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édifie, en 1552, cette merveille sculpturale que l’on appelle
le Tabernacle de Léau, et, vers 1559, construit le jubé de la
cathédrale de Tournai. C’est par centaines qu’apparaissent,
avec les tabernacles et les jubés, les autels, les mausolées, où
la renaissance flamande affirme son originalité et sa fécondité ;
c’est par milliers que les fabricants de notre pays et surtout
ceux de Bruxelles produisent ces tapisseries historiées, où, non
contents de retracer les scènes de l’Ancien et du Nouveau Testa-
ment et les événements les plus remarquables de l’époque
même, ils mettent à contribution, on pourrait dire à sac, les
auteurs de l’antiquité. Tout y passe: Homère comme Quinle-
Curce, Ovide aussi bien que Virgile, les scènes d’amour comme
les scènes guerrières, la mythologie et les temps héroïques.
Dans les vitraux aussi, le rôle de l’architecture devient pré-
dominant. L’église de Sainte-Gudule en fournit un exemple
frappant. Au jubé, le vitrail donné par Erard de la Mark et
représentant le Jugement dernier, est encore dessiné d’après
l’ancienne méthode : la scène religieuse occupe tout le vitrail
sans qu’aucun détail secondaire en altère l’ensemble; au con-
traire, dans les belles fenêtres que Bernard Van Orley et son
élève Michel Coxie ont marqué de leur empreinte, ce qui
attire le regard, c’est un imposant arc de triomphe qui y forme
le motif principal de la décoration, et dont les belles propor-
tions rehaussent l’heureuse distribution des personnages et des
accessoires.
Quelques édifices de la première moitié du XVIe siècle
accusent, entre nos architectes et ceux de l’Espagne, des rap-
ports qui devraient être mieux précisés. Plusieurs des maîtres
qui travaillèrent avec les Egas et les Guas revinrent sans doute
en Belgique et inspirèrent à leurs camarades le goût de cer-
taines dispositions et de détails d’ornementation goûtés en
Espagne. Il est presque impossible qu’il n’y ait pas eu dé liens
de parenté entre le premier des Egas et Jean Vander Eycken,
qui vécut à Tolède de 1459 à 1494, ou son homonyme,
Bruxellois et architecte comme lui, qui est cité en 1491 et en
1505. Le second était probablement fils ou neveu du premier.
L’ancienne bourse d’Anvers et le palais de Liège, avec leurs
cours intérieures, leurs galeries couvertes, leurs colonnes
chargées de moulures et d’ornements de tout genre, reportent
l’esprit vers ces contrées méridionales, où l’on recherche avec
tant de soin l’ombre et la fraîcheur, et où l’imagination des
Arabes a enfanté les merveilles d’élégance et de délicatesse
dont les salles et les cours de l’Alhambra de Grenade sont
restées les types. Ces derniers furent très goûtés chez nous,
car j’ai retrouvé à Wemmel, dans une villa sans importance,
quelques colonnes qui les reproduisent, et très probablement
on en rencontrerait bien d’autres dans le pays. François Borset,
de Jupille, qui construisit le palais de Liège, vers 1536, était
probablement allé au delà des Pyrénées.
Dans les villes les hôtels, à la campagne les châteaux subi-
rent une transformation complète. Au lieu des maisons à tours
sombres, massives, qui plaisaient aux nobles et aux patriciens
du moyen âge, on réclama de spacieuses demeures, à larges
escaliers, à grandes cours, ayant des galeries, des portiques,
des dépendances vastes et aérées; telle était la splendide mai-
son que le célèbre Vésale se fit bâtir et qui se trouvait à peu
près à l’endroit où l’on a pratiqué une place en avant du
nouveau Palais de justice de Bruxelles.
Il ne subsiste plus rien de la « Maison de Vésale » (’t huis
van Vesalius), mais on peut visiter le châteaude Gaesbeek, qui
date en grande partie du XVIe siècle, époque où il fut rebâti
de fond en comble par Martin de Hornes, qui s’y ruina. On y
trouvera un charmant escalier, tournant sur lui-même, qui
constitue un beau spécimen de l’architecture du temps. Le
palais Granvelle, aujourd’hui l’Université, à Bruxelles; la Mai-
son des Poissonniers, de Malines, l’hôtel de ville de Léau,
quelques maisons des Métiers, à Anvers; le Greffe du Franc
de Bruges, sont aussi des édifices à étudier.
Quant aux monuments religieux, on continua à y employer
le style ogival. Mais si grand était l’engouement pour le style
de la Renaissance, que l’on conçut le projet, à Anvers, de
reconstruire la collégiale de Notre-Dame sur de plus amples
proportions et dans le style de Saint-Pierre, de Rome. On
commença les travaux, mais ils furent arrêtés par les commo-
tions politiques et bientôt ajournés pour toujours.
Il est presque impossible d’établir une comparaison entre les
architectes qui ont le plus coopéré à la rénovation de l’art et
d’assigner un rang à chacun. Le nombre est considérable.
Pourtant on peut citer en première ligne Coecke, Lombard et
Floris.
Pierre Coecke, qui fit un voyage en Orient aux frais d’une
famille de tapissiers bruxellois, travailla surtout pour les fabri-
cants de tentures, et l’on peut sans hésitation, je crois, lui
attribuer les cartons de la célèbre Histoire de Vertumne et de
Pomone, plusieursfoisexécutéeen tapisserie. Dans ses dessins,
il multiplie les amortissements, les gaines à corps de satires,
les panneaux à compartiments, les corbeilles de fleurs et de
fruits, les torchères, les coquillages, mille riens qui égaient et
varient les compositions. Il exerça aussi une grande influence
sur les artistes de son pays en traduisant en flamand une partie
des œuvres de Serlio. A Liège, ce fut Lambert Lombard, un
autre admirateur et élève de Mabuse, qui introduisit la Renais-
sance. Revenu de l’Italie, où il avait accompagné le cardinal
anglais Réginald Polus ou Poils, il forma plusieurs hommes de
mérite, tels que Goltzius, Guillaume Key, les Floris.
C’est à lui qu’on dut l’hôtel du chanoine Van Wyngaerde,
qui existait encore en 1829, et le portail de l’église de
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l’abbaye de Saint-Jacques. Lombard mourut au mois d’août
1566, laissant un nom universellement respecté, après une
vie passée dans l’intimité de tous les hommes remarquables de
son temps.
C’est auprès de lui que se forma Corneille De Vriendt dit
Floris, né à Anvers en 1518, d’un autre constructeur, nommé
aussi Corneille, et frère de Jacques, le verrier, de Jean, le
peintre céramiste, et de Frans, que l’on a surnommé avec une
évidente exagération le Raphaël flamand. Corneille fit, comme
tant d’autres, le voyage d’Italie; il fut plutôt le continuateur de
Coecke que de Lombard, et ce sont des ornements dans le
genre de l’Alostois qu’il emploie de préférence. Entré dans la
gilde de Saint-Luc en 1539, il orna l’album de cette confrérie,
en 1546, de lettrines pleines de verve et d’humour et où percent
d’évidentes intentions satiriques. II exécuta aussi des séries de
dessins, soit pour des tapisseries, soit pour des autels, tom-
beaux ou fantaisies, et ces derniers furent gravés en 1556.
Outre son chef-d’œuvre, le tabernacle de Léau, qui date de
1552, on lui doit l’hôtel de ville d’Anvers, la Maison hanséa-
tique de la même ville et le jubé de Tournai.
La maison communale d’Anvers, dont la première pierre fut
posée le 27 février 1561, forme un quadrilatère isolé, ayant
un avant-corps au milieu de sa façade principale. Les maté-
riaux les plus précieux furent employés dans cet édifice, dont
le revêtement est en partie de marbre rouge veiné. Sa construc-
tion coûta plus de 400,000 florins. Il impose surtout par sa
masse, mais l'on ne peut en dire, de même que de la Maison
hanséatique, que l’effet perspectif est heureux. L’ensemble
pèche par la lourdeur. Tout autre est le jubé de Tournai,
dont la disposition est plus gracieuse, plus harmonique.
On pourrait encore attribuer à Floris le tabernacle de Suer-
bempde, ce bijou perdu dans un hameau voisin de Tirlemont,
et l’hôtel de ville de Léau. Ses œuvres ont été souvent imitées.
C’est ainsi que les hôtels de ville de Flessingue et de Leyde,
bâtis, le premier en 1594, le second en 1599, sont évidem-
ment inspirés de celui d’Anvers; on reconnaît également la
manière de Floris dans plus d’un monument des pays Scandi-
naves, tels que la tombe des rois de Danemark, dans l’église de
Roeskilde, et celle des rois de Suède, à Upsal. Le style affec-
tionné par Floris s’y retrouve d’une manière si complète, que si
ces monuments funéraires n’ont pas été exécutés par lui, ils
sortent du moins des mains de ses élèves ou de ses imitateurs.
Lorsqu’il mourut, le 15 octobre 1575, il avait généralisé en
Belgique l’emploi du style qui y avait à peine fait son appari-
tion à l’époque de sa naissance.
A propos de Floris, dont la biographie est peu connue, qu’il
me soit permis de citer un épisode emprunté à des documents
officiels du temps et constituant un tableau fidèle de l’état des
mœurs. Il visitait souvent un petit monastère de l’ordre de
Cîteaux, dont il est inutile de dire le nom, et qui avait pour
supérieure une dame appartenant à l’une des plus illustres
familles de l’Europe. Livrée aux suggestions de l’abbé d’Alne,
Guillaume Noël, à qui elle devait son élection, cette dame
entretenait avec lui des relations coupables et ne se gênait pas
pour le recevoir dans sa chambre à la fin de la soirée. Pendant
trois ou quatre ans, elle reçut aussi très fréquemment la visite
de Corneille, c’est-à-dire de Floris, et il arriva une nuit que
l’abbé d’Alne et l’Anversois, s’étant rencontrés, se querellèrent
à propos de leur amie commune et faillirent se battre. Corneille
ayant trouvé des lettres écrites à son rival par l’abbesse, les
fit imprimer à Anvers, ce qui occasionna, comme on peut le
penser, un grand scandale.
Les autorités laïques et ecclésiastiques témoignèrent à ce
sujet un vif mécontentement. L’abbé de Morimond, visiteur
général de l’ordre, fit à l’abbesse d’énergiques remontrances;
l’évêque de Liège, Robert de Rergues, voulut la déposer ; le
duc d’Albe lui adressa des paroles sévères, la cité de Liège
blâma hautement sa conduite, ses religieuses se plaignirent de
l’abandon dans lequel elle les laissaitet de sa prodigalité envers
l’un de ses frères et des étrangers. Rien n’y fit. Elle était si
bien apparentée qu’on n’osa rien contre elle; puis les temps
devinrent difficiles, lestroubles de religion firent naître d’autres
préoccupations et l’abbesse put vieillir sans être inquiétée. Elle
ne mourut que dans les premières années du XVIIe siècle.
J’ai revu, dans une de mes promenades, la ferme paisible
qui remplace aujourd’hui le monastère dont je viens de parler.
C’était l’heure de midi ; rien n’y troublait la tranquillité de la
grande cour et des nombreux bâtiments qui l’enceignent de
toutes parts. Au dehors, la campagne, presque déserte, jouis-
sait également d’un calme complet. Dans cette plaine inondée
de lumière et chargée de moissons, rien ne rappelait les
guerres et les brigandages dont elle eut tant à souffrir, de
même qu’à l’intérieur de la ferme on ne put me montrer
aucun vestige de l’abbaye, et l’on ne savait plus rien des scènes
d’amour, des intrigues dont elle fut le théâtre. Ici régnait
l’oubli du passé, comme aux alentours tout était silence et repos.
(A continuer.) Alphonse WAUTERS.
Société Centrale d’Architecture de Belgique
Assemblée générale mensuelle du 3 juillet 1885.
Présidence de M. V. Dumortier.
M. le Président, annonce à l’admission de M. Ch. Billoré,
architecte à Amiens, en qualité de membre correspondant.
La bibliothèque a reçu :
1. Architektonische Rundschau, revue de MM. Eisenlohr et
Weigle; don de M. Engclhorn, éditeur à Stuttgart.
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2. Autographies des Magasins du Printemps, par Paul Sé-
dille, architecte à Paris; don de l’auteur.
Des remerciements sont volés aux donateurs.
Les divers rapporteurs de l’excursion aux bords du Rhin
donnent ensuite lecture des études qu’ils ont faites sur les
monuments anciens et modernes des villes qu’ils ont visitées :
Bonn, Coblence,Francfort, Heidelberg, Mayence, Cologne, etc.,
par les richesses artistiques de haute valeur qu’elles possè-
dent, donnent lieu à des dissertations comparatives, d’un
grand intérêt pour l’histoire de l’art.
L’assemblée, par ses applaudissements, rend hommage au
mérite de ces travaux; elle entendra, dans une prochaine séance
les rappports sur Spire et Worms, sur le théâtre de Francfort
et sur la peinture décorative en Allemagne.
La séance est levée à 11/1/2 h.
Assemblée mensuelle du 7 août 1885.
Présidence de M. J. Brünfaut, Vice-Président.
Le Président fait à l’assemblée les communications suivantes :
La Société des architectes de la Seine-Inférieure regrette de
devoir nous annoncer que le nombre des adhérents étant trop
minime, l’excursion qu’elle avait projetée en Belgique n’aura pas
lieu ; comme témoignage de sympathie la Société nous offre un
album des principaux monuments de Rouen.
M. P. Wallon, architecte àParis, nous adresse un exemplaire
de son travail sur les concours publics ; M. Peeters, architecte
du gouvernement hollandais nous offre des photographies du
ministère de la justice qu’il a construit à La Haye;
L’Administration communale de Liège nous fait savoir que
notre proposition de la mise au concours public du monument
à ériger à feu Rogier sera examinée en temps opportun.
Il est décidé que la Société adressera à la commune de
Molenbeek-Saint-Jean une demande de mise au concours public
du nouvel Hôtel communal.
M. Evers, secrétaire de l’Exposition qu’organise la Société
Architectura et Amicitia d’Amsterdam, invite les membres de
notre Société à prendre part à cette exposition.
La proposition relative au diplôme, rédigée comme suit, est
adoptée à l’unanimité: « Sur la proposition du Comité ou sur
« une proposition signée par cinq membres, il pourra être
« décerné par l’assemblée générale, un diplôme à toute per-
« sonne ayant rendu des services à la Société ou ayant été
« primée dans un concours ouvert par la Société. »
Sur la proposition du Président l’assemblée adopte à l’una-
nimité la proposition suivante :
« Sur une proposition du Comité ou signée par cinq mem-
« bres, le titre de Société correspondante pourra être dé-
« cerné par l’assemblée à des Sociétés artistiques. »
Comme suite à cette décision le titre de Société correspon-
dante est conféré aux Sociétés suivantes :
Société des architectes du Nord de la France, à Lille.
Société des architectes de la Seine-Inférieure,’à Rouen.
Société Architectura et Amicitia, à Amsterdam.
Société des architectes et ingénieurs du Bas-Rhin et de la
Westphalie, à Cologne.
Société académique d’architecture de Lyon.
M. Rau donne lecture du rapport de la Commission de
l’agenda de l’architecte. La discussion des différents chapitres
de cet agenda est remise à une prochaine séance.
Le Président rend compte de l’audience que M. le Gouver-
neur du Brabant a accordée aux Président et Vice-Président
de la Société pour l’entretenir de l’utilité de mettre en con-
cours public les monuments provinciaux et les monuments
communaux pour l’érection desquels la province accorde
des subsides, M. le Gouverneur s’est déclaré grand par-
tisan des concours publics et a promis formellement aux
délégués de la Société d’user de son influence pour faire triom-
pher dans toutes les circonstances où ce sera possible le prin-
cipe équitable des concours publics.
C’est d’ailleurs dans ce sens que l’honorable Gouverneur du
Brabant s’est prononcé en clôturant la séance du conseil pro-
vincial du 14 juillet 1885, dans laquelle, à l’occasion d’une
requête que lui avait adressée la Société, ce collège s’est occupé
des concours publics.
Des remerciments ont été adressés par la société à
MM. Reisse, Dustin, Delecourt-Wincqx, qui ont pris successi-
vement la parole en faveur des concours publics.
Après l’examen du programme du concours pour un monu-
ment commémoratif à ériger à Henri Conscience, l’assemblée
décide de protester contre l’organisation vicieuse de ce con-
cours.
L’assemblée décide d’adresser, lors de la session prochaine,
une pétition aux chambres législatives, afin d’obtenir l’addition
au projet de loi sur la propriété artistique, de l’article 5 de la
loi française ainsi conçu: « Le droit de reproduction matérielle
« ou graphique d’une œuvre architecturale appartient exclusi-
« vement à l’architecte sauf stipulation contraire. »
M. Brunfaut annonce à l’assemblée que la Société des archi-
tectes du Nord de la France (Lille) a conféré à notre Président
M. Dumortier, le titre de conseiller honoraire.
La séance est levée à II heures,
Excursion en Allemagne.
Après trois excursions annuelles faites en France, la Société
Centrale (l’Architecture de Belgique a pensé que le moment
était veuu, pour ses membres, de se rendre en Allemagne afin
d’y continuer les études d’architecture du Moyen Age et de la |