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CONSEIL DE PERFECTIONNEMENT
DE
L’ENSEIGNEMENT DES ARTS DU DESSIN
RÉPONSE AUX QUESTIONS POSÉES
PAR M. LE MINISTRE DE L’AGRICULTURE, DE L’INDUSTRIE
ET DES TRAVAUX PUBLICS
(ADMINISTRATION DES BEAUX-ARTS, SCIENCES ET LETTRES)
Reproduction ordonnée par le Conseil
Questions à traiter par le Conseil de perfectionnement de l'enseignement
des arts du dessin.
1. Y a-t-il lieu de simplifier, ou d’étendre, ou de modifier
d’une façon quelconque les programmes actuels d’enseigne-
ment en l’une ou l’autre de leurs parties ?
2. Convient-il d’adopter de nouvelles dispositions pour les
mettre, dans les localités industrielles, en rapport plus direct
avec les besoins de l'industrie locale ?
3. Convient-il d’en adopter, dans l’enseignement supérieur
des académies, pour initier les jeunes artistes aux principes
généraux des applications de l’art aux métiers ?
4. Comment devrait être composée la liste de modèles
moulés ou photographiés à donner pour cet enseignement
spécial, pour répondre aux besoins des principales industries
d’art du pays ?
5. Comment devrait être organisé, en vue des mêmes
besoins, l’enseignement professionnel ?
6. Quelles mesures y a-t-il lieu de prendre pour assurer le
recrutement professoral, et pour mettre le personnel actuel
au courant des programmes et méthodes adoptés ?
7. Quelles dispositions spéciales comporte l’organisation
d’un enseignement artistique complet à l’usage des femmes,
soit qu’il ait lieu dans des locaux séparés et soit donné par un
personnel spécial, soit que la même académie ou école puisse
servir à l’enseignement des deux sexes ?
8. Quelles mesures y a-t-il lieu de prendre, pour l’inspec-
tion des académies et écoles, en vue d’assurer l’unité de l’en-
seignement ?
g. Dans quelle mesure peut-on organiser des concours
entre les diverses catégories d’établissements ?
INTRODUCTION
En considérant les travaux du Congrès de 1868, sur les
arts du dessin, nous avons été désireux d’examiner la valeur
relative des diverses méthodes appliquées dans nos écoles, et
de nous rendre compte des réformes qui ont mis si vivement
en lumière l’influence féconde de l’enseignement du dessin,
sur les progrès de nos industries d’art.
Les observations que nous avons eu l’occasion de formuler,
au cours de cette étude, nous ont convaincus, d’abord, delà su-
périorité des méthodes intuitives ; ensuite, qu’il y vade l’intérêt
général d’organiser l’enseignement des arts du dessin, d’après
un plan arrêté en vue des besoins de nos industries artistiques.
Les méthodes Frœbel et celles analogues, tel que, par
exemple, l’exercice du travail manuel dans les écoles, indépen-
damment de l’attrait irrésistible qu’elles exercent sur les
élèves, par le fait qu’elles comprennent des travaux se rap-
prochant des arts du dessin, ont de plus l’avantage d’être
conçues dans un sens logique, essentiellement rationnel et
progressif; elles constituent, pour nos futurs artisans, une
excellente préparation à l’exercice des professions manuelles,
et même à la pratique d’un art plus élevé.
Mais pour atteindre ce but, il serait nécessaire que l’ensei-
gnement des arts graphiques et plastiques, dans nos acadé-
mies et écoles de dessin, se rattachât par un lien de gradation
naturelle à la série des premiers exercices prescrits par nos
belles méthodes d’enseignement basées sur l’intuition.
Si ces conditions pouvaient se réaliser, nous serions en
droit d’espérer que nos futurs maîtres d’œuvres, pourvus d’ap-
titudes pratiques, s’appuyant sur une solide éducation artis-
tique, fussent à même de ranimer celles de nos industries
d art qui tendent à déchoir, de faire renaître celles qui ont
malhemeùsement disparu, d’en créer enfin de nouvelles, et
a etendre ainsi le renom industriel et artistique de notre pays.
C'est dans ce but que nous avons élaboré notre travail, en
léponse aux questions soumises par le gouvernement aux déli-
bérations du Conseil de perfectionnement des arts du dessin.
PREMIÈRE QUESTION
Y a-t-il lieu de simplifier, ou d'étendre, ou de modifier d'une façon quel-
conque les programmes actuels d'enseignement en l'une ou l'autre de
leurs parties ?
Depuis une quinzaine d années, les industries d’art, en
Belgique, ont réalisé, dans l’ensemble, des progrès sensibles,
attestés par les succès qu’elles ont remportés à toutes les
expositions. Dans l’ensemble, disons-nous ; car, envisagées
chacune séparément, il s’en faut que toutes aient suivi une
marche ascendante.
Certaines d’entre elles, autrefois fort prospères, n’ont pas
conservé leur rang ; il en est même qui ont entièrement dis-
paru. Par contre, nous pouvons citer avec avantage, l’indus-
trie du fer forgé, par exemple, qui, dans ces derniers temps,
a pris un remarquable essor, alors que les premiers essais en
furent seulement produits à l’Exposition aux Halles cen-
trales de Bruxelles, en 1874.
Quelles furent les causes de la régénérescence d’une indus-
trie vraiment nationale, puisque, jusqu’au xviiie siècle, elle a
brillé d’un si vif éclat dans nos provinces ? Est-ce que la fonte
ornementale avait dit son dernier mot, et le goût s’épurant
d’autre part, sentait-il le besoin de revenir aux productions du
travail manuel, d’un caractère artistique et personnel? Quoi
qu’il en soit, nos ferronneries d’art sont à l’heure présente,
universellement recherchées, et s’exportent sur une vaste
échelle en France, en Angleterre, aux Pays-Bas, et même
dans les Etats d’Amérique.
Or, n’oublions pas que cette merveilleuse résurrection est
due à la seule initiative d’un simple forgeron, s’adonnant
dans ses moments de loisir à l’étude passionnée de son art.
Voilà les heureux résultats auxquels mène l’inspiration
d’un modeste artisan, qui, à la vue des chefs-d’œuvre de nos
anciennes maîtrises, a senti se développer en lui le sentiment
de l’esthétique, et s’est jeté hors des sentiers battus, avec la
noble émulation de créer à son tour des œuvres dignes d’ad-
miration.
N’est-ce pas ainsi, également, qu’il y a trois siècles, Ber-
nard Palissy, dans un élan d’enthousiasme dû à la con-
templation d’un vase italien, sentit naître la vocation qui lui
valut le titre de F « immortel potier » ?
Mais il y a une remarque que nous avons jusqu’ici généra-
lement dû faire, et qui est vraie, même pour les productions
. de notre ferronnerie artistique, laquelle semble cependant en
être arrivée à l’apogée de ses combinaisons les plus ingé-
nieuses. C’est qu’elles ne brillent pas toujours par l’élégance
et le bon goût de la composition.
Peut-on s’étonner de rencontrer ces imperfections chez nos
artisans, même les plus consciencieux, alors que les pro-
grammes d’enseignement de nos académies ne présentent
aucune branche d’études spéciales pour les éclairer, artisti-
quement parlant, surtout en ce qui concerne la composition?
La situation est la même pour toutes nos industries artisti-
ques. Est-il, dès lors, surprenant que la part si importante
qui doit y être réservée à l’art soit trop souvent négligée ?
Il est cependant acquis que les neuf dixièmes des élèves, à
l’instruction desquels les académies et écoles de dessin doi-
vent pourvoir, se destinent, chose d’ailleurs fort louable, à
l’exercice d’industries d’art, qui n’exigent pas seulement la
connaissance de la figure humaine, mais encore des études
d’une nature particulière à chacune d’elles.
C’est donc avec une entière conviction que nous répondons
affirmativement à la première des questions qui nous sont
posées ; nous nous prononçons hautement en faveur de la
révision du programme de l’enseignement des arts du dessin,
dans le sens d’une application directe aux professions
manuelles artistiques, notamment par la création de nom-
breux cours de composition à instituer spécialement à cet effet.
DEUXIÈME QUESTION
Convient-il d'adopter de nouvelles dispositions pour les mettre, dans les
localités industrielles, en rapport plus direct avec les besoins de
l’industrie locale ?
Les industries locales portent en elles-mêmes un élément
sérieux de progrès, par l’action constante des facteurs multi-
ples qui en ont provoqué ou facilité l’existence. Comme tels,
nous pouvons citer le fait de l’extraction ou de la récolte à
pied d’œuvre des matières premières, le bon marché de la
main-d’œuvre, une situation géographique et topographique
exceptionnellement favorable. Ce sont encore des voies d'ac-
cès et de transports, soit par eau, soit par lignes ferrées ou
autres, présentant des conditions de rapidité et d’économie
extraordinaires.
Ce sont là des avantages naturels dont il faut savoir tirer
parti, en les secondant par tous les moyens tendant à l’amé-
lioration et au perfectionnement des industries locales exis-
tantes.
Nous estimons que c’est dans cet ordre d’idées que doit
toujours être conçu l’enseignement des arts du dessin dans
nos localités industrielles.
C’est, du reste, ce qui a été compris dans la plupart des
pays étrangers, et c’est aussi ce qui a permis de donner à
leurs produits une qualité et un fini tels qu’ils font une con-
currence redoutable, même sur notre propre marché, à nos
produits similaires.
Malheureusement, il existe encore, chez nos concitoyens,
un préjugé profondément enraciné qui tend à déconsidérer
les arts manuels au profit des professions dites libérales. Les
fils de nos industriels, de nos artisans les plus habiles,
dédaignent trop souvent l’état professionnel de leur père,
pour aller aux universités acquérir les diplômes d avocat ou
de médecin, voire même pour devenir employés dune admi-
nistration publique ou privée. Il y a là un contre-sens.
Car ces jeunes gens, élevés dans un milieu entièrement
absorbé par une spécialité de travail, jouissant dune situa-
tion exceptionnelle, dans un établissement dont la création
Mai 1893.
N° 5.
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L’ ÉMULATION.
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