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506 LA BELGIQUE.
IX
Particularités de la campagne flamande. — Amour des paysans pour la terre. — Bien-être des fermes, — Approches de la
Hollande. — Différences dans les mœurs et les aspects. — Hulst et Axel. — La plaine verte autour de Termonde. —
Échappées sur la vie fluviale. — Les inondations artificielles. — Promenades sur la dune. — La Grand'Place de Termonde.
__ Une école d'art flamande. — Notre-Dame de Termonde et ses trésors d'art.
Le morcellement continu de la terre donne un aspect particulier aux villages de la Flandre :
la plupart des maisons sont précédées d’un courtil clôturé de houx du côté du chemin et
fleuri, selon la saison, de pivoines, de roses trémières et de tournesols; c'est la part faite
au plaisir des yeux dans les nécessités envahissantes de la culture, une gaité de bouquet
épanouie parmi les grosses verdures crues ou les brunes ondulations du champ; car le
Flamand n'oublie jamais d'agrémenter sa maison d'une note éclatante, touffes de fleurs dans
son pourpris, assiettes en couleurs sur son dressoir, et sur le crépi bleu d'outremer des
facades, le vert clair chantant des portes et des volets. Puis, derrière la maison, recouverte
presque toujours de chaume roux qui, sur les vieux toits, se lustre de mousses veloutées,
s'étend l'enclos, tout fumant d'engrais entre ses haies de saules ou d'ypréaux. Une apparence
de bien-être fait penser aux petites fermes hollandaises, avec leurs murs lustrés comme des
cloisons d'appartement, leurs fenêtres à guillotine peinturlurées d'un ton pistache, leurs
trottoirs en briquettes carminées, rafraichis par les lavages.
Passé Saint-Nicolas, on a presque un pied en Hollande; mais, si bien préparé qu'on soit
à l'aspect de la contrée hollandaise par la traversée du pays flamand, le contraste ne laisse
pas que d'impressionner. On se trouve brusquement jeté dans des conditions d'existence
différentes; l'atmosphère a changé, comme le paysage et l'habitant; ce n'est plus la large
abondance extérieure, le train actif et bruyant, la grosse existence animale qui signalent
les riches villages de la Flandre. Ici la fortune du métayer est comme dissimulée derrière le
grand silence ensommeillé qui pèse sur l'exploitation : il semble que la vie se soit retirée
au fond de la maison, avec un ronron assoupi qui ne dépasse pas le seuil; et l'on pense à
quelque enchantement qui ferait peser sur le pays entier la torpeur d’un songe éternisé.
Aux fenêtres, derrière les vitres assombries par l'obscurité du dedans, des têtes mettent des
blancheurs furtives; et une curiosité de grands yeux doux vous suit çà et là avec l'obstination
inquiète des bœufs au pâturage.
Rien de troublant comme cet air mortifié de béguinage, au sortir de l'animation des
hameaux flamands : on se demande à quelles occupations le temps peut s'employer dans
ces intérieurs d'une propreté figée et froide, où les heures doivent marcher d'un pas plus
lourd qu'ailleurs et qui ne s'égayent ni d’une clameur de marmaille, ni d'un ronflement de
rouet, ni d'un cliquetis de vaisselle.
Telle fut l'impression que je ressentis un matin de pluie en parcourant Axel et Hulst,
les premiers villages qu'on rencontre après avoir dépassé la frontière. Le brouillard avait
verni le pavé des rues d’un glacis humide; par malheur, mes bottes, crottées de la boue
des sentes campagnardes, y marquèrent des empreintes de terre jaune; et, une à une, je vis
sortir des maisons des femmes qui à coups de torchon firent disparaitre ces souillures de
mon passage. Ce fut à peu près l'unique connaissance que j'eus, cette fois, l'occasion de faire
avec les visages de la contrée; bien que l'automne fût peu avancé et que le mauvais temps
n'eût point encore sévi, il n’y avait personne dans les chemins; et j'arrivai dans l'après-midi |