Full text |
PROVINCE D'ANVERS. 149
transporté dans une atmosphère de légende, parmi des existences royales, un train de cour
où trônaient des peintres, des musiciens, des sculpteurs, un faste de cortèges empanachés
et de joyeuses entrées qui faisaient lever des ares de triomphe au carrefour des rues avant
que le féroce Alvarès de Tolède vint pratiquer ses saignées terribles au cœur des provinces
flamandes. Où finit le réel? Où commence le mensonge? On rêve, on croit se souvenir
cependant que de quart d'heure en quart d'heure, le carillon de la cathédrale égrène son
chapelet de notes sautillantes ; leurs vibrations se répercutent dans la ville, s'éteignant, se
réveillant, cognant par moments les vitres comme les tintements d'un rire moqueur, et
d'autres fois s'alanguissant en des points d'orgue, un murmure de soupirs, quelque chose
du vibrant silence qui suit un chant expiré.
IV
Grandeur, décadence et renaissance d'Anvers. — Le négociant au travail et au repos — Les théâtres. — Le café-
concert, — Diverses classes d’Anversois correspondant à des quartiers divers de la ville. — Les démolitions: Ja porte
Royale ou de l’Escaut, le Marché aux Poissons et les vestiges des premières fortifications d'Anvers. — La légende de
Salvius Brabo et du géant Antigon. — Origine et armoiries d'Anvers. — Handwerpen ! — Le Steen de l'Inquisition. — La
Halle des Bouchers. — Le Guignol anversois — L'Hôtel de Ville — La maison Hanséatique. — La maison de Hesse. —
La maison Hydraulique et Gilbert van Schombeke.
Il est des villes privilégiées entre toutes et qui, semblables à l'oiseau fabuleux, renaissent
de leurs cendres. Telle est Anvers. Héritière au quinzième siècle de la prospérité de Bruges,
elle arrive à l'apogée de sa splendeur commerciale à l'époque de la Réforme ; les guerres de
religion, les proscriptions du duc d’Albe, les sièges qu'elle soutient contre Alexandre Farnèse,
duc de Parme, les traités européens qui sacrifient son port, les changements du joug qu’elle
subit la dépeuplent et la ruinent ensuite, jusqu'au moment où la conquête la jette aux
mains de Bonaparte.
Avec cette sûreté de coup d'œil que ses thuriféraires comparaient au regard de l'aigle,
le grand batailleur, qui savait être aussi à l'occasion un grand économiste, comprend le
parti qu'on peut tirer de sa situation topographique, de son fleuve, merveilleux instrument
de stratégie, de son port, le plus sûr du monde. Si on l'a condamné à mort, c’est parce que
toutes les puissances convoitaient ce riche morceau : ne pouvant se le partager, elles
ont mieux aimé qu'aucune d'elles ne jouit de sa possession. Mais Napoléon, qui n'a ni les
scrupules ni les craintes des potentats de la Paix de Munster et de Nimègue, décide que
le moment est venu de restituer à la métropole décadente son ancienne importance. Anvers
graduellement voit s'élever ses premières installations maritimes modernes, celles-là même
qui furent étendues plus tard par les rois belges Léopold [* et Léopold IF, après avoir été
négligées sous le régime hollandais pour ne point porter ombrage à Amsterdam, sa rivale.
Anvers est actuellement la grande ruche où s'opèrent les trafics internationaux, où
s'élaborent les fortunes particulières, où s'alimente la richesse publique ; les millions sy
enfournent journellement au creuset des affaires; elle est un des foyers les plus puissants
de la prospérité nationale, et son activité n'a de comparable que celle des plus vastes ports
de l'Europe.
D'un bout à l'autre de l'année, les vaisseaux abordent en ses eaux et tous les
pavillons du monde flottent à leurs mâts; ses quais incessamment s'encombrent des ballots
que les Indes, les deux Amériques, les Iles lui envoient, et elle n'a point assez de ses |