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que, dans toutes ces reproductions, on imitât non seulement
la couleur de la pierre, mais encore, si c’est nécessaire, celle
du bois, du fer, du cuivre, du bronze.
On l’a essayé, du reste, au musée même, pour les fonts
baptismaux d’une église de Liège, ainsi que pour la plaque
tombale d’un monument funéraire de Bréda, et on a obtenu
des imitations parfaites et qui donnent bien mieux l’impression
de l’original.
J’ai demandé à M. le conservateur en chef pourquoi l’on
n’avait pas poursuivi cette expérience si bien commencée. Il
m’a été répondu qu’il partageait absolument ma façon de voir,
mais qu’il avait les mains liées.
Puisque nous sommes à ce musée du Cinquantenaire, et
sans avoir, le moins du monde, l’intention de passer tout le
musée en revue, je vous demanderai de me suivre encore un
peu plus loin, dans les galeries consacrées à l’art décoratif et
à l’ethnographie.
Ici encore, règne le même désordre dans un ordre apparent!
Je n’en citerai qu’un exemple pour ne pas fatiguer l’assemblée.
Il y a là une collection excessivement remarquable de verres,
qui pourrait donner une excellente idée de l’histoire de la
fabrication du verre.
Eh bien ! pour la voir dans tous ses détails, il faut d’abord
chercher, dans la grande salle, des vitrines séparées par des
collections de vases grecs, pour trouver le reste dans une salle
latérale derrière des instruments préhistoriques et des sarco-
phages égyptiens.
D’autre part, puisque c’est là le musée d’ethnographie,
pourquoi disperser les collections ethnographiques, les unes
au musée du Cinquantenaire, les autres au musée d’histoire
naturelle, d’autres encore à la porte de Hal ?
Je ne dirai rien du musée d’histoire naturelle, où le classe-
ment est irréprochable sous le rapport scientifique; mais allez,
par exemple, à la porte de Hal : qu’y voyez-vous ? '
Vous y voyez, sans doute, de belles panoplies, des trophées,
de cartouches qui ont l’air d’une réclame industrielle, de
belles piles de boùlets, des canons, de vieux mortiers qui font
l’admiration des militaires et des enfants (rires), et qui ont, du
reste, leur mérite archéologique. Vous y voyez aussi, je le
reconnais, de nombreux souvenirs nationaux, des armes et
des armures qui sont des sujets d’admiration pour les anti-
quaires. Mais tout cela se trouve pêle-mêle avec les objets les
plus disparates, tels que des colonnes indoues, des antiquités
mexicaines, des costumes chinois, des fétiches du Congo, des
coiffures océaniennes, sans compter la porte de l’ancienne
Maison des Poissonniers à Bruxelles, faisant face à une che-
minée de la Renaissance. Qu’on envoie donc au Musée ethno-
graphique les objets qui concernent l’ethnographie, au Musée
d’Art décoratif les objets qui seraient à leur place, et qu’on
classe ce qui restera à la porte de Hal, de façon à nous pré-
senter une histoire complète de l’armement.
Il ne faut pas oublier que le but essentiel des musées est,
d’une part, de faciliter les recherches des savants et les tra-
vaux des artistes ; d’autre part, d’instruire le public en l’inté-
ressant. Pour cela, il faut un double classement à la fois chro-
nologique et systématique. Ce classement est, du reste,
adopté dans la plupart des grandes villes étrangères, notam-
ment à Berlin, à Londres, à Oxford, à Paris.
Pourquoi n’en pourrait-il être ainsi chez nous ?
Dans deux ans, nous aurons, je l’espère du moins, une
exposition universelle, qui attirera dans notre capitale de
nombreux visiteurs et qui donnera lieu à la réunion de con-
grès où se rencontreront les savants de toutes les nations.
Est-ce un vœu trop téméraire que de manifester le désir de
voir pour cette époque nos collections mises en ordre ?
Mais, pour cela, il est absolument nécessaire qu’on se mette
dès à présent à la besogne, avec une méthode arrêtée et
d’après un plan d’ensemble.
Un mot encore, messieurs, à propos des subsides accordés
aux Beaux-Arts.
Il y a deux ans, l’honorable ministre de l’intérieur, dans le
discours que j’ai rappelé tantôt, répondait delà sorte à ceux
qui réclamaient l’intervention de l’Etat en cette matière :
« Il reste plus d’un grand édifice que l’Etat pourrait livrer
à ses peintres et dont la décoration suffirait à susciter un
grand mouvement parmi nos peintres, où certainement les
talents ne manquent pas. «
J’ai appris, depuis lors, que le département de l’intérieur a
confié à deux de nos artistes les plus distingués l’exécution de
sculptures au Jardin botanique, ainsi que la décoration du
grand escalier du Palais des Académies.
Je l’en félicite, mais je me permettrai de signaler à l’hono-
rable ministre un autre monument qui est encore aussi vierge
de toute décoration artistique qu’au jour où il est sorti des
mains de l’architecte, et c’est peut-être fort heureux, car cela
permettra au moins de dresser et de suivre un plan d’ensem-
ble dans sa décoration.
Je veux parler du Palais de Justice de Bruxelles. Quand
vous y pénétrez, vous voyez partout des socles, des dés, des
consoles, des corniches, des entre-colonnes qui bâillent depuis
douze ans à attendre chacun son groupe, sa statue, son buste
ou son vase décoratif.
Non seulement ces lacunes donnent à l'édifice un air
inachevé qui frappe tous les étrangers, mais il faut tenir
compte aussi de ce que l’utilisation de ces supports faisait
partie intégrante de l’œuvre, telle qu’elle a été primitivement
conçue.
Si on ne voulait pas y pourvoir, il ne fallait pas les créer
ou même les laisser subsister dans les plans.
Je citerai particulièrement, messieurs, la salle des pas-
perdus, où quelques œuvres d’art placées sur des socles des
escaliers et des balustrades seraient de nature à corriger ce
qu’il s’y trouve d’un peu sec et raide dans les lignes.
Il y a aussi les rampes de l’escalier extérieur, sous le grand
portail, ainsi que la cage de l’escalier vers la rue des Minimes,
« ce monument dans un monument », comme on l’a appelé.
On trouve là des emplacements tout indiqués pour des lam-
padaires artistiques qui pourraient, suivant les nécessités,
être adaptés au gaz ou à la lumière électrique.
D’autre part, à la cour d’assises, au tribunal de commerce,
dans les différentes salles de la cour d’appel et de la cour de
cassation, il existe des panneaux destinés à recevoir des tapis-
series, des tableaux, voire des frises qui pourraient fournir à
nos artistes l’occasion d’exercer leur génie symbolique.
Quelques-uns de ces cadres sont pudiquement ornés d’une
toile verte qui cache la nudité du mur et qui fait l’effet d’un
rideau. Il ne se passe guère de jour où quelque visiteur, au
courant des habitudes de nos églises, ne demande aux gar-
diens du palais de tirer le rideau pour voir le chef-d’œuvre
qu’il dissimule. (Sourires.)
Je ne demande pas que l’on exécute ces travaux de décora-
tion du jour au lendemain, je ne demande même pas qu’on
les commence à l’aide du budget actuel, mais je demande
qu’on les prépare, en dressant dès maintenant un plan général
des travaux à exécuter, non pas qu’il faille arrêter dès aujour-
d’hui tous les sujets, qu’il faille refuser toute liberté à l’artiste
ou s’enchaîner complètement pour l’avenir; mais, ce que je
demande, c’est qu’on arrête dans une vue d’ensemble la nature
et la forme de la décoration qui convient à chaque salle, à
chaque galerie, à chaque emplacement.
Si l’on procède au hasard des circonstances et des fantaisies
administratives, on risque d’aboutir à un manque d’unité, de
goût, d’harmonie, qui pourrait bien faire ressembler le Palais
de Justice — quelques chefs-d’œuvre qu'on y accumule isolé-
ment —• à une gigantesque salle de vente.
Séance du 24 février 1893
M. le comte Goblet d’Alviella. — Messieurs, je ne veux
pas revenir sur les observations que j’ai présentées dans la
séance d’hier.
Je reconnais volontiers que le gouvernement a fait beau-
coup, depuis quelques années surtout, pour l’agrandissement
de nos musées et le développement de nos collections.
Je ne veux pas non plus méconnaître que M. le Ministre ne
soit, à cet égard, animé des meilleures intentions.
Toutefois, je me permettrai d’exprimer le désir que ces excel-
lentes intentions soient plus rapidement suivies d’effet.
Je vous en ai cité un exemple caractéristique quand j’ai rap-
pelé, dans la dernière séance, ce qui s’est fait, depuis deux
ans, au musée des moulages, alors que M. le Ministre avait
promis à l’honorable M. Buis de faire mettre un terme à la
confusion qui y règne.
Il est absolument indispensable qu’on se pénètre le plus tôt
possible de la nécessité d’opérer un classement méthodique.
Il faut qu’on puisse, du premier coup d’œil, surtout dans un
musée d’ethnographie et d’art décoratif, à la fois embrasser
successivement l’ensemble de chaque civilisation et suivre
chaque manifestation de l’activité humaine dans ses transfor-
mations successives, depuis ses formes les plus rudimentaires
chez les sauvages ou chez les préhistoriques jusqu’à ses formes
les plus perfectionnées, en passant par toutes les phases inter-
médiaires de son évolution.
C’est seulement dans ces conditions qu’un musée peut rem-
plir le double but scientifique et éducateur que j’indiquais
l’autre jour.
Je sais bien, messieurs, que nos musées sont extrêmement
riches en œuvres d’art et en antiquités de toute nature ; mais
mon observation tend précisément à obtenir que ces richesses
soient mises en meilleure lumière et qu’on leur fasse produire
leur maximum d’utilité.
Puisque j’ai la parole et afin de ne pas être obligé de la rede-
mander plus tard, je me permettrai d’ajouter un mot sur la
décoration du palais de justice.
L’honorable Ministre de l’Intérieur nous a dit qu’il était, à
cet égard, plus riche en bonnes intentions qu’en fonds : je le
reconnais volontiers! Mais je n’ai pas demandé que l’on pré-
levât les fonds nécessaires à cette décoration sur le budget
actuel. J’ai voulu surtout montrer la nécessité d’élaborer un
plan d’ensemble, afin de ne pas tomber dans le provisoire et
le décousu.
Permettez-moi de vous citer un exemple qui vous prouvera
combien il est temps de parer à ce danger, malheureusement
trop fréquent dans notre pays.
Quand je vous ai dit, l’autre jour, que le palais était encore
vierge de toute œuvre d’art, je n’ai pas été tout à fait exact. On
y a placé, en effet, en ces derniers temps, le buste de deux de
nos illustrations juridiques, qui, je m’empresse de le dire, ont
tous les titres pour y figurer à une place d’honneur. Or, ces
bustes ont été hissés, à l’extrémité d’une longue galerie, dans
deux énormes niches qui sont destinées à recevoir des statues
en pied, si bien que, quoi qu’ils soient plus grands que nature,
ils sont hors de proportion avec leur cadre.
J’estime qu’il faudrait prévenir le retour de semblables ano-
malies ; au lieu d’assigner la première place venue aux œuvres
d’art qu’on exécuterait successivement, il faudrait que chaque
œuvre eût une place déterminée d’avance, en relation avec une
idée d’ensemble; en d’autres termes, il faut qu’on s’occupe dès
maintenant d’établir quel genre de décoration convient à
chaque partie de l’édifice.
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L’ÉMULATION.
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