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150 LA BELGIQUE.
docks pour recevoir les cargaisons qui lui viennent de partout. Chaque vague de son fleuve
roule de l'or, sous les espèces des produits variés qu'enfante la terre ou qu'engendre Île
travail des hommes ; el régulièrement, d'un effort sans hâte et sans trève, elle fait au soleil
sa grosse besogne d'ouvrière qui ne connail pas la lassitude. Parcourez ses rues, vous y
verrez se confondre les types les plus dissemblables : le Russe à l'œil gris, à la barbe
longue, aux membres courts et trapus, l'Anglais roux et flegmatique, l'Éthiopien basané,
le Nègre couleur de vieux bronze, le Hollandais fumé comme un saumon, l'Italien saccadé et
nerveux, l'Espagnol toujours prêt à Jouer du couteau, le Norvégien géant et doux,
reflétant dans ses prunelles bleues l'eau dormante de ses lacs, le Français agile et bondissant,
l'Américain largement planté sur ses pieds, enfant d'une terre libre. Toute cette foule,
saturée de senteurs marines, promène dans la ville ses vareuses bigarrées, ayant dans
l'œil la nostalgie des grands voyages, population fluctuante,
amalgamée, furtive, qui se mêle à la race commerçante
du terroir.
Dès les premières heures du jour, la cité présente une
animation de fourmilière, toutes les rues emplies d’allées
et venues affairées, les longs haquets broyant le pavé sous
leurs énormes roues, un peuple d'êtres poudreux et hälés
circulant sous des fardeaux. Les commis penchés sur leurs
bureaux font grincer leurs plumes; un bruit de forge sort
des magasins; les entrepôts se vident et se comblent ;
principalement le long des quais, sur le fleuve, dans les
docks et les bassins, la vie se fait intense, gronde, halète,
d'un ahan perpétuel qui crie sous le ciel, mêlé au beugle-
ment des machines et au elapotement des eaux.
Jusqu'au soir, lAnversois est l'homme des affaires et
de l'argent (1). Si vous le rencontrez dans la matinée, il
vous hbousculera sans vous regarder, laissera tomber un
bonjour sec, en dérobant sa main. Il ne connait point d'amis
avant l'heure de diner, divise l'humanité en acheteurs et
ENTRÉE DE LA BOURSE. en vendeurs, ne considère plus les choses qu'au point de
re vue de l'offre et de la demande. Une demi-heure de répit
à midi pour déjeûner, un quart d'heure de détente après les transactions de la Bourse, voilà
tout ce qu'il ose distraire de sa journée de travail. Toutes les facultés de son être convergent
au Loose palais qu'il s'est construit au cœur de la cité, comme la glorification de ses
activités. Là, sous ces voûtes magnifiquement décorées auxquelles s’attachent les puissantes
nervures du fer contourné en ares et jaillissant en colonnes, dans le cadre splendide d'un hall
gothique distribué selon les nécessités modernes, il se sent maître et roi; il n’a qu'un pas à faire
pour communiquer avec les deux Amériques; le télégraphe incessamment lui apporte des
nouvelles de toutes les contrées de la terre : des flottes de steamers et de voiliers n'attendent
Fée signal pour appareiller. Le puissant organisme commercial de la métropole se résume
véritablement, en ce moment, dans ce gros homme bruyant et affairé qui court, les mains
ouvertes devant lui, comme un conquérant. Le port et sa prodigieuse agitation se répereutent
dans les s de son cerv Ï I
s les mouvements de son cerveau: il soufile avec les poumons de ses machines, respire par
(1) Je remercie ici, à propos de <
ee cle . à propos de ces notes sur Anvers, ses habitants et ses particularités locales, l’auteur de « La
arthage » ice sarivai ©. . ï à
dA R A AE à e puissant écrivain Georges Eekhoud qui voulut bien mettre à ma disposition sa rare pénétration
observateur et fixa les meilleurs traits de cette étude. |