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298 LA BELGIQUE.
un colossal moignon, et qui, en 1791, devenu temple de la Raison, vit se hisser sur ses
autels, à la place du Dieu catholique, une statue de la Liberté, c'est Van Dyck qui attire
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les regards avec un « Christ mourant sur la croix », un chef-d'œuvre de douloureuses et
nobles élégances, dans une chaleur attiédie d’atmosphère coulant comme une vapeur autour
des grises pâleurs des carnations. Même à Saint-Jacques, la sévère église du dixième siècle
qui découpe dans l'air ses tours romanes, et à Saint-Nicolas, autre colosse tout rongé de
vétusté, la décoration théâtrale garde ses droits, augmentée encore, aux grandes fêtes de
l'année, par l'étalage des trésors tenus sous clef dans les sacristies : les buires, les ,ostensoirs, les
dalmatiques, toute une magnificence qui alors chatoie sous la flamme des verrières, constelle
de proche en proche l'ombre des fonds et, comme une pluie de joailleries, se met à ruisseler
le long des dalles.
VIII
Environs de Gand vus de Ja tour de Saint-Bavon. — Les houblonnières. — L'eau et le batelage. — Activités des petits centres.
__ Ja fabrication de la soie à Deynze. — Cités-cimelières. — Un effrayant joueur de quilles. — Floraison universelle d'hôtels
de ville, — Antagonisme des villes flamandes. — Les campagnes et les anciens paysans.
Du haut de Saint-Bavon on aperçoit un étonnant déroulement de pays; c'est la grande
terre verte déjà entrevue à Malines et à Anvers, mais nourrie d'une sève plus abondante
encore dans ce coin de contrée baigné partout par les caux. Les prés, les labours, les
champs de colza, de trèfle et de lin bordent le bas de l'horizon d'une immense tache
pile d’aquarelle, prolongée dans la moiteur scintillante de l'air. À Tronchiennes, le vert
lustré des prairies, pareilles à ces boulingrins anglais lavés d'un incessant ruissellement de
fontaines, a une limpidité perlée d'émeraude. Puis encore Melle, Loochristy, Evergem étendent
dans tous les sens leurs végétations grasses de potager. Et tout là-bas, dans le brouillard
chaud de juin, Wetteren aligne ses houblonnières. De Wetteren à Alost, la ligne du chemin
de fer longe presque sans interruption des étendues plantées de perches au long desquelles
s'enroule la verdure claire du houblon, cette vigne flamande dont le sue, cuit dans les cuves,
prépare les fermentations de la bière. Toute la grosse ivresse des Flandres salimente aux
réservoirs de ce pays de cocagne des videurs de pots. Cependant plongez vos regards dans
la plaine : un large réseau d'irrigations partage le sol en une infinité de canaux reluisants
comme des coulées d'argent, et qui, à limitation de l'appareil vasculaire dans l'organisme
humain, font circuler la vie à travers le paysage. À plus forte raison, les rivières ressemblent
à des artères, roulant à ciel ouvert les chyles nourriciers indispensables à cette terre toujours
en travail. L'eau est ici la grande ouvrière, fertilisant tout sur son parcours, charriant les
limons, lustrant les campagnes d’un reverdissement perpétuel et tirant du fond de la glèbe
les moissons. Parallèlement aux voies de terre et de fer, elle constitue, en outre, une route
constamment frayée et par où, du lent glissement des chalands, semblables à de gros poissons
emportés à la dérive, le commerce descend au cœur des villes riveraines.
Toute une partie des provinces flamandes s'anime du mouvement mesuré et des silencieuses
activités du batelage : tandis que les lourdes coques couleur de hareng frit passent entre
les rives, dans le clapotis léger de l'eau refoulée, la femme, assise près de l'étambot, ravaude
du linge ou déterge un poisson fraichement pêché, les petits, accroupis non loin d'elle,
regardent filer les berges de leur œil mélancolique, et le père tantôt pèse de toute sa force |