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LA FLANDRE ORIENTALE. DÔTE
Saint-Amand », la suave vision de paix et d’adoration demeure dans l'esprit et ne peut être
oubliée. Et pourtant Dieu sait si Rubens, l'étonnant enchanteur, prodigua, dans cette grande
toile ordonnée avec une splendeur inégalée de mise en scène et un étalage somptueux de
mitres, de dalmatiques, d'orfrois et de satins, les magies de son étonnant génie de décorateur!
D'un beau geste théâtral et pourtant humain, ployant le genou sur les marches de l'escalier
où l'accueillent les dignitaires de l’abbaye, grandes figures illuminées, sous les perles et
les pourpres sacerdotales, des feux d’un surnaturel couchant, le futur saint, en armes de
guerre et recouvert des plis flottants d'un manteau de parade, fait son entrée dans le maternel
giron de la grande institution religieuse, accompagné d'une suite de pages et d’écuyers,
comme sil s'agissait de quelque fastueux cortège incédant sous les voûtes parées d’un palais,
aux accords des joueurs de théorbe et de viole. La toile est partagée en deux parties, selon
le mode auquel le maitre flamand recourut plus d’une fois, notamment le « Saint Roch »
où une division semblable rend sensible une double action parallèlement prolongée. Tandis
,
que, en haut, presque dans des gloires d'apothéose, le héros du tableau s’humilie comme
d’autres se redressent, avec sa fière élégance de capitaine et de gentilhomme, on voit en bas,
à l'avant-plan des degrés gravis par sa suite, un seigneur à noble tête barbue se pencher
sur un groupe de malandrins et puiser dans un plat porté par un page de pleines poignées
d'or dont il soulage les haillonneuses misères prosternées à ses pieds. Deux belles dames,
aux grasses poitrines tournantes sous des étoffes chatoyées, et qui assistent à la réception
avec un geste de surprise, surgissent au milieu de ces désolations, pareilles à de vivantes
cariatides nullement grecques, mais plantureusement nourries de sève flamande, témoignant
de l'éternelle tendresse du peintre pour la beauté forte en viande et haute en couleur qu'on
voit fleurir comme un bétail heureux au soleil de son art.
Cependant, de chapelle en chapelle, les belles toiles, les marbres superbes, des miracles
de ferronneries et d'or ciselé se succèdent. lei, le « Christ parmi les docteurs » de Fr. Pourbus,
étrange et attirant tableau sur lequel est répandu l'éclat de la cour de Charles-Quint, celui-ei
visible au premier plan, à côté de Philippe IF, et plus loin, Granvelle et le duc d’Albe,
une étonnante page d'histoire écrite par un contemporain et où l'on voit que ces hommes,
chez lesquels nous sommes tentés de chercher des faces d'hyènes et de chacals, calomniant
ainsi la bête qui souvent ressemble à l'homme bien plutôt que celui-ci ne ressemble à
la bête, avaient des airs graves et froids de diplomates désabusés : là un « Christ entre
les larrons » de Gérard Van der Meer, puis encore une « Reine de Saba » de Lucas d'Heere,
le « Mauvais riche » de Michel Van Coxcie, un « Christ sur les genoux de la Vierge » de
Jérôme Van Honthorst, et plus loin une « Vierge adorée par les saintes femmes » de
Nicolas Liemackers, cet élève de Rubens qui alla prendre en Espagne la couleur enflammée,
les ombres fuligineuses et les contours bordoyés de Zurbaran et de Ribera. C’est un entassement
d'art qui ne finit pas, recommençant dans la grande nef avec la chaire de vérité du Gantois
Laurent Delvaux, un « Arbre de la vie » ramifié en arborescences touffues, au pied duquel
le Paganisme, un vieillard, d’un mouvement admirable d’effroi et d'illuminisme, voit apparaitre
la Vérité ; plus loin, continuant dans le chœur avec des cuivres merveilleux, de fins feuillages
de bois, un étalage de marbres, spécialement le mausolée de l'évêque Triest, un prodige de
matière ouvrée, ciselée, dentelée, la dernière œuvre de Jérôme Duquesnoy, qui de suite après
monta sur l'échafaud pour expier une faiblesse de la chair.
Un catholicisme ami de l'image fastueuse et pathétique, des reliefs massifs, de l'architecture
contournée, du symbolisme matériel règne d’ailleurs dans presque toutes les églises de Gand.
À Saint-Michel, dont la tour carrée, arrètée à mi-hauteur, dresse au-dessus du porche comme
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PRE EURE
PS TU SEE |