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10 LA BELGIQUE.
caractère du Bruxellois. Des rentiers, des pensionnaires de l'État, de petits employés élèvent
des pigeons, souvent en vue des concours, encagent des serins, des alouettes et de
pinsons, passent des heures entières à les écouter chanter, et, le dimanche matin, s'en
vont flâner au marché de la Grande-Place, encombrée de huit heures à midi d’un pullule-
ment d'oiseleurs.
On se rapproche d'ailleurs de la campagne le plus qu'on peut : à partir des anciennes
enceintes de la ville, disparues aujourd'hui sous un envahissement d'hôtels patriciens, c’est
une succession de façades claires, luisantes, décorées de guirlandes et de mascarons:; et
le défilé se prolonge à travers les faubourgs, plus bourgeois à mesure qu'il s'éloigne des
centres, mais presque partout également riant, les fenêtres étoffées de rideaux blancs, les
portes vernissées, les cuivres des sonnettes brillants comme de l'or, jusqu'aux verdures
profondes de la banlieue, ici les campagnes maraichères d’Anderlecht et de Saint-Gilles,
là les horizons boisés d'Ixelles, partout la grande plaine verdoyante renflée d'ondulations
lentes.
La ceinture de la ville s'est déplacée; une poussée du dedans au dehors a illimité
les banlieues, qui, se reculant toujours un peu plus, ont fini par s'éparpiller à travers
les champs, dans un rayon à tout instant agrandi, et criblent à présent de leurs cubes
blancs et roses, aiguisés en pignons ou coiffés de tourelles, toute la largeur des
perspectives. Jette-Saint-Pierre, Uccle, Auderghem, le plateau de Koekelberg, après les
dernières rangées de maisons des faubourgs, ont une activité ralentie de villages; leurs
cottages noyés dans les feuilles, au bord des grandes routes, connaissent tout à la fois
la paix des demi-solitudes et comme la pulsation lointaine de la capitale. La vie y est
moins coûteuse, naturellement : grand appât pour les ménages besogneux, surchargés
d'enfants; avec trois mille francs on y peut vivre, réconforté par l'air salubre, mangeant
les légumes du jardin qu'on a plantés soi-même.
La famille n'a pas dégénéré en Belgique. Particulièrement chez l'ouvrier, l'employé,
le petit bourgeois, les cas de fécondité abondent : il n’est pas rare de voir marcher par
les rues une mère de famille entourée d'une ribambelle d'enfants s'échelonnant par rang
de taille, avec des différences à peine perceptibles, le dernier encore au maillot quand le
second s’essaye seulement à marcher. À la campagne, du moins, avec beaucoup d'épargne, il
est permis de joindre les deux bouts: et de jour en jour la capitale se dépeuple, au profit
des petites maisons voisines des bois, d'un excédent de population peu fortunée, qui,
refait au lait vivifiant de la nature, se développe avec quiétude, répare ses forces
perdues dans les lésines forcées et pousse à la vie d’un jet vigoureux.
À ces causes de peuplement des agglomérations un peu éloignées, s'ajoute le goût
de la villégiature, très fréquent chez les citadins : non seulement les gens riches, les
Spéculateurs à la Bourse, les rentiers, mais les fonctionnaires, les industriels, possèdent ou
louent à l'année de plus ou moins fastueuses bastidès où ils passent une partie de l'été,
hébergent des amis, donnent des fêtes, aiment à réunir des convives nombreux en de
substantiels diners.
J'aurai plus d'une
Belgique adonnée aux
d'honorer quelqu'un ou
fois l'occasion de reparler de la solidité des eslomacs, en cette
gogailles et aux lampées, le ventre à table chaque fois qu'il s'agit
de célébrer quelque chose, joviale, expansive, hospitalière, riche en
bétail, en houblon et en céréales. A vrai dire, il
dont les meilleurs moments sont em
aux soirées bourgeoises, dans les
en résulte une vie un peu bornée,
ployés au bien-être domestique. Généralement, à table,
réunions intimes, les conversations sont insignifiantes,
fourmillent de lieux communs, ne sortent pas du terre à terre des préoccupations |