Full text |
91
L’ÉMULATION.
92
sorte que l’on puisse ressusciter par une évocation historique,
parmi les bois d’oliviers, de myrtes et de platanes où éclatent
gaiement les vives couleurs des temples, la joie des fêtes
antiques, l’allégresse des pèlerins accourus de tous les points
de l’Hellade, la sérénité des dieux défunts et la splendeur du
culte disparu.
* •¥
C’est sur ce point que la science française a pris sa
revanche. La collaboration de l’Ecole d’Athènes et de la Villa
Médicis nous a valu cet ingénieux et savant livre, où
MM. Monceaux et Laloux ont apporté l’un, son érudition
élégante et solide, l’autre, son vif sentiment de la beauté
antique, la délicatesse de son goût, et cette connaissance des
nécessités architecturales sans laquelle l’érudition la mieux
informée risquerait de se perdre dans des fantaisies. Dans
cette promenade à Olympie, M. Monceaux nous raconte
abondamment, en un style chaleureux, quelquefois tumul-
tueux et surchargé de métaphores, mais presque toujours
agréable, la légende et l’histoire, les aventures des dieux qui
ont sanctifié par leur présence ce pays prédestiné, la succes-
sion des peuples qui ont construit ou enrichi les sanctuaires ;
il nous donne, par le menu, l’énumération des prêtres, les
détails relatifs au service du culte ; il décrit les grandes fêtes
quinquennales, l’arrivée des pèlerins, la réception des délé-
gués des villes, les processions et les sacrifices; il nous fait
assister aux concours olympiques, nous dit les noms des
juges, des concurrents et des vainqueurs. Pendant ce temps,
M. Laloux nous fait voir, en une série de planches, les vives
couleurs du décor où ces choses se sont passées. C’est plaisir
que de suivre pas à pas des guides si complaisants etsi instruc-
tifs. A force de les écouter, nous finirons par croire que nous
sommes nous-mêmes des pèlerins, et que nous apportons à
Zeus un tribut d’offrandes.
Nous arrivons à Olympie par la route d’Athènes. Partis de
grand matin, après avoir fait nos dévotions à l’autel des Douze
Dieux, nous avons marché pendant quatorze cent quatre-
vingt-cinq stades. En chemin, nous avons traversé Mégare,
Corinthe, Klitoret Thelpousa en Arcadie. Nous avons baigné
nos pieds poudreux dans le Ladon et dans l’Alphée. Nous
avons rencontré des compagnons de route, venus comme
nous en pèlerinage, et nous avons pris plaisir, pour égayer la
monotonie des heures, à nous conter les uns aux autres des
récits merveilleux. Quelques vieillards se rappelaient le vieux
temple de la Terre, bâti par les Pélages ; on y voyait un trou
profond, espèce de soupirail, d’où sortaient des oracles
redoutés. D’autres disaient comment Endymion, chef des
montagnards d’Etolie, s’était uni à la Lune, et comment
Pélops, ayant, grâce à la complicité du cocher Myrtile, vaincu
à la course le roi Œnomaos et épousé sa fille Hippodamie,
avait restauré les jeux Olympiques et construit des temples
en l’honneur d’Hermès et d’Artémis; comment les chefs
doriens, descendants d’Héraklès, ayant reçu d’un oracle
l’ordre de prendre pour guide un homme à trois yeux, suivi-
rent un cavalier monté sur un mulet borgne, et devinrent,
par ce moyen, les concurrents de l’Elide... Mais, du haut des
collines, nous apercevons, à travers les arbres, la blancheur
d’un grand mur. C’est le rempart de l’enceinte sacrée. Au-
dessus de la corniche qui court le long de la crête du mur, les
temples profilent l’arête de leurs toits couronnés d’acrotères.
Pour entrer, nous sommes obligés de traverser un bois de
pins, au-dessous de l’hippodrome, et de suivre la voie Olym-
pique, non loin du temple d’Artémis Alphiæa, ainsi nommé
parce que le fleuve Alphée, amoureux d’Artémis, poursuivit
jusqu’en cet endroit la déesse qui se cacha, toute tremblante,
avec ses nymphes, dans les joncs d’un marais ; quand le
fleuve arriva, toutes se noircirent le visage avec de la boue,
et l’Alphée ne put reconnaître Artémis. Cette route est bor-
dée de tombeaux et de statues, comme la voie sacrée
d’Athènes à Eleusis.
Nous entrons par une jolie porte, couronnée d’un fronton
et décorée d’une petite colonnade dorique. Nous voici dans
les avenues et les bois sacrés de l’Altis. Une bonne odeur de
chèvrefeuille flotte sous les hauts platanes. Parmi les feuilles
tombées, l’eau court, limpide et étincelante, fuit, dans les
rigoles, ou s’étale, dans les bassins, en nappes miroitantes.
Il fait bon, dans cette ombre fraîche et ces parfums, sous le
tiède soleil qui fait pleuvoir, à travers les branches, des
flèches d’or. En nous promenant sous bois, à l’aventure, nous
rencontrons, à chaque pas, des autels de marbre blanc, sur
lesquels tremble l’ombre des feuilles. D’innombrables statues
de Zeus, en bronze, peuplent les allées étroites. Toutes les
cités grecques ont tenu à consacrer l’effigie du dieu. Le Zeus
des Lacédémoniens a douze pieds de haut. Des Thessaliens,
pour rappeler une grande victoire remportée sur leurs voisins
de Phocide, ont fait faire par Ascaros, le statuaire thébain,
un Zeus couronné de fleurs. Il faut saluer surtout la statue
de bronze, fondue par Anayagoras d’Egine, et consacrée par
les villes grecques, après Platées. Vraiment, ici, le dieu a
toutes les attitudes et tous les visages. Ici, juché sur une
petite colonne, il étend la main vers nous. Le voici, gracieux
et sans barbe, tout rayonnant de jeunesse. Là-bas, il se cache
avec Ganymède, dans un bosquet.
Voici des statues d’athlètes, des chars, tout ce qui peut
rappeler les victoires olympiques. Les vainqueurs, musculeux
et superbes, s’alignent en longues avenues de statues. Les
deux plus anciennes se trouvent près de la colonne d’Œno-
maos ; l’une est en bois de cyprès ; elle représente Praxidamas
d’Egine, qui remporta le prix du pugilat dans la LIXe Olym-
piade ; l’autre est en figuier : c’est Phexibios d’Oponte, qui
fut vainqueur au pancrace, dans la LXIe Olympiade. Si nous
consultons tous les exégètes, chargés de guider les voyageurs
dans ce dédale d’ex-voto, on nous montrera, en face de l’en-
trée du temple de Zeus, plusieurs groupes de bronze, chefs-
d’œuvre des maîtres les plus fameux, qui les ont façonnés
pour immortaliser les luttes mémorables de l’hippodrome :
voici le char de Gélon, signé par Glaucias d’Egine ; Onatas
d’Egine et Calamis ont travaillé tous deux au monument de
Hiéron, fils de Binomène: l’un a fait le quadrige et l’autre les
chevaux. Derrière le Zeus de Platées se cache le quadrige de
Cléosthène d’Epidamne, le premier qui consacra sa victoire
hippique en dressant sa statue sur un char. En passant, notre
guide nous nomme complaisamment tous les athlètes fameux,
tous les coureurs célèbres qui ont triomphé dans la poussière
olympique : Pheidolas, l’illustre cavalier de Corinthe, a con-
sacré le portrait d’Aura, sa bonne jument,
Voici un homme qui joue de la flûte : c’est le musicien
Pythocritos de Sicyone, qui, pendant six fêtes consécutives,
a eu l’honneur d’accompagner les fêtes du pentathle. Un peu
plus loin, la ligue achéenne a consacré un magnifique ex-voto :
sur une longue base sont rangés les neuf chefs qui tirèrent au
sort l’honneur de combattre Hector. Voici Ulysse, Agamem-
non, Idoménée, Diomède, les deux Ajax, Mérion, Eurypyle,
Thoas. Le vieux Nestor agite les noms des héros dans un
casque. Passons devant l’Héraklès de bronze, haut de dix
coudées, que les Thasiens ont commandé à Onatas d’Egine.
Voici un singulier groupe : trente-cinq enfants sont, rangés
autour de leur maître et d’un joueur de flûte. Une vieille
inscription nous raconte la touchante histoire de ces enfants.
Us allaient à la fête de Rhéghion, sur une trirème fleurie. Ils
se sont noyés dans le détroit de Messine. Les poissons les
ont dévorés. Et leurs parents ont voulu que le fameux sculp-
teur Callon d’Ellis immortalisât leur forme terrestre.
Mais de tous ces chefs-d’œuvre qui peuplaient les allées de
l’Altis, un des plus beaux était la Victoire de Pœonios. On la
voyait de loin, sur la terrasse de Zeus. Son piédestal est
formé de sept blocs de marbre superposés. Elle a été consa-
crée par les Messéniens de Naupacte, qui ont gravé sur la
base cette inscription : « Les Messéniens et les habitants de
Naupacte à Zeus Olympien. Dîme du butin conquis sur les
ennemis. Exécuté par Pœonios de Mendé, qui, pour les sculp-
tures en haut du temple, a remporté le prix et fait les figures.»
La Victoire semble glisser dans l’air, tant son allure est légère
et rapide. Les plis de sa fine tunique de lin flottent sur les
formes robustes et délicates, sans brider le mouvement de la
déesse, qui marche en avant, toute rayonnante de jeunesse
et d’espoir. Le chaud soleil a doré le marbre, et quand l’effi-
gie victorieuse apparaît dans le ciel clair, il semble qu’elle est
vivante, qu’elle va se détacher de son socle et prendre son
vol.
L’exégète nous conduit au seuil du grand temple, près de
l’autel d’Athéna Ergané, la déesse industrieuse pour laquelle
les descendants de Phidias répandent, à certains jours, des
libations d’huile sainte. La façade brille, étincelante d’or,
enluminée de joyeuses couleurs. Six colonnes doriques sou-
tiennent l’architrave, qui est blanche comme celle du Par-
thénon, mais où l’on a suspendu des boucliers d’or. Le fût
des colonnes est blanc ; mais des palmettes et des lotus fleu-
rissent sur l’échine des chapiteaux. Au sommet du fronton se
tient debout une Victoire qui porte un bouclier d'or. Pœonios
a sculpté les figures qui se détachent, très claires, sur le fond
bleu du fronton oriental. Il a voulu représenter les apprêts
de la course de char où vont lutter Pélops et Œnomaos. Zeus
est debout, au milieu. Il a une grande barbe et porte le
sceptre. A sa droite, Œnomaos, casque en tête et la chla-
myde sur l’épaule, s’appuie, de la main gauche, sur son arc.
De l’autre côté, Pélops, tout jeune, sans barbe, en cuirasse
de bronze, le bouclier lacé au bras gauche, et la lance dans
la main droite. Les deux héros sont plus petits que le dieu.
A la droite d’Œnomaos, sa femme Stérope, fille d’Atlas, en
tunique talaire. A gauche de Pélops, Plippodamie, la tête
penchée, toute rêveuse. Ce groupe, exactement équilibré, se
divise en deux parties, en deux camps. Les personnages se
répondent et semblent se faire contrepoids : à droite, les trois
chevaux de Pélops et le cocher Sphairos, le genou en terre,
la bride passée autour du bras droit, puis un vieillard chauve,
assis et grave, sans doute le maître du héros ; puis, après, un
jeune homme au fin profil, qui est sans doute un compagnon
du héros, le fleuve Kladéos, couché dans l’angle du fronton,
les deux bras accoudés au sol. De l’autre côté, le cocher Myr-
tile et les trois chevaux d’Œnomaos, un serviteur d’Œno-
maos, et une jeune fille qui regarde l’Alphée, étendu tout de
son long, le menton dans la main.
Faisons le tour du monument, le long des treize colonnes
qui suivent le mur de la cella, et sans nous attarder trop
longtemps aux trépieds de bronze, aux colonnes, aux vases
précieux qui bordent le chemin des processions, arrêtons-
nous devant la façade occidentale. Nous avons, à notre main
gauche, le Pélopéion et l’Héraion ; derrière nous le Prytanée
et le Philippéion. Le fronton occidental, qu’on nous dit être
d’Alcamène, est plus beau que l’autre. Le statuaire a voulu
représenter le combat des Centaures et des Lapithes, aux
noces de Pirithoüs. Au milieu, Apollon, dieu de Delphes et
protecteur d’Olympie, père de Kentauros et de Lapithès, les
ancêtres des deux races ennemies. Le dieu est calme, impas-
sible. De belles boucles serrées entourent son front. Une dra-
perie qui couvre l’épaule droite laisse à découvert le cou, la
poitrine large et musculeuse, tout le corps, jeune et souple,
robuste et délicat. De chaque côté d’Apollon, des groupes
violents se démènent en des poses furieuses. D’un côté, le |