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Façade postérieure du Nieuwerk à Ypres.
Église de Pameele à Audenarde.
gouvernementales, mais être présidés, le jour de la remise des
récompenses, par des conseillers communaux, par des éche-
vins, par des bourgmestres, par des ministres, qui, dans de
beaux discours, célèbrent cette émulation qui fait la cause du
progrès, et met, disent-ils, notre chère patrie au rang des plus
grandes nations.
Mais c’est le propre des esprits malades de ne jamais être
content. Volontiers ils vous déclarent que tous les arts sont
solidaires. Or celui du jeu de boules se déclare satisfait, celui
du jeu de quilles également, il en est de même de celui du tira
l’arc. Que peut-on vouloir de plus dans une nation... civilisée?
L’église Saint-Martin nous montre non seulement une
nation civilisée mais religieuse. Dans son ouvrage sur Ypres,
M. Vandenpeereboom fait remonter la construction du chœur,
qui est la partie la plus ancienne de l’édifice, en l’année 1221,
d’accord en cela avec une inscription placée sur une pierre
tombale derrière le maître-autel :
In Piam metnoriam Hugonis... prepositi chori extructoris.
Or, cet Hugo était, à cette époque, prévôt de la ville
d’Ypres.
« En 1240, un violent incendie détruisit tout un quartier
« de la ville et une partie de l’église ; le chœur seul resta
« debout. L’on ne put entreprendre qu’en 1251 la reconstruc-
« tion des bâtiments incendiés; Marguerite de Constantinople
« aurait posé la première pierre de ces bâtiments qui furent
« achevés et consacrés par un évêque de Thérouanne, en 1280.
« La façade sud du transept fut-élevée durant les trente-
« cinq premières années du xve siècle.
« La tour primitive placée en tête, à l’est de l’église, se ter-
« minait autrefois par une haute flèche, garnie de beaux cro-
« chets ou corbeaux dont des spécimens sont conservés au
« musée de la ville; elle menaçait déjà ruine en 1370. Cette
« année, pour permettre aux marguilliers d’y exécuter des
« travaux de consolidation, le magistrat mit à leur disposi-
« tion le produit de toutes les amendes à percevoir par la ville
« pendant deux ans.
« Malgré ces travaux, la vieille tour s’effronda en 1433. On
« la reconstruisit, dès l’année suivante, d’après les plans de
« maître Martin Uutenhove de Malines; Victor Van Licher-
« velde, avoué de la ville, et Marie Van Oultre, vicomtesse
« d’Ypres, en posèrent, le 2 juillet, les premières pierres.
« Cette tour serait la construction la plus moderne du
« monument si, après la création de l’évêché d’Ypres et l’érec-
« tion de l’ancienne église abbatiale en cathédrale, on n’y
- « avait annexé, en 1622, pour servir d’église paroissiale, le
« petit édifice qui porte encore le nom de la « chapelle du curé ».
On voit, d’après ce petit aperçu historique, que les diffé-
rentes phases du style ogival sont représentées dans l’église
Saint-Martin. On peut y observer sa naissance dans le chœur,
dont les proportions grandioses et les détails sobres et sévères,
font de ce vaisseau une des œuvres les plus admirables que
nous possédions de ce style en Belgique. Le transept et les
nefs sont aussi très remarquables ; toutefois, on sent dans le
galbe des chapiteaux, le déchiqueté des feuillages, le profil des
meneaux des grandes verrières, la composition du triforium,
une époque plus éloignée de l’art religieux par excellence.
Mais cette variété dans les détails ne nuit pas à l’aspect géné-
ral de l’édifice, elle s’efface même dans l’ensemble et laisse
dominer l’élégance et l’harmonie de ses proportions.
Nous trouvons aussi dans l'église des stalles superbes, de
style renaissance(1). Elles sont en bois, d’une composition très
originale et d’un travail très délicat. Les ornements y sont
nombreux et d’une variété infinie. L’artiste-créateur a parfaite-
ment compris le rôle du bois dans la décoration, celle-ci est
fine et légère quoique somptueuse. L’inscription, entaillée
dans un des sièges mobiles, porte que ces stalles furent sculp-
tées en 1598, par Taillebert, habile sculpteur d’Ypres. Nous
voyons encore dans le chœur un fort beau lutrin en cuivre
d’une riche imagination, il fut fait à Anvers par J. Février,
d’après un modèle sculpté par W. Pompe. Citons aussi les
statues couchées des évêques d’un effet très pittoresque, et le
superbe arc triomphal en renaissance qui étale ses brillantes
sculptures à l’entrée de la nef.
Ypres a conservé non seulement ses splendides monuments,
mais on y rencontre à chaque pas d’anciennes maisons échap-
pées aux révolutions et aux ravages du temps.
Près de la Halle aux draps nous en trouvons une autre qui
est la Halle aux viandes. La façade est en gothique, mais on
y voit des éléments appartenant à deux époques différentes.
Le rez-de-chaussée, grave, robuste, est contemporain de la
Halle aux draps (XIIIe siècle), la partie supérieure, le deuxième
étage et le pignon sont d’une allure plus délicate et plus fouillée.
(1) Voir col. 92, un croquis de ces stalles d’apres un dessin de M. F. Ewerbeck.
Un peu plus loin, dans la rue de Lille, on aperçoit la mai-
son dite « des Templiers ». C’est un fragment d’un édifice qui
a dû être considérable. On y découvre encore trois étages en
ogives, surmontés d’une ligne de gradins, venant se buter
contre un encorbellement donnant naissance à un pignon.
Dans la même rue nous découvrons encore deux habitations
de la renaissance, toutes en briques de deux tons. Les fenêtres
sont entourées de moulures qui se prolongent en arcades dont
les tympans sont ornés de dessins variés, formés de carreaux
polychromés, posés diagonalement sur champ. Les corniches
sont peu saillantes, très fines, elles laissent dominer les
pignons où se répète le même parti d’ornementation.
L’hôtel dit « de Gand » et une maison située plus loin por-
tant le millésime de 1544, sont encore deux excellents spéci-
mens de l’architecture civile gothique. Dans la première, de
ces constructions, nous remarquons l'élégance des détails et
une parfaite harmonie entre les pleins et les vides; dans la
seconde, les fenêtres à triples meneaux nous ont paru larges.
Le parti général de la façade est plus monumental et partant
fort grand d’échelle pour une maison particulière.
D’autres maisons mériteraient encore d’être signalées, celle
notamment appelée « la Conciergerie n, bâtie à la même
époque et dans le style du Nieuwerk ; les façades en bois qui
se trouvent dans la Halle aux draps et les multiples habita-
tions, dont le parti se rapporte à celles précédemment citées
dans d’autres villes. Toutes formant un ensemble grave ou
pittoresque, égayant de leurs variétés les longues lignes
plates des maisons élevées récemment. Grâce à elles et
aux monuments, Ypres a conservé un caractère particulier,
celui de sa prospérité, de sa puissance, de sa grandeur et de
son esprit commercial et artistique d’autrefois.
Audenarde était notre dernière étape. Des excursions
faites aussi rapidement fatiguent sans doute, mais elles ont
l’avantage de permettre de comparer les monuments entre eux
et d’établir un parallèle entre leurs qualités et leurs défauts.
C’est ainsi qu’après avoir admiré l'église Saint-Martin à Ypres,
nous avons vu, avec non moins de plaisir à Audenarde, la
petite église de Pameele.
De formes plus simples, de prétentions plus modestes que
la collégiale d’Ypres, on y trouve cependant un parti très
franc accusant la croix latine, de l’ampleur dans les propor-
tions et un goût parfait dans les détails. Elle serait aussi
un admirable exemple de gothique de transition et d’unité
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L’ ÉMULATION.
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