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312 LA BELGIQUE.
airs cependant le beffroi continue à verser sur les toits endormis ses pluies de notes, perlante
ondée sonore dont les gouttes ruissellent dans l’eau dormante de la vie intérieure sans en
agiter la surface. Ainsi, de ville en ville, la volée des carillons nous suit, pareille à une
nuée d'oiseaux chanteurs, jetant aux horizons, en souvenir des gaités de la vieille Flandre,
le caprice de leurs allègres mélodies.
A Termonde, l'originalité de la place consistait, autrefois, dans le contraste du charmant
et sévère Hôtel de ville avec un petit édifice accoté d’une tour, la Halle aux Draps, où
siégeait aussi le conseil de la cité. Un simulacre de portique, en haut d’un perron à double
rampe tournante, s'encadrait dans le pignon en gradins, comme l’estampille du dix-huitième siècle
sur le livre de pierre du quinzième. Toute manifestation de la vie sociale, si disparate qu'elle
semble, contient un élément de beauté, perceptible, tout au moins pour l'artiste qui, au
fond des choses, comme dans une chambre claire, regarde
se réfléchir l’évolution changeante des époques. Cette archi-
tecture, accolée à la vieille maison des marchands termon-
dois, n'offusquait pas l'œil : elle a disparu.
L'Hôtel de ville lui-même, du reste, comme nombre
d'édifices similaires du pays, a subi, de la part des siècles,
ces retouches auxquelles se reconnaissent les variations de
l'Idéal plastique et social. Toute une partie a été restaurée,
selon le dessin de Maestertius, dans un gothique très pur,
d'une simplicité relevée seulement, aux entre-deux des
fenêtres, par des niches à pinacles, tandis que l'aile gauche
se pomponne d’un pignon contourné dans le goût fleuri de
la Renaissance. Plantée dans la maçonnerie comme un phare
sur la falaise, la tour dresse d’un jet hardi ses quatre faces
couronnées d'un groupe de tourelles dont les pointes jumelles
s’effilent autour d’une lanterne finissant en flèche bulbeuse.
Certes, le monument n'a rien de l’imposante solennité du
beffroi de Bruges ; mais, tel qu'il est, avec la symétrie de ses proportions, l'équilibre de ses
lignes et la délicieuse silhouette qu'il profile dans l'air, il fait bonne figure parmi les autres
ancêtres de pierre du pays. Une suite de salles s'ouvre à l'étage; l’édilité y a réuni les
tableaux qu'elle possède et qui presque tous sont dus à des peintres du terroir.
Termonde, en effet, a eu la fortune de marquer dans l’histoire de la peinture contemporaine
en Belgique : plantes spirituelles germées des fermentants terreaux qu'inonde chaque hiver
l'Escaut, ses artistes ont su refléter la moiteur grasse des atmosphères, la scintillation perlée
du sol, la chaleur humide des végétations, avec une poésie robuste et saine.
L'HÔTEL DE VILLE DE TERMONDE.
Cet épanouissement de sève artistique dans un coin reculé de la province étonne moins
quand on se rappelle que le goût de l'art fleurit partout sur cette terre flamande, par
excellence la terre des peintres. À Gand, à Anvers, à Malines, à Alost, le génie des plus
beaux maitres est prodigué sur les autels : il semble que le catholicisme des Flandres ait
rêvé de s'élever à Dieu par des entassements de chefs-d'œuvre, employant les miracles de
l'esprit humain à glorifier les miracles d'origine divine et s'en servant comme d’une arche
jetée de la terre au ciel. À Notre-Dame de Termonde, la vieille collégiale sombre dont la
masse trapue s'enfonce dans la grasse terre de l’ancien cimetière, vous verrez, parmi l'or
et les marbres des chapelles peuplées de grandes figures sacrées, alterner Van Dyck et
de Crayer. Il semble que ce dernier n'ait déployé nulle part plus de chaleur et de vie que |