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L’ÉMULATION.
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compagnons qui ont à leur service des moyens d’information
dont Barthélemy ne disposait pas. C’est pourquoi je n’aurais
pas le courage de chicaner les deux restaurateurs d’Olympie
sur l’audace, quelquefois un peu risquée, avec laquelle la
plume de l’érudit et le crayon de l’architecte suppléent au
silence des textes ou aux irréparables lacunes des murs écrou-
lés. Quels que soient les scrupules qui, sur certains points de
détail, peuvent faire hésiter notre créance, l’ensemble du livre
évoque une vision nette, précise, splendide. C’est tout un
coin de l’antiquité qui traverse la nuit et rayonne du fond
des temps. Telle est la magie des sciences nouvelles qui sont
venues récemment au secours de l’histoire. L’épigraphie et
l’archéologie ne sont ennuyeuses que pour ceux qui ne savent
même pas le sens de ces deux mots. Ce sont des instruments
d’optique d’une singulière puissance et d’une rare clarté.
Elles nous font voir les hommes du passé, non pas dans les
poses convenues que leur inflige l’histoire oratoire, mais dans
le détail de leur vie quotidienne, dans le décor matériel que
leurs mains ont touché et que leurs yeux ont vu. Seules, ces
études patientes peuvent nous donner l’illusion et comme
l’hallucination obsédante des choses mortes qui ont, pendant
un moment, amusé, émerveillé, passionné l’esprit changeant
des hommes. Les deux auteurs de la Restauration d'Olympi;
ont fixé leur attention sur un sujet singulièrement digne de
leur science et de leurs efforts. L’enceinte sacrée d’Olympie,
égayée d’eaux vives et de bois de platanes comme une mos-
quée, encombrée de marchands comme un bazar, parfois
peuplée d’une foule bruyante comme un champ de foire,
mais parfumée d’encens et tout étincelante de marbres, était
à la fois la demeure préférée de Zeus et un incomparable
musée où un peuple prédestiné conservait les œuvres les plus
rares de son génie. Si je ne craignais de faire, avec le temps
présent, un de ces rapprochements qui plaisent aux gens du
monde, mais qui brouillent trop souvent l’exacte nuance de
ce qui est, je dirais qu’il y avait là une sorte d’exposition uni-
verselle de l’hellénisme, exposition permanente à laquelle
travaillaient les sculpteurs, les peintres, les poètes, les ath-
lètes, tous ceux qui étaient capables de révéler aux hommes
le secret de la divine beauté. Hérodote prétendit concourir
aux jeux Olympiques en lisant aux Hellènes assemblés ses
récits de guerre et d’aventures, et les auditeurs le récompen-
sèrent en donnant à chacun des livres de son histoire le nom
d’une muse. Les pèlerins ont entendu, près du temple de
Zeus, les phrases amples et sonores d’Isocrate, et ils y ont
pris autant de plaisir qu’à la vue des beaux corps qui étalaient
leur nudité, dans le stade, comme des statues vivantes.
Ainsi, toutes les formes par lesquelles la beauté peut se mon-
trer aux hommes et les consoler, l’équilibre puissant des
masses architecturales, faites pour durer éternellement ; le
calme et la sérénité des effigies divines ; le rythme des vers
habilement cadencés; la persuasion qui va des lèvres élo-
quentes aux âmes charmées ; la force et la vaillance des
jeunes hommes semblables aux héros, qui sont l’orgueil
d’une nation et la fleur d’une race, tout ce que l’esprit des
Grecs rêvait de plus rare et de plus précieux, contribuait à la
splendeur de ces fêtes d’Olympie, les plus belles peut-être, à
coup sûr les plus harmonieuses qui aient été données au
genre humain.
(Revue bleue.) Gaston Deschamps.
CONCOURS
Belgique
Le concours pour la porte principale du Palais
de Justice de Bruxelles
nous reproduisons ci-dessous le programme de ce con-
cours avec les justes commentaires dont l’accompagne
la Chronique des Travaux publics.
Il est de la dignité des artistes en général et de la Société
Centrale d’Architecture, en particulier, de protester contre
le programme du concours qui vient de s’ouvrir, pour
l’établissement d’une porte en bois et bronze destinée à clôtu-
rer l’entrée principale du Palais de Justice de Bruxelles.
Voici le sommaire des principaux articles du réglement
dont on pourra se procurer des exemplaires à l’administration
des bâtiments civils.
Article premier. — Le concours est ouvert entre tous les
artistes, architectes ou ornemanistes résidant(!) dans le pays.
Art. 2. — Les concurrents présenteront une étude com-
plète, comprenant les élévations, plans et coupes à l’échelle
de o,o5 p. m, ainsi que tous les détails et le devis détaillé de
la dépense.
Le coût maximum de l’établissement de la porte et des
ouvrages accessoires est fixé à 57,000 francs.
Il sera accordé deux primes, la première de mille francs et
la seconde de cinq cents francs aux auteurs des projets qui
auront été classés respectivement premier et second.
Les deux projets primés resteront la propriété de l’Etat,
qui se réserve, soit de faire exécuter le projet classé premier,
soit de le laisser sans suite, selon ce qu’il jugera convenir.
Le gouvernement pourra d’ailleurs utiliser, comme il le trou-
vera^ bon, les dispositions d’ensemble ou de détail des deux
projets primés, en les combinant, à son gré, avec les dispositions de
tel ou tel autre projet (! !) Il se réserve aussi de modifier, si les
convenances de l’Administration l’exigeaient, le projet classé
premier. Aucune modification ne pourra cependant y être
apportée, qu'avec l'autorisation de M. le Ministre de l'agriculture,
de l'industrie et des travaux publics (!)
L’administration se réserve la direction des travaux à exécuter ; elle
complétera à l'aide de maquettes et des modèles, les études que cette exé-
cution nécessiterait (!!)
Art. 3. — Les concurrents enverront leur projet, au plus
tard, le 31 août 1892 (!)
Les envois seront strictement anonymes.
Il sera statué avant le Ier décembre 1892.
Les primes seront, s'il y a lieu (!) liquidées immédiatement
après la ratification de la décision du jury sur le concours.
Art. 4. — Le jury chargé d’apprécier les œuvres des con-
currents, sera composé de cinq membres, savoir :
MM. De Rote, inspecteur général des ponts et chaussées,
président ;
Lagasse, ingénieur en chef, directeur des ponts et chaussées,
chargé de la direction des routes et des bâtiments civils ;
Heynir.x, architecte en chef des bâtiments civils, secrétaire ;
Helleputte, député et professeur d’architecture à l’Univer-
sité de Louvain (Ecole Saint Luc).
Pauli, professeur émérite d’architecture à l’Université de
Gand.
i° Ainsi il est bien entendu : que le concours est ouvert
entre tous les artistes, belges et étrangers ; car la résidence
n’est absolument qu’illusoire. On peut être libre-échangiste
mais à condition de réciprocité.
20 On a mis dix ans pour décider l’exécution de cette porte
monumentale et on accorde à peine deux mois pour la concep-
tion d’une œuvre aussi importante. Vasari nous rapporte que
pour les portes du baptistère de Saint Jean, à Florence, dont
Michel-Ange disait qu’ « Elles sont dignes d'être les portes du para-
dis, la République donna à chacun dés sept concurrents
choisis, un traitement d’une année et qu’à la fin de l’année
chacun d’eux présenterait un panneau en bronze, entièrement
terminé, de la grandeur de ceux dont les portes devaient être
composées. »
3° La somme de 57,000 francs est absolument dérisoire.
Pour un monument qui a coûté plus de 53 millions, il ne faut
pas lésiner au risque de gâter l’œuvre entière. N’eût-il pas
mieux valu laisser toute latitude aux artistes, quitte à exami-
ner le prix plus tard?
40 Enfin, le droit que le gouvernement se réserve de combi-
ner à son gré les dispositions de l’un ou l’autre des projets à tel
ou tel autre projet, est de nature à donner à croire à l’existence
d’un dessin de porte que, l’on désire faire ressusciter, en le
tirant, revu et corrigé, du carton où il est peut-être enfoui.
5° Quant au jury, tout en rendant hommage au talent de
ceux qui le composent, on peut s’étonner que l’élément
nécessaire et indispensable pour apprécier et juger une
œuvre dont la valeur architecturale et la valeur sculpturale
doivent forcément marcher de pair, ne s’y trouve pas repré-
senté.
En somme, nous croyons que ce serait une illusion de
supposer que beaucoup d’artistes sérieux puissent adhérer à
un concours organisé d’une façon aussi défectueuse.
R.
CORRESPONDANCE
Belgique
Monsieur le Directeur du journal « l’Emulation ».
En ma qualité d’abonné à l'Emulation, jeune permets de
vous signaler un état de choses contraire à l’intérêt des
architectes privés.
« Il existe, dans une de nos provinces, trois architectes
provinciaux. Ces architectes ont l’autorisation de dresser
des plans pour les communes et les conseils de fabrique
d’église. Ils ont pour mission de faire rapport sur les plans
soumis par les autres architectes ; de cette façon, ils ont aussi
à contrôler leurs propres plans.
« J’ai demandé plusieurs fois à des administrations com-
munales de cette province, d’être leur architecte pour des
constructions qu’ils avaient à faire, et il m’a souvent été
répondu : Il nous faut prendre l’architecte provincial pour
avoir des subsides !
« Depuis quand donc les architectes provinciaux sont-ils
les dispensateurs des subsides? Il y a beau temps qu’existe
dans cette province, ce préjugé, et je sais par expérience que
les administrations communales qui ont voulu prendre un
architecte privé ont eu à subir des embarras de toute sorte.
« Je signale tout ceci à l’appréciation de ces Messieurs,
qui se sont donné pour mission la sauvegarde des intérêts
privés, et vous prie d’agréer, Monsieur le Directeur, mes
salutations distinguées.
« X. »
Nous faisons toutes nos réserves sur les alléga-
tions de notre correspondant, mais nous croyons
devoir publier sa lettre dans (Emulation, qui a été
toujours et est une libre tribune, ouverte à tous
nos confrères pour le plus grand bien de la corpo-
ration.
E. Lyon-Claesen, éditeur, Bruxelles.
Bruxelles. — Alliance Typographique, rue aux Choux, 49. |