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294 LA BELGIQUE.
Cette crypte existe toujours : là, sous la lumière brouillée des jo enfoncés dans le mur,
s'accomplissent encore aujourd'hui les œuvres. de catéchisation . D'énormes piliers trapus,
reliés par des cintres, blanchissent dans le demi-jour humide. Et tout le long du pourtour se
succèdent des chapelles, au nombre de quinze, avec peintures, boiseries sculptées, bas-reliefs
et pierres tombales. L'une d'elles recouvrirait la sépulture de Hubert Van Eyck et de sa sœur.
C'est sur ces ombres de la crypte que posent les trois nefs du temple, une sévère et
merveilleuse ordonnance aboutissant aux magnificences du chœur, avec une succession
ininterrompue de fastueux oratoires. Ce goût de l'étalage et de la dorure qui nous émerveillait
à Anvers se reproduit ici dans toute sa force, sous forme de colonnes en spirale, d'architraves
surchargées de figures, d’autels chatoyants d'or, de verrières illuminées comme des brasiers,
de sarcophages ciselés comme des châsses, de grandes peintures rutilantes où Van Eyck,
Rubens, Otto Venius, Pourbus, Van Coxcie, ont prodigué le coloris.
Une des chapelles surtout s'illustre du prestige d'une œuvre incomparable. Le maitre h |
à qui fut attribuée l'invention de la peinture à l’huile s'y éternise en cette admirable
« Adoration de l’Agneau », devant laquelle l'esprit prend vaguement la posture de contem-
plation imaginée par le peintre lui-même pour les personnages de sa grande scène symbolique.
À peine les volets du triptyque ont-ils tourné sur leurs gonds, comme les seuils d’or d’un
paradis, qu'une lumière plus subtile que celle du jour naturel caresse les yeux, jaillie toute
vive de la blancheur d'innocence de l'Agneau et du rayonnement des adorations qui l'entourent,
ainsi qu'une eau de grâce ruisselée des fontaines du divin amour. En même temps l'oreille,
affinée au contact des surexcitations de la vue, par cette loi qui répercute la vibration d'un
sens à travers tous les autres dans une sorte de plénitude de la sensibilité, perçoit des
musiques séraphiques et lointaines, accords d’une infinie douceur faits des soupirs de toute
une foule priante et, du fond des gouffres de l’extase, aspirant à la félicité des communions :
spirituelles. Aucune toile au monde, je pense, ne donne la commotion de ce chef-d'œuvre
amoureux où les fleurs, tombées sur les gazons comme de la poussière d'étoiles, sont elles-
mêmes pareilles à de la candeur qui aimerait, où un vent de mystique tendresse fait onduler
les longs plis des tüniques blanches et tourbillonner l’encens des cassolettes dans les frissons
de l'air, où la couleur, étincelante comme des gemmes liquéfiées et toute chauffée des rayons
partout visibles d'un invisible soleil, semble tomber des urnes larges ouvertes du ciel en
une pluie de tranquilles scintillations. L'Agneau, debout sur l'autel, tourne une face presque
humaine, animée d'un grand œil doux, vers les innombrables théories d'âmes et de vertus
confondues dans ces magnificences d'apothéoses; à l’avant-plan de droite, les apôtres, les
confesseurs et les martyrs, avec leurs rudes visages bruns, hâlés par la prédication au désert,
labourés par les tortures du supplice, mais tous transfigurés par la sublimité de la foi; à
gauche, les patriarches et les prophètes dans une majesté d’attitudes et de visages où, par
l'effet de la révélation, se lit la constante approche du Très-Haut; puis, s’avançant du pas
des processions, parmi un envolement de blancheurs et une clarté lactescente qui donne
aux corps comme l'ondoiement des purs esprits, les onze mille vierges et martyres balançant
des palmes et des lis: et enfin, tout reluisants d'or et de pierreries dans l'éclat de leurs
chasubles et de leurs dalmatiques, et semblables à un long fleuve de pourpre et de lumière
coulant à travers un paysage, le groupe des saints évêques et des chefs d'ordres monastiques.
Au loin, dans la reculée du ciel, les tours de Munster, de Maeseyck et de Maestricht,
dressées sur la même ligne que le Dôme de Cologne, ressemblent à des porte-cierges géants
où l'artiste aurait rêvé d'allumer le feu de ses filiales tendresses pour les lieux auxquels
fut mêlée son existence.
Même devant les exubérantes ordonnances du « Saint Bavon recu dans l'abbaye de |