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Je crois que, en agissant de la sorte, en élaborant dès main-
tenant ce plan d’ensemble, l’administration des beaux-arts
aurait du pain sur la planche pour de longues années, et, en
exécutant chaque année une partie de ce plan, je suis con-
vaincu qu’elle encouragerait les beaux-arts d’une façon plus
efficace qu’en acquérant, passez-moi le mot, de véritables
rossignols, comme ceux qui vont moisir dans les bureaux des
ministères et jusque dans les salles des sections du palais de la
Nation, à en juger par les spécimens dont on nous a grati-
fiés... autrefois !
BIOGRAPHIE
Eugène Carpentier
arpentier! Voilà six ans que cette bonne
et loyale figure nous a quittés, et l’oubli
qui étend si vite, hélas! son voile sur les
disparus n’a pas même projeté son ombre
sur ce nom.
De tous ceux qui l’ont connu, quel est
celui qui ne revoit, comme s’il l’avait
quitté d’hier, sa tête énergique et intelli-
gente, sa physionomie franche et ouverte!
Il fut pendant vingt-cinq ans membre de la Commission
royale des Monuments : nommé correspondant le n février
1861, il en devint membre effectif le 20 mars 1877 et colla-
bora activement aux travaux de ce collège jusqu’au jour où
la terrible apoplexie vint brusquement s’abattre sur lui.
Il lutta longtemps, opiniâtrement. Nous nous souvenons
de l’avoir revu à la Commission des Monuments, après qu’il
avait déjà subi les atteintes de cette maladie qui semble avoir
pour mission d’anéantir les plus belles intelligences. Mais le
doigt de la mort l’avait déjà marqué; ni l’énergie de l’homme,
ni les soins qui lui furent prodigués ne purent retarder la
catastrophe finale; elle se produisit le 10 mars 1886.
Eugène Carpentier avait 67 ans.
Né à Courtrai le 20 mai 1819, il avait fait ses études
d’architecture à l’Académie de Bruxelles, où il remportait,
en 1845, le premier prix dans le cours supérieur.
L’année suivante, l’architecte Dumont, dans les bureaux
duquel travaillait Carpentier, lui confia la surveillance des
travaux de restauration de l’église de Saint-Hubert.
Ce premier travail important exerça une influence profonde
sur toute la carrière du jeune architecte et, dès ses débuts, se
trouva tracée la voie dont il ne devait plus s’écarter.
Il étudia minutieusement, par obligation d’abord, puis par
goût, cette belle et pittoresque architecture du moyen-âge et
s’en éprit à tel point qu’il en arriva bientôt à connaître à fond
les maîtres de cette époque ; il s’identifia, on peut le dire, avec
eux et fit siens leurs principes.
Carpentier s’occupa deux ans de l’église de Saint-Hubert ;
puis, toujours sous la direction de Dumont, prit la conduite
des travaux de construction de l’école de réforme de
Ruysselede.
Ses capacités reconnues ne tardèrent pas à lui attirer une
clientèle particulière; il s’établit en 1852 à Bruges, où il
acquit bientôt une réputation et une vogue méritées.
Quatre ans plus tard, son mariage avec Mlle Gossuin, de
Belœil, le décida à se fixer dans cette localité wallonne, qu’il
habita jusqu’à sa mort.
*
* *
Il prit part, avec succès, à plusieurs concours ouverts pour
l’érection de monuments publics. Il était, d’ailleurs, grand
partisan de cette institution qui offre aux jeunes architectes
l’occasion de comparer leurs talents, de se produire en public,
d’être jugés par un jury d’une indiscutable compétence, leur
permet et les oblige de faire preuve de connaissances tech-
niques et essentiellement pratiques que n’exigent point les
compositions des Académies.
Il se distingua principalement dans les concours ouverts
pour la construction d’un hospice-hôpital à Nivelles, en 1859;
pour la restauration de la façade et de la flèche de l’église de
Sainte-Gertrude, dans la même ville, en 1860; pour la con-
struction d’une église à Châtelet, en 1862.
Dans le premier de ces tournois, il remporta la palme ; si
son projet pour la réédification de la façade et de la flèche
incendiée de Sainte-Gertrude ne fut pas exécuté, il n’en fut
pas moins fort remarqué des archéologues ; il comportait la
restauration scrupuleusement étudiée de l’ancienne basilique
rom'ane, avec l’abside primitive devant la tour; celle-ci était
surmontée d’une flèche peu élevée, à base carrée, à laquelle
l’opinion publique préféra, malgré le grand caractère de l’en-
semble, la reconstruction d’une haute flèche semblable à celle
qui venait d’être détruite.
A Châtelet, enfin, il obtint la seconde mention ; la première
avait été accordée à un projet de style roman, tandis que
celui de Carpentier était conçu en style ogival primaire. Si
l’opinion publique avait écarté notre architecte à Nivelles,
elle lui donna ici sa revanche et le conseil communal répondit
au vœu de ses administrés en chargeant Carpentier de la
construction de l’église.
Il ne négligeait aucune occasion de mesurer ses forces
avec celles de ses confrères, non seulement de la Belgique,
mais encore de l’étranger; il fut même, croyons-nous, le seul
architecte belge qui obtint des récompenses dans les grandes
expositions internationales ; il eut, entre autres, la médaille
pour l’art à Vienne, en 1873, et celle de 3e classe à Paris,
en 1878.
D’autres distinctions lui avaient déjà été attribuées : une
médaille à Bruxelles à l’Exposition des arts industriels de
1861; un troisième prix à l’Exposition universelle de Paris
en 1867 ; une médaille d’or à l’Exposition des Beaux-Arts de
Bruxelles en 1872.
Il obtint encore un succès à l’Exposition internationale de
Londres en 1871 ; aucune médaille ne fut décernée, mais un
journal anglais, consacré spécialement à l’architecture, The
Building News, apprécia ainsi l’une des œuvres de notre com-
patriote, l’église de Saint-Pierre, à Antoing :
« Église en briques, heureusement groupée, sévère jusqu’au
dédain de toute ornementation, mais grande de conception.
Ce dessin démontre parfaitement la différence qui existe entre
les procédés du dessin à l’étranger et en Angleterre... »
Le même Building News avait d’ailleurs eu déjà l’occasion
de citer avec éloges le nom de Carpentier au cours d’une série
d’études que cette revue publia sur l’Exposition universelle de
Paris en 1867.
Voici comment s’exprimait alors l’écrivain anglais, à pro-
pos des plans de l’église des SS.-Pierre-et-Paul, à Châtelet :
« C’est un dessin d’un effet calme et d’un goût très dis-
tingué : crucifère dans le plan, elle est surmontée d’une tour
massive à la croisée de la nef et des transepts, tandis que
deux petites tours flanquent la façade occidentale ; toutes trois
sont couvertes de flèches en ardoises traitées avec beaucoup
de simplicité. L’ensemble produit un monument plein de
dignité...
« Nous ne pouvons, dit un peu plus bas la revue anglaise,
que féliciter la Belgique de posséder un trésor bien rare sur
le continent : à savoir un architecte véritable, sachant prati-
quer l’architecture du Moyen âge dans toute sa sincérité et la
franchise de ses principes... »
Nous n’entreprendons point de donner la liste complète des
travaux d’Eugène Carpentier ; leur simple énumération tien-
drait plusieurs pages de cette notice.
Nous nous bornerons à mentionner les plus importants.
Choisissons d’abord parmi les
ÉDIFICES RELIGIEUX.
Église de Saint-Pierre, à Belœil (1862).
Ce monument offre une disposition des plus pittoresques;
le pignon de la nef principale forme la façade, à la droite de
laquelle s’élève la tour. Entre ce pignon et le bas-côté
gauche naît une tourelle qui profile au-dessus des toitures sa
silhouette aussi hardie qu’élégante.
Restauration de l’église de Saint-Ursmer, à Lohhes (1863).
Les travaux importants exécutés à ce monument durèrent
une dizaine d’années ; les délégués de la Commission royale
des monuments qui furent chargés de les inspecter adres-
sèrent à ce collège un rapport circonstancié dont nous
extrayons les passages suivants :
« ... Cette église est une des plus anciennes et des plus
intéressantes de notre pays ; mais, comme tous les monu-
ments de ce genre, elle avait subi à diverses époques
des modifications qui en avaient profondément altéré le
caractère.
« M. Carpentier s’est attaché à faire disparaître autant que
possible ces altérations et à rendre à l’église sa forme primitive.
« Ainsi, les grandes arcades qui supportent la nef princi-
pale et la relient aux bas-côtés avaient été subdivisées en
arcatures moins élevées par quatre colonnes octogones. Ces
colonnes ont été enlevées et l’arcade primitive est rétablie
dans toute sa hauteur.
« Les colonnettes qui entourent l'avant-chœur ont été
dégagées du massif de maçonneries qui les cachait ; des
fenêtres romanes ont été substituées aux fenêtres ogivales
dans les chapelles de la Vierge et de Saint-Ursmer ; les bas-
côtés ont été couverts par un plafond de bois de chêne ; un
toit en batière termine la tour occidentale et remplace la flèche
brûlée en 1860.
« Une tour centrale très élégante et de forme octogonale
a été ajoutée par l’architecte ; elle coupe d’une manière fort
heureuse la ligne trop prolongée du grand comble.
« L’accès à la crypte, qui renferme les tombeaux des
Saints fondateurs de l’abbaye, a été rétabli. On y descend par
un double escalier à l’extrémité des deux bas-côtés du chœur.
Les trois petites fenêtres qui éclairent la crypte seront réta-
blies dans leur état primitif.
« Nous ne pouvons que donner des éloges à la manière
intelligente avec laquelle M. Carpentier s’est acquitté de la
tâche ardue qu’il avait entreprise et qu’il a su mener à
bonne fin... »
Projet pour la reconstruction de l’église des SS. Jean-et-Nicolas, à
Schaerbeek (1865).
Ce projet qui, malheureusement, ne reçut pas d exécution,
fut aussi envoyé par l’artiste à l’Exposition universelle de
Paris en 1867 et n’y fut pas moins bien accueilli que les plans
de l’église de Châtelet. Le correspondant du Building News le
mentionne également avec éloges.
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L’ÉMULATION.
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