baumgarl de Berne.
Le total des primes s’élevait à 12,000 francs.
EXPOSITION NATIONALE D ARCHITECTURE EN 1886.
Nous rappelons à tous nos confrères l’Exposition nationale
d’architecture que notre Société organisera en mai 1886, avec
le bienveillant concours du Gouvernement et de la Ville de
Bruxelles. Nous les prions instamment, non seulement de nous
préparer de nombreux envois, mais aussi de nous signaler les
dessins de monuments anciens, de fragments d’architecture
nationale du Moyen Age ou de la Renaissance qui pourraient
contribuer à rendre intéressante la partie rétrospective de notre
exposition, à laquelle nous comptons spécialement donner des
développements considérables.
ŒUVRES PUBLIÉES
Grand concours d'architecture de 1862. Premier grand prix.
PI. 12.
Notre planche 12 donne les reproductions du plan et de la
façade principale d’un projet d’athénée royal qui valut, en 1862,
à son auteur M. De la Censcrie, élève de l’Académie des Beaux-
Arts de Bruges, le premier grand prix de Rome.
Il est incontestable que la partie capitale de ce travail con-
stitue ce qu’en termes académiques l’on appelle un beau plan ;
les proportions générales en sont bonnes ; les grandes divisions
du monument sont bien groupées et bien reliées les unes
aux autres. Toutefois nous n’examinerons pas pourquoi la
conciergerie ressemble à l’habitation du préfet et sont éloignées
le plus possible l’une de l’autre; pourquoi la surface totale est
si grande alors que l’établissement ne comprend que 8 classes
au rez-de-chaussée, pourquoi cette quantité de galeries, de ves-
tibules et de couloirs ; ce sont là des défauts inhérents au prin-
cipe des études classiques qui veut, avant tout, que l’on fasse
grand sans s’inquiéter des détails ; la ligne, la forme d’abord;
le reste viendra ensuite !
Seulement, si l’on se reporte à l’époque où ce projet fut conçu,
l’on doit reconnaître qu’il atteste sur ses devanciers de
grands et sérieux progrès ; la façade ne manque pas de carac-
tère et n’est point banale; elle plaît par sa simplicité même et
par la bonté de ses proportions.
En somme cette œuvre de jeunesse faisait pressentir ce que
devait devenir son auteur, c’est-à-dire un de nos bons archi-
tectes contemporains, celui à qui nous devons jusqu’à ce jour,
la scrupuleuse restauration du Greffe de Bruges, que nous venons
de faire connaître à nos abonnés et l’intéressante école normale
de la même ville que l’on peut mettre en parallèle avec les
établissements similaires d’Angleterre ou de Suisse.
Maison Boulevard Frère-Orban à Liège. PI. 13 et 14.
La ville de Liège, à l’exemple de presque toutes les grandes
villes du continent, a vu de grandes transformations s’accom-
plir dans ses murs, et la création du quartier de l’Ile du Com-
merce a été, pour la vieille cité de Notger, un beau fleuron ajouté |