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L’ÉMULATION.
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UNE RESTAURATION D’OLYMPIE
'Ecole française d’Athènes se
prépare à entreprendre des
fouilles à Delphes. On sait que
les Chambres ont voté, pour
cette campagne scientifique,
des crédits considérables. Il
faut espérer que le savant à qui
l’on a confié la direction de
notre mission permanente d’ar-
chéologie et d’histoire trouvera,
dans cette entreprise, l’occa-
sion d’ajouter de nouvelles et
importantes découvertes à tou-
tes celles que l’érudition contemporaine doit à la science
française. M. Homolle est un homme heureux, et il y a lieu
de croire que les fouilles de Delphes lui feront autant d’hon-
neur que l’exploration de Délos.
Bien que l’émulation scientifique doive scrupuleusement
se défendre de toute jalousie et de toute rancune interna-
tionales, on ne peut s’empêcher d’éprouver quelque impa-
tience et de souhaiter la fin des négociations trop lentes qui,
depuis plusieurs mois, retardent le commencement des tra-
vaux, lorsqu’on songe à tous les trésors que l’Ecole allemande
a trouvés sur l’emplacement d’Olympie.
Les noms d’Olympie, de Jupiter Olympien, sont familiers
aux esprits même les moins ouverts à la connaissance des
choses antiques. Il est douteux qu’ils éveillent, chez tous
ceux qui les citent, des idées précises et des notions exactes.
Il sera désormais fort aisé aux gens du monde de s’instruire
sur ce point, grâce à MM. Monceaux et Laloux, qui viennent
de publier, sur le célèbre sanctuaire de l’Elide, un important
ouvrage (i), solide comme un livre de science, beau comme
un livre d’étrennes, aussi agréable et aussi séduisant qu’un
récit d’aventures.
Peu d’aventures, en effet, sont plus variées, et j’oserai le
dire, certain d’être approuvé par les archéologues et les
artistes, plus dramatiques que l’histoire des œuvres d’art accu-
mulées par l’invention infatigable des Grecs, et par l’amour
tout-à-fait extraordinaire que ce peuple a eu, de tout temps,
pour le superflu. Les cités grecques étaient, en général, de
pauvres bourgades, décorées d’une magnifique parure de
statues peintes et de temples enluminés. Chaque Athénien
avait deux maisons, l’une petite et modeste, où il dormait et
mangeait; l’autre superbe et rayonnante, l’Acropole, où il se
promenait à l’ombre, en songeant aux dieux protecteurs de la
ville et en regardant la mer. Longtemps les effigies divines,
les reliques des ancêtres, les œuvres délicates des ciseleurs et
des peintres, les armes prises aux barbares d’Asie, étince-
lèrent au soleil. Un jour, des barbares venus d’Occident
entrèrent brutalement dans ces musées. Les trouvant fort
beaux, ils les pillèrent, et cela pendant plusieurs siècles. Au
temps de Néron, les « pourvoyeurs de la maison dorée » enle-
vaient à Delphes cinq cents offrandes (2). Dans le même
temps, les hiérons étaient partout mis à sac, par ordre de
César. Le territoire sacré de Cirrha était volé à Apollon
Delphien (3). L’excellent Pausanias,qui a catalogué si pieuse-
ment tout ce qu’il a vu, dans son voyage de Grèce, se plaint
et s’indigne de tous ces vols, auxquels les Grecs, découragés,
finirent par s’accoutumer. En général, les monuments de
Rome et de Byzance nous ont coûté d’inestimables trésors.
Le moindre préteur, lorsqu’il passait dans la province
d’Achaïe, emportait un Hermès ou un Apollon, pour orner sa
salle de bains. Lorsque Justinien voulut bâtir Sainte-Sophie,
il fit venir, de tous les points de l’empire, des chargements de
marbres. Le temple de Diane, à Ephèse, a péri dans cette
aventure. Pendant tout le moyen âge, les divers conquérants
qui ont habité la Grèce ne se sont jamais donné la peine de
creuser une carrière. Les Grecs modernes ont longtemps
construit leurs églises et leurs tristes masures avec les chefs-
d’œuvre de leurs ancêtres. Récemment encore, une compa-
gnie financière offrait au gouvernement hellénique d’acheter,
pour le débiter en moellons, le peu qui reste des Longs Murs
de Thémistocle.
De l’antiquité ainsi émiettée, la science moderne essaye de
recueillir les débris. Heureusement, Rome, Byzance et lord
Elgin n’ont pas tout pris. Certaines cachettes où l’on avait
enseveli des statues ont été brusquement retrouvées. Les
sanctuaires que le culte a abandonnés de bonne heure sont,
par cela même, ceux qui nous réservaient le plus de surprises.
Les ronces et les herbes folles ont envahi les marbres ; les
torrents les ont couverts de sable et de boue; ainsi ensevelis,
ils ont pu dormir tranquilles et inviolés, jusqu’au jour où les
artistes et les archéologues sont venus les réveiller de leur
long sommeil. L’enceinte sacrée d’Olympie devait être parti-
(1) Restauration d’Olympie, l'histoire, les monuments, le culte et les fêtes,
par Victor Laloux. architecte, ancien pensionnaire de l’Académie
■rançaise à Rome, et Paul Monceaux, docteur ès lettres, ancien membre
de l'École française d'Athènes. — Paris, Quantin.
(2) Pausanias, X, 7, 1. — Voy. Hertzberg, II, p. 99 et suivantes.
(3) Suétone, Niro, 24 ; Dion Cassius, 63, 8, 14.
culièrement féconde en trouvailles. Après l’édit de 3g3, par
lequel Théodose interdisait les cérémonies païennes, le tem-
ple de Zeus fut déserté. Sur les fondations des monuments
grecs, une citadelle byzantine fut bâtie avec des architraves,
des piédestaux, des tambours de colonnes qui n’avaient pas
été trop martelés. Grâce à la nécessité où l’on était de faire
de solides murailles, beaucoup de marbres échappèrent au
four à chaux. Cette bicoque, abandonnée à son tour, s’écroula,
et le Kladéos, en ses inondations périodiques, l’enveloppa
d’une couche de sable. Sur ce nouveau sol, où des pierres
sculptées affleuraient par places, des paysans bâtirent un
hameau. Puis, les bandes de moujicks slaves qui envahirent
la Morée au viie siècle vécurent longtemps sans le savoir sur
les huttes des bergers d’Olympie, écroulées et enterrées à leur
tour. Les Francs qui avaient accompagné Geoffroi de Ville-
hardouin, prince de Morée, construisirent, sur les bords de
l’Alphée, quelques tours crénelées qui mettent encore, dans
le paysage de l’Elide, un étrange souvenir du moyen âge
occidental. Et la vallée d’Olympie, de plus en plus envahie
par les sables, devint un steppe désolé.
Les archéologues ont retrouvé, dans le sous-sol de cette
plaine, le sanctuaire que l’on croyait aboli. Pour aller jusqu’à
lui, ils ont été obligés, en quelque sorte, de rebrousser le che-
min de l’histoire, et de retraverser toute la série des villes
mortes que le hasard des migrations avait accumulées sur ce
point. C’est un savant français, Montfaucon, qui a eu le mérite
de prévoir, le premier, que des fouilles habilement dirigées
aboutiraient à la résurrection du temple de Zeus. Winckel-
mann, Chandler, Leake, Gell, les Français Fauvel et Pou-
queville partagèrent cette opinion et exprimèrent le même
espoir. Ce sont des savants français qui ont fait les premiers
sondages et ouvert les premières tranchées. Les savants qui
avaient accompagné le général Maison, commandant du corps
expéditionnaire de Morée, déblayèrent le terrain devant la
façade orientale du grand temple. Les travaux durèrent six
semaines. Ce peu de temps suffit à Blouet et Dubois pour
retrouver YHéraklès au taureau, et d’admirables morceaux de
sculpture qu’ils ont rapportés au Louvre. Malgré ce brillant
début, il n’était pas réservé à la science française d’achever
l’exploration d’Olympie. Les travaux de la mission française,
interrompus au mois de juillet, à cause des extrêmes chaleurs
qui faisaient du champ de fouilles une vraie fournaise, ne
recommencèrent point l’automne suivant. Après quelques
efforts stériles de l’Ecole française, mal soutenue par son gou-
vernement, la tâche a été reprise par l’Allemagne, avec un
éclatant succès. Depuis longtemps déjà, l’illustre historien
Ernest Curtius, précepteur de celui qui devait être l’empereur
Frédéric III, entretenait son élève de ce projet, et lui mon-
trait, d’une part, l’importante contribution qu’une pareille
entreprise apporterait aux sciences historiques, de l’autre,
l’avantage qui en résulterait pour l’influence politique de
l’Allemagne dans les pays du Levant. Un crédit énorme, qui
dépassa certainement un million de francs, fut mis libérale-
ment à la disposition des savants chargés d’organiser la mis-
sion d’Olympie. Tandis que les membres de l’Ecole française
conduisaient leurs fouilles comme ils pouvaient, avec l’aide
de contremaîtres indigènes tout à fait insuffisants, et étaient
obligés, au sortir de l’école normale et de l’agrégation, de s’im-
proviser, sur le terrain, architectes, géomètres, arpenteurs,
photographes et presque terrassiers, une nombreuse équipe
d’ingénieurs et de dessinateurs fut mise au service d’Ernest
Curtius. Au mois d’avril 1874, un traité conclu entre les gou-
vernements d’Allemagne et de Grèce, et ratifié parla Chambre
hellénique, autorisa l’ouverture des travaux.
Les premières tranchées émerveillèrent les fouilleurs. A
peine eut-on commencé à déblayer le temple de Zeus, que la
Victoire de Pœonios sortit de terre. La seconde campagne
remit au jour le temple de Héra, où l’on avait placé comme
un ex-voto précieux et rare, le coffret de cèdre, plaqué d’or,
où Cypsélos, enfant, avait été caché par sa mère et dérobé
aux poursuites des Bacchides. La troisième campagne devait
être plus brillante encore. Les ouvriers découvraient le petit
temple ionique, en marbre blanc, que Philippe de Macédoine
fit bâtir après la bataille de Chéronée, et rencontraient un
chef-d’œuvre de la statuaire, l'Hennis portant Dionysos enfant, de
Praxitèle. En 1881, Olympie avait entièrement reparu, et
Pausanias n'y eût pas été trop dépaysé. Le catalogue des
découvertes de la mission allemande est un inventaire de tré-
sors incomparables : on a retrouvé cent trente statues ou bas-
reliefs de marbre, treize mille objets de bronze, six mille
monnaies, quatre cents inscriptions, mille menus objets de
terre cuite, quarante monuments d’architecture. Maintenant,
du haut de la colline de Druwa, on voit, dans la plaine
autrefois déserte et rase, un amoncellement de marbres
blancs, épars sur le sol. On suit, comme sur un plan en relief,
le dessin des sanctuaires retrouvés. Mais les colonnes, chefs-
d’œuvre des plus fameux architectes, sont décapitées. Les
bas-reliefs, que Pœonios et Alcamène avaient sculptés sur les
frontons, sont exposés, auprès des ruines, dans le musée
Syngros. Il faut, si l’on veut apercevoir une image exacte de
cet Altis d’Olympis, qui était le rendez-vous de tous les peu-
ples grecs, mettre bout-à-bout tous les textes disséminés où
les auteurs anciens ont décrit le sanctuaire de Zeus, puis, à
l’aide de ces indications, prolonger, par un effort d’esprit, la
ligne interrompue des colonnes, refaire le profil éraflé des
socles et des bases, rétablir, au-dessus des colonnades, les
architraves tombées, achever l’angle des chapiteaux écirnés,
dérouler sur les frises, au-dessous des boucliers dorés, qui
luisent, la légende divine, racontée par les sculpteurs, de telle |