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Fig. 1. — Vitrail de la chapelle Saint-Louis,
à la cathédrale de Tournai.
Fig. 2. — Coffret orné d’orfèvrerie d’étain conservé à la cathédrale de
Tournai. (Demi-grandeur d’exécution).
Fig. 3. — Lettrine d’une bible exécutée vers
1084 par le moine GODERANUS et conservée
au séminaire de Tournai.
grande valeur. On sait que la calligraphie a été surtout en
honneur dans ce sanctuaire de la science et de la piété. Au
XIIIe et au XIVe siècles, les monuments deviennent plus nom-
breux. Au xve siècle, le nombre des enlumineurs s’accroît sin-
gulièrement ; ces artistes font partie de la corporation des
peintres. Signalons à ce sujet un fait intéressant : la présence
de plusieurs prêtres parmi les maîtres enlumineurs. En Hol-
lande, et dans certaines contrées de la Belgique, il n’etait pasrare
de voir des religieux, tels que les Frères de la Vie Commune,
chercher dans la transcription et la décoration des livres d’heures
des moyens de subsistance. Néanmoins, à Tournai comme à
Gand et à Bruges, c’est l’élément laïque qui prédomine. A par-
tir du XIIIe siècle, l’art sort des monastères, mais librement et
sans manifester des tendances hostiles à ses anciens maîtres,
comme on s’est plu à le répéter, à la suite de Viollet-le-Duc.
Aux progrès de l’en-
luminure correspon-
dent ceux de la pein-
ture, sa sœur cadette,
qui était destinée à la
supplanter définitive-
ment. Le triomphe
auquel nous faisons
allusion, date de la
diffusion des livres
imprimés. Jusqu’aux
premières années du
XVIe siècle, ces deux
branches, appartenant
à un même tronc, se
développent parallèle-
ment. Souvent comme
l’occasion nous a été
donnée de le consta-
teur, l’enlumineur a
copié le peintre ou a
interprété son œuvre.
Du reste, il n’y a pas eu,
comme il ressort des
documents produits
par MM. Cloquet et de
la Grange, une ligne
de démarcation nette-
ment tranchée entre
les deux classes d’ar-
tistes. Les différences
que l’on remarque dans
leurs œuvres tiennent
plutôt de la nature de
leurs travaux que des
tendances des artistes.
Le nom de Roger
de la Pasture a suscité
des débats épiques
qu’il ne convient pas
de rappeler mainte-
nant. Ici, les pièces de ce vieux procès sont reproduites in
extenso, et la cause des Tournaisiens, défendue naguère avec
tant d’ardeur par feu M. Pinchart, sort une fois de plus
triomphante. Tout au plus, les Tournaisiens devront-ils recon-
naître que maître Roger a subi l’influence du génie flamand.
Certes, on aurait mauvaise grâce d’affirmer aujourd’hui que
l’illustre élève du peintre Campin n’a pas vu le jour dans l’an-
tique cité tournaisienne.
Quant à la liste des œuvres attribuées à ce maître, n’y
aurait-il pas lieu à quelques réserves ? L’examen de cette
énumération a fait naître dans notre esprit plus d’un doute,
que l’espace ne nous permet pas de détailler en ce moment.
L’ensemble de ce chapitre présente cependant le plus vif
intérêt.
La réputation de l’école de peinture de Tournai devait être
bien établie, car nous voyons s’y rendre des apprentis de
Courtrai, d’Arras, d’Ypres, de Bruxelles, de Diest, de Ter-
monde; à partir du XVIe siècle, on compte même des Anver-
sois, des Gantois, etc.
On aimerait à faire la connaissance des productions des
ateliers tournaisiens. Si l’on place à part les œuvres de Roger
van der Weyden, un voile épais recouvre les origines et le
développement d’une école qui a dû être féconde. Les minia-
tures du Pontifical de Ferry de Clugny, dont l’ouvrage donne
deux reproductions, sont des œuvres de valeur ; mais est-
on en droit de les restituer à un atelier tournaisien? A qui
faut-il restituer les grisailles qui décorent le psautier de
Henri VIII? Le calendrier indique une origine française. Ce
travail de l’enlumineur, d’une grande distinction et d’un réa-
lisme mitigé, a-t-il vu le jour à Tournai ou dans le nord de
la France?
La première page du cartulaire de l’hôpital Saint-Jean, qui
a figuré l’an dernier à l’Art ancien à Bruxelles, contient des
détails charmants, mais se rapproche par le faire des œuvres
sorties des ateliers de Bruges et de Gand.
L’âge d’or de la peinture, à Tournai, a été le xve siècle ; les
siècles suivants ont dû produire, sans doute, des talents esti-
mables, mais quel est celui qui a survécu à son temps ! Il
était réservé à M. Gallait de faire revivre, par son talent, le
renom de l’école tournaisienne.
Faute d’éléments d’appréciation, il serait impossible d’as-
signer aux artistes leur véritable caractère et de connaître
leurs tendances. Ont-ils eu une physionomie propre comme
les maîtres brugeois ? ou se sont-ils laissé influencer par des
artistes étrangers?
Il y aurait là un joli sujet d’étude.
Passons aux peintres verriers. Dans ce domaine encore, les
Tournaisiens se sont distingués. L’évêque Étienne, contem-
porain de Suger, avait fait placer des vitraux aux fenêtres de
l’oratoire épiscopal, qu’il avait fait construire en 1198. Dès le
XIIIe siècle, Tournai compte des maîtres verriers, et les monu-
ments que la cathédrale a conservés sont assez célèbres pour
qu’il soit nécessaire d’insister. Au xve et au XVIe siècle, les
verriers abondent. Pour le XVIIe siècle, époque de décadence
pour l’art si noble de la peinture sur verre, dix noms ont été
encore recueillis.
L’orfèvrerie tournaisienne ne nous est connue que par un
petit nombre d’œuvres, mais ce qui nous reste est incompa-
rable. Nous citons la châsse de saint Eleuthère, monument
prodigieux où la tradition classique, dans ce qu’elle a de plus
noble, a été agrandie par la pensée chrétienne. Ce joyau, sans
pareil a manquéà l’exposition d’art rétrospectif de l’an dernier.
Il avait sa place toute désignée près de la châsse de saint
Hadelin de Visé, monument considérable du XIIIe siècle, qui
décèle une conception élevée rendue avec des moyens d’ex-
pression peu nombreux mais puissants.
Nous eussions désiré trouver dans l’ouvrage de MM. Clo-
quet et de la Grange, une reproduction de la châsse de Notre-
Dame, travail de Nicolas de Verdun. Si cette œuvre le cède
de beaucoup au retable de Klosterneubourg, elle mérite
cependant d’être connue du lecteur.
L’indifférence et le pillage ont fait disparaître à Tournai,
comme partout ailleurs, une foule de joyaux artistiques. Nous
avons appris, au cours de notre lecture, qu’une famille du
pays vient d’aliéner une des plus gracieuses conceptions de
notre orfèvrerie nationale.
Cette œuvre, originaire de Tournai, consistait dans un édi-
cule élégant en cuivre doré, du commencement du XIVe siècle,
abritant naguère encore l’image de la Vierge. Il est pourvu
de volets représentant les mystères de la vie de Jésus-Christ.
Aujourd’hui, nous ignorons le sort de ce monument d’un
aspect si original, à en juger par les reproductions que nous
avons sous les yeux. Il a été présenté en vente au Louvre !
Avec un peu de patriotisme, on eût songé à l’offrir à un musée
belge.
Du train dont on y va, dans une couple de générations, on
devra multiplier les pèlerinages à l’étranger pour se procurer
la coûteuse jouissance d’admirer des œuvres d’art qui consti-
tuaient le patrimoine de nos anciennes familles...
A titre d’enseigne-
ment sur le goût de
nos ancêtres, pour les
bonnes et belles cho-
ses, nous engageons
beaucoup à lire l’in-
ventaire des argente-
ries et bijoux trouvé
chez Simon Savary
en 1477.
Les données recueil-
lies par MM. de la
Grange et Cloquet,
prouvent que l’orfèvre-
rie civile, du XIIIe au
xve siècle inclusive-
ment, a été cultivée
avec succès à Tournai.
Les annexes (p. 392 a 458) nous fournissent sur les orfèvres,
les changeurs et les graveurs beaucoup de renseignements, la
plupart inédits, puisés aux sources les plus diverses et trans-
crits en leur style aussi naïf que pittoresque.
Il nous tarde de terminer ce trop long compte rendu, mais
auparavant nous tenons à remercier MM. de la Grange et
Cloquet de nous avoir fait part du fruit de leurs longues et
laborieuses recherches.
Leur ouvrage n’est pas de ceux qui s’oublient : il a droit à
une place d’honneur dans la bibliothèque de tous les amis des
arts. Souhaitons, en terminant, à nos courageux chercheurs
d’être à même d’achever la reconstitution du passé artistique
de l’antique cité tournaisienne, à laquelle ils se sont voués de
tout cœur. J. Destrée,
Conservateur-adjoint du Musée royal d'Antiquités
et d’Armures de Bruxelles.
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L’ ÉMULATION.
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