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LA FLANDRE ORIENTALE. 289
à l'endroit où, avant la sienne, se dressait la statue d'une Minerve jacobine, qui elle-même
avait succédé, instabilité des gloires de ce monde, au Charles-Quint monumental élevé par
les Gantois dégénérés, baisant la main qui les avait si rudement châtiés.
Rien n'est mélancolique comme cette espèce de concession à perpétuité d'un com de
place, soumise aux vicissitudes des temps et dont les statues s'éboulent, plus fragiles que
des monts de sable. Quelle Minerve en marbre ou en bronze aurait d’ailleurs pu tenir
sur ce sol mouvant, toujours raviné par le flot populaire charriant aujourd'hui les ruines
de ce qu'il avait bercé la veille ? Trop de sang y a coulé entre les pavés pour que le
«perennius œre» y soit autre chose qu'un temps d'arrêt à mi-chemin du panthéon et de l’échafaud,
et qu'un peu de stabilité ait pu s'ancrer dans cette terre moite, toute gouttelante de sève
humaine. À grandes ondes elle a ruisselé ici, la fontaine de vie, soit dans des rixes de
particuliers, — en une année on ne compte pas moins de quatorze cents personnes [EEE
soit dans les rencontres des milices descendues à la rue et s'entrexterminant. Une rivalité
ayant éclaté entre les foulons et les tisserands, cinq cents morts demeurèrent sur le carreau.
La vie ne semblait pas peser aux mains de ces hommes qui la gagnaient et la perdaient
comme à travers une insouciance de kermesse, rués aux émeutes ainsi qu'à des bombances.
VIL
Les monuments. — L'Hôtel de Ville. — La cour Saint-Georges. — Le Beflroi et la cloche Roelant. — Quatre veilleurs de
pierre. — Les Maisons du vieux Bourg. — Le quai aux Herbes. — Les tours du Rabot. — Le « Dulle Griete ». — Le
cloître Saint-Bavon. — L'église Saint-Bavon. — Magnificences du culte. — L' « Adoration de l’Agneau » par Van Eyck. —
Le « Saint Bavon » de Rubens. — Le catholicisme flamand.
Gand n’éveille pas seulement ces idées sévères. Il a ses coins aimables, d'un art fleuri,
et qui évoquent, à côté des désastres, la pensée d'une ère de splendeur et de tranquillité,
alors que la cité pouvait penser à sédifier un chevet, elle pour qui le chevet était souvent
la pierre des tombes et qui, comme le grand Marnix de Saint-Aldegonde, semblait s'être
proposé cette devise : « Repos ailleurs ». Peut-être, il est vrai, n'est-ce là qu'un de nos
sophismes modernes, une bouffée de ce sentimentalisme qui nous gêne si fort dans l'exacte
appréciation du passé. La mort, dans ces centres d'humanité débordante, allait de pair avec
la vie. Une émeute ne déséquilibrait pas le train des activités publiques. Les batailles de la
rue étaient comme un exutoire par où s'écoulait le trop-plein des énergies du sang. Et,
tout en tuant et se faisant tuer, les Gantois avaient de grosses aises de bâtisseurs, édifiant
à chaque coin de rue des palais, des églises, des maisons de corporations, dans un caprice
charmant et infini de la pierre.
Leur Hôtel de Ville, malheureusement gâté par des annexes disparates, une hybridité de
styles plaqués après coup, comme des repeints sur un tableau, avec des pilastres et une colonnade
x l'italienne accotés aux fines découpures de l'ogive, mais d'une ogive déjà arrondie et déguisée
par des fouillis d'ornements, se guilloche sur toute sa hauteur d’entre-lacements de rinceaux
et de feuillages, pareils aux enchevètrures de vrilles et de ramuscules qu'y mettrait une énorme
vigne accrochée à la pierre. C'est, dans son {arabiscoté et son fleuri extravagant de gothique,
le moment fugitif de la transition entre l'ogive épuisée, tournée aux préciosités de la
ciselure, et les cintres aplatis ou surbaissés qui font présager la Renaissance.
En face de l'édifice émerge du cœur de la ville, proche de cette vaste arène aujourd'hui
, s
dégagée où s'affrontent ces témoignages toujours vivants de la grandeur gantoise, Saint-Bavon, |