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L’ÉMULATION.
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centaure Eurytion, la croupe et le buste tordus, enlève Dei-
damia. Mais Pirithoüs assène sur le front du monstre un
coup de marteau. De l’autre côté, Thésée assomme un autre
centaure, tandis que, vers l’angle du fronton, des lutteurs
obstinés, les muscles gonflés, la poitrine haletante, le visage
en sueur, se saisissent et se terrassent. Si, maintenant, nous
montons les degrés qui mènent au stylobate, et si nous regar-
dons les bas-reliefs qui décorent la frise intérieure du por-
tique, nous apprendrons, comme dans les chants successifs
d’un poème, l’histoire héroïque d’Héraklès, fondateur des
jeux Olympiques. Voici le héros, vainqueur du sanglier
d’Erymanthe ; il apporte sur son épaule la bête encore
vivante ; Eurysthée a peur ; il se blottit dans un tonneau, et
fait signe au chasseur de ne pas approcher... Héraklès
dompte les chevaux féroces de Diomède... Héraklès est allé
près de Gadès enlever les troupeaux du triple Géryon ; déjà
il a tué les bergers et les chiens ; maintenant il livre bataille
au monstre; l’un des trois corps de Géryon est blessé et
retombe à terre. Les deux autres corps, couverts de bou-
cliers, inclinés sur les genoux, combattent encore... Héraklès
soutient la voûte du ciel. Devant le héros s’avance Atlas, les
cheveux serrés dans un diadème, tenant dans ses deux mains
étendues des pommes d’or. Derrière Héraklès, une Hespé-
ride est debout, drapée d’une tunique talairet. Les écuries
d’Augias. Héraklès, armé d’une large pelle, dans l’attitude
d’un bon ouvrier, pousse le fumier. Derrière lui, Athéna,
casquée, l’encourage... Héraklès tire au bout d’une corde
Cerbère, qui résiste mollement, comme un bon chien de
chasse... Si nous allons voir la frise intérieure de l’autre
façade, les figures de marbre nous raconteront l’histoire du
lion de Némée, des oiseaux de Styrnphale, du taureau cré-
tois, de la biche Cerynite, de l’amazone Hippolyte.
Le cleidouque du temple, à qui l’on confie la garde des
ex-voto et du trésor, ouvre la porte de fer par où l’on entre
dans le pronaos. On marche sur une mosaïque où des tritons
soufflent dans des conques. Dans tous les coins, il y a des
entassements d’offrandes. Nous sommes dans un musée :
près de nous, Ekékheiria, déesse de la paix sacrée, couronne
Iphitos, pour le récompenser d’avoir institué la trêve olym-
pique; voici la signature de Glaucos d’Argos, sur les statues
d’Amphitrite, de Poséidon et d’Hestia; Nicodamos du Mé-
nale a fait pour les Eléens une Athéna casquée, armée de
l’égide ; Calamis a fait pour les Mantinéens une Victoire sans
ailes. A droite, contre le mur du fond, sur un large piédestal,
se cabrent les chevaux de bronze, consacrés par Cyniska,
fille d’Agésilas, et fondus par le sculpteur Apelleas. Une
porte s’ouvre; dans le demi-jour de la cella, sous les reflets
de pourpre du voile précieux offert par le roi Antiochos,
parmi les boucliers d’or, les vases d’argent, les trépieds de
bronze où vacillent de vagues reflets, le dieu apparaît. Il est
assis sur un trône que décorent des profils de sphinx et des
statuettes de la Victoire, et qui repose sur des lions couchés.
Dans sa main droite, il tient une Victoire d’or, dont les ailes
sont largement éployée. Sur le sceptre où s’appuie sa main
gauche, étincelle un aigle d’or. Au-dessus du front calme et
vaste, l’ample chevelure s’épand en grandes boucles, et le pli
de la lèvre hautaine se perd dans l’opulente barbe. La poi-
trine, large et robuste, est nue, mais une draperie d’or,
semée d’étoiles et chamarrée de bêtes fantastiques, glisse le
long de l’épaule gauche, s’étale sur les genoux et tombe sur
les pieds du dieu. Zeus nous regarde fixement; la terreur
s’empare des assistants, devant cette toute-puissance si calme,
et, tout bas, ils prient le sacrificateur, appelé catémérothyle,
d’offrir, en leur nom, un sacrifice au grand autel de Zeus.
C’est Phidias, fils de Charmidès, Athénien, qui a fait cette
statue. Vingt ans après que le temple fut achevé, Phidias fut
appelé par le Sénat d’Olympie. Il amena avec lui son parent
Panœnos, qui avait déjà travaillé au Pœcile d’Athènes, et son
élève Colotès ; Panœnos cisela les détails du socle et du
trône, puis il peignit les fleurs qui ornaient le vêtement du
dieu. On conte qu’un jour Phidias avait exposé son œuvre
inachevée ; caché dans un coin, il écoutait ce que disaient les
visiteurs. Comme les critiques avaient été nombreuses et
vives, le vieux maître s’enferma de nouveau avec sa statue ;
quand il eut corrigé tous les défauts qu’il put apercevoir, il
se prosterna devant le dieu et lui demanda s’il était content
de la figure terrestre qu’il lui avait donnée. Aussitôt un
joyeux tonnerre retentit dans le ciel serein et la foudre tomba
dans le temple, sans faire de mal à Phidias, qui reconnut, à
ce signe, que le divin modèle était content. Depuis ce temps,
les polisseurs appelés phaedryntes, chargés de verser de l’huile
sur l’ivoire du colosse, afin de le préserver de l’humidité, sont
toujours choisis parmi les descendants de Phidias.
Près du temple de Zeus, se trouve celui de Héra. C’est
un des plus vieux sanctuaires de l’enceinte sacrée. Dans l’opis-
thodome, les cleidouques conservent le coffre de Cypsèlos.
Il est façonné en bois de cèdre, plaqué d’ivoire et ciselé d’or.
Sur les quatre faces, on a sculpté des bas-reliefs et gravé des
inscriptions, qui furent composées, dit-on, par Eumélos de
Corinthe : Œnomaos poursuit Pélops et Hippodamie, qui
fuient sur un char attelé de chevaux ailés... Héraklès perce
de flèches l’hydre de Lerne... Le roi de Thrace est défendu
contre les Harpies par le fils de Borée... La Mort et le Som-
meil défilent, avec la Nuit, leur nourrice... La Justice frappe
le crime... Idas enlève Marpessa aux beaux pieds... Zeus
offre à Alcmène une coupe et un collier... Ménélas gronde
Hélène... Les Muses chantent autour d’Apollon... Voici
Borée qui enlève Orythie, Héraklès qui terrasse le triple
Géryon, Thésée et Ariadne, le combat d’Achille et de Mem-
non, Mélanion et Atalante, le duel d’Ajax et d’Hector,
Hélène et les Dioscures, Circé et Ulysse, Nausicaa se ren-
dant au lavoir. Ce coffret est une théogonie et un poème
épique ; il faut le lire comme un livre sacré. La déesse est
assise, dans sa cella, auprès de Zeus; sa chevelure, qui se
colle à son front en bandeaux ondulés, est serrée d’un étroit
diadème; sous la haute arcade des sourcils, les gros yeux,
saillants, regardent d’un air étonné. Homère a dit : « Héra
aux yeux de vache. » Mais la merveille du temple de Héra,
c’est Y Hermès portant Dionysos enfant, de Praxitèle. Le vieil
auteur du poème homérique, appelé Hymne à Hermès, serait
content s’il voyait cette statue, et un Athénien penserait à
ces vers du poète Euripide :
« Atlas qui, de ses épaules d’airain, soutient le ciel,
« demeure antique des dieux, engendra une déesse, Maïa,
« qui m’a enfanté, moi Hermès, messager de Zeus, le plus
« grand des Daimones. Mon frère Phoibos me fit cette
« prière : « O frère, étant allé vers le peuple autochtone de
«« l’illustre Athéna, tu prendras sous la roche creuse un
«« enfant nouveau-né. Porte-le, avec son berceau et ses
«« langes, à mon temple de Delphes, et dépose-le à l’entrée
«« de mes demeures. Pour le reste, cet enfant étant le mien,
« « c’est à moi de m’en inquiéter. » — Afin de plaire à mon
« frère Loxias, j’ai emporté le berceau de joncs tressés, et j’ai
« déposé l’enfant sur les marches du temple. »
Ici, ce n’est pas le fils d’Apollon et de Créuse que le dieu
porte dans ses bras : c’est Dionysos. Hermès est beau d’une
beauté surhumaine et parfaite ; sa poitrine est large et svelte,
ses cuisses fortes et fines. Debout, il regarde le petit enfant
potelé et joufflu qu’il soutient sur son bras gauche et qui lui
tend les mains. Nous ne pouvons le quitter, tant nos yeux
aiment à suivre le contour parfait de sa forme vigoureuse et
souple.
Entre le temple de Zeus et celui de Héra, les Achéens de
Pise ont élevé un temple à Pélops, le héros de leur race. Le
Métroon est un monument digne de la splendeur d’Olympie.
Mais une des grandes curiosités de la ville sainte, c’est, sans
contredit, la Terrasse des Trésors, le long du mur d’enceinte,
tout au pied du mont Kronios. Si l’on veut avoir quelque
idée de la richesse et des mœurs des peuples qui honorent
Zeus olympien, c’est ici qu’il faut venir, et visiter en détail
tous les petits monuments dont les façades bariolées s’alignent
sur cette longue ligne. Les gens de Sicyone conservent, avec un
soin jaloux, dans le local qui leur a été concédé, trois disques
qui ont servi à la lutte du pentathle, l’épée de Pélops, ornée
d'une garde d’or, une corne d’Amalthée, en ivoire, envoyée
par Miltiade, premier tyran de la Chersonèse ; deux châsses,
dont l’une, consacrée par Myron, tyran de Sicyone, est en
bronze de Tartessos et pèse cinq cents talents. Si vous aimez
les armes bizarres, les cuirasses puniques, les idoles barbares
de Moloch, le dieu-taureau à trois yeux, les emblèmes de
Baal-Ammon, les voiles de pourpre phéniciennes, entrez
dans le petit monument construit par Pothaios, Antiphilos
et Mégaklès, sur l’ordre de Gélon, tyran de Syracuse. On a
pendu au mur ou exposé sur des tables la meilleure part des
objets précieux pris aux Carthaginois à la bataille d’Himère.
Dans le trésor de Byzance, il y a une riche collection de
vaisselles d’or et d’argent, une sirène et un triton en bois de
cyprès.
Les gens de Métaponte possèdent une idole d’Endj-mion,
en ivoire, et cent trente-deux coupes d’argent. Les Mégariens
ont gravé sur l’architrave de leur édicule une inscription qui
nous apprend qu’ils l’ont bâti en souvenir d’une victoire sur
Corinthe. Les bas-reliefs qu’ils ont fait sculpter sur le fronton
ne sont pas très beaux, mais ils sont très anciens et peints de
toutes les couleurs, comme ceux du temple d’Héraklès, sur
l’acropole d’Athènes. Les Mégariens sont fiers des épées et
des casques qu’ils ont amoncelés en ce lieu. Mais leur monu-
ment n’est pas si beau que le trésor de la ville de Géla, qui
est tout reluisant de terres cuites peintes. Il est agréable de
rester longtemps sur cette terrasse ; car, de ce point, nous
embrassons, d’un seul regard, la vue entière de la ville sainte.
Au moment où le soleil décline, lorsque le ciel est rose, cette
vue est incomparable. Devant nous, à nos pieds, sous les
portiques de l’agora, des marchands vendent aux pèlerins de
menus objets de piété, surtout des statuettes de Zeus, en bois
ou en bronze doré. A notre gauche, la piste dallée du stade,
avec la tribune des hellanodices, et l’autel de marbre blanc
où s’assied la prêtresse de Déméter Chamyne, la seule femme
admise aux courses. Puis, au bout d’un chemin qui longe la
tribune des hellanodices, l’hippodrome. Les Grecs s’y assem-
blent, à certains jours, pour y admirer la beauté des hommes
forts et des chevaux de race : « O étranger, disait Solon à un
Scythe barbare qui ne comprenait pas l’attrait de ces specta-
cles, si nous étions à l’époque des jeux Olympiques, des jeux
Isthmiques ou des Panathénées, tu apprendrais, en voyant
ce qui s’y passe, que nous n’avons pas tort de montrer tant
d’ardeur pour ces fêtes. Je ne puis, par la parole, te donner
une idée du plaisir que tu aurais, assis au milieu des curieux,
à voir la bravoure des athlètes, la beauté de leur corps, leurs
admirables poses, leur merveilleuse souplesse, leur force infa-
tigable, leur audace, leur émulation, leur courage invincible,
leurs efforts incessants pour la victoire. Je suis certain que tu
ne cesserais de les combler de louanges, de te récrier et d’ap-
plaudir... »
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Je me suis attardé à rêver à propos du livre de MM. Mon-
ceaux et Laloux. Il y a des poèmes épiques moins riches de
visions, de surprises et de pensées, que l’ingénieux catalogue
qu’ils ont patiemment dressé. Il me semble maintenant que
je suis allé à Olympie, comme le jeune Anacharsis, avec deux |