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et la prospérité sont souvent le fruit des plus laborieux efforts
et des plus grands sacrifices, initiés dès leur enfance à toutes
les subtilités du métier, familiarisés complètement avec
l’exercice de la profession de leur père, ces jeunes gens,
disons-nous, pourraient avec un esprit bien préparé et plus
d’aptitudes que tout autre, apporter leur contingent intellec-
tuel au progrès de leur industrie et ajouter à la série des per-
fectionnements réalisés par leurs prédécesseurs. Et nous
nous le demandons : un établissement industriel ou un ate-
lier florissant n’équivaut-il pas, tant sous le rapport de l’hono-
rabilité de la profession que sous celui des bénéfices pécu-
niaires, à la meilleure des carrières libérales ?
Mais il n’y a pas d’effet sans cause, et il n’est pas sans
intérêt de rechercher les causes de la situation anormale sur
laquelle nous venons d’appeler l’attention.
A notre avis, la faute doit être imputée en grande partie à
l’instruction, qui, il n’y a pas si longtemps encore, était
exclusivement abstraite et dogmatique ; du travail manuel, il
n’en était guère alors question à l’école. Depuis, hâtons-nous
de le reconnaître, on a accordé dans l’enseignement une
place importante aux exercices manuels, qui donnent aux
élèves de l’habileté, de la sûreté de main, du « faire », de la
spontanéité dans la perception et de l’initiative dans l’exécu-
tion.
Enfin — et c’est là, à notre avis, le principal avantage de
ce mode d’exercice — c’est qu’il doit être considéré comme
le prélude des professions manuelles artistiques que les huit
dixièmes des élèves sont appelés à exercer dans l’avenir.
La jeune génération qui, seule dans notre pays, a été ini-
tiée à ces salutaires réformes, n’est pas encore en âge de nous
faire apprécier l’excellence des résultats.
Mais nous pouvons, dès maintenant, espérer qu’un tel
enseignement aura fortifié chez nos enfants le respect et le
goût des professions manuelles.
Une autre cause, croyons-nous, c’est le malaise financier
et commercial dont souffrent certains métiers et industries.
Mais les causes se tiennent entre elles, et ce malaise dimi-
nuerait certainement, si ces industries et métiers étaient diri-
gés dans des voies meilleures au point de vue artistique.
N’était-ce la crainte d’occasionner peut-être quelque préju-
dice moral, nous pourrions signaler, à ce propos, certaines
de nos industries, qui, jusqu’ici, avaient réalisé de grands
bénéfices et dont, maintenant, l’avenir se trouve gravement
compromis. La dernière exposition de Paris nous a permis
de faire une série d’études comparatives sur les industries
d’art, et nous avons dû nous avouer avec un sentiment de
profond regret, même d’humiliation, que nous sommes en
Belgique, sauf d’heureuses exceptions, trop peu enclins à
des efforts susceptibles de nous créer des avantages indus-
triels et commerciaux,
Ces considérations, qu’on voudrait pouvoir accuser de pes-
simisme, sont, hélas! appuyées sur des faits acquis. Ne
soyons pas sans inquiétude sur le sort de notre industrie;
songeons à notre fortune publique menacée, et portons
promptement remède à un état de choses pernicieux, par
tous les moyens en notre pouvoir, tels qu’une bonne réorga-
nisation de l’enseignement des arts du dessin, à tous les
degrés et aussi en raison des besoins industriels locaux.
Dans ce but, nous préconisons fortement l’institution, à
côté de nos précieux musées d’antiquités et autres, de musées
des produits d’industries artistiques modernes belges et étrangers.
Depuis, une commission de huit membres, ayant pour
président M. Montefiore-Levi, sénateur, a été nommée à cet
effet, par arrêté royal du 8 août 1891.
Font partie de cette commission :
M. Montefiore-Levi, sénateur, président.
Membres :
MM. Baes, J., Sous-directeur de l’École des Arts décora-
tifs, à Bruxelles ;
Beyaert, H., architecte;
de Borchgrave, Jules, membre de la Chambre des
Représentants ;
Baron de Montblanc, membre de la Chambre des
Représentants ;
Helleputte, architecte, membre de la Chambre des
Représentants ;
Evenepoel, amateur d’art;
Mellery, artiste peintre.
C'est au milieu de ces collections que nos artistes pourront
constater de visu les progrès constants réalisés dans chaque
partie chez nos voisins ; c’est là qu’ils finiront par comprendre
l’importance primordiale qu’attache l’étranger à un travail
sans trêve pour le perfectionnement de leurs industries d’art;
c’est là qu’ils acquerront le sentiment de l’infériorité dont ils
doivent s’affranchir et sentiront naître l’émulation, sans
laquelle il n’est pas de perfectionnement possible.
Déjà l’on a installé dans ce sens, à l’Ecole des Arts décora-
tifs de Bruxelles, un musée de ce genre, dont la création ne
remonte qu’à quatre années à peine, mais qui réunit déjà
quelques éléments capables de permettre aux élèves l’étude
des industries modernes, telles que celles des émaux, des
tissus, de la verrerie, de la céramique, etc. La collection
renferme en outre des spécimens de laves émaillées, de
mosaïques, de pyrotypie, de marqueterie, etc. , tous produits
pour lesquels nous sommes tributaires de l’étranger. Peut-
être qu’en étant mieux connues ici, ces industries d’art pour-
ront-elles être introduites en Belgique, même avec avantage,
en tenant compte des modifications nécessitées par la diffé-
rence des ressources de notre pays.
(A suivre.) Jean Baes.
LES BEAUX-ARTS AU SÉNAT
Séance du 22 février 1893
DISCUSSION DU BUDGET DU MINISTÈRE DE L’iNTÉRIEUR ET DE
l’instruction publique pour l’exercice 1893
M. le comte Goblet d’Alviella. Avant d’aborder le sujet
pour lequel je m’étais fait inscrire, je voudrais me joindre
brièvement aux honorables sénateurs, MM. Dupont et Crocq,
au sujet des théories exposées dans le rapport de la section
centrale, ainsi que dans le discours de M. Lammens, en
matière d’enseignement public.
Comme mes honorables collègues de Liège et de Bruxelles,
je crois que l’enseignement non seulement peut être neutre,
mais encore qu’il doit l’être si on veut lui conserver le carac-
tère scientifique que l’Etat peut et doit imprimer à son inter-
vention en pareille matière.
J’estime aussi que l’organisation d’un enseignement public
est impérieusement commandée à l’Etat par les termes mêmes
de la Constitution et qu’il en sera ainsi aussi longtemps que
les amis de l’honorable M. Lammens n’auront pas proposé
la révision de l’article 17 de la Constitution.
Cela soulève toutefois des questions de principe et d’appli-
cation qu’il serait prématuré d’examiner pour le moment.
L’honorable Ministre de l’Intérieur, dans des paroles qui
ont fait tant de plaisir à mes honorables collègues de la droite,
nous a donné rendez-vous après la révision pour poursuivre
cette discussion.
Je crois, messieurs, que le parti libéral peut accepter le
rendez-vous sur ces questions, comme sur beaucoup d’autres.
En attendant, je voudrais vous entretenir d’objets qui se
rapportent à différents articles du budget, et comme, à en
juger par les précédents, le Sénat a l’habitude de passer assez
rapidement sur la discussion des articles, je lui demanderai
la permission de placer mes observations dans la discussion
générale.
Ces observations se rapportent, du reste, à divers chapitres
du budget : la bibliothèque et les beaux-arts.
Une des charges principales de la Bibliothèque royale,
c’est l’abonnement aux périodiques, et il est certain que l’insti-
tution d’une salle de périodiques ouverte au public, dans les
conditions où elle a été établie, est une des améliorations les
plus sérieuses qui aient été réalisées, depuis plusieurs années,
dans cet ordre d’idées.
J’ajouterai, et vous pouvez m’en croire à titre de visiteur
assidu, que, jusqu’à il y a quatre ou cinq ans, ce service a
admirablement marché. Mais, depuis lors, il semble qu’il se
soit produit un véritable relâchement dans la mise au courant
des publications.
Ainsi, rien que dans la partie archéologique et historique,
dont je m’occupe spécialement, je pourrais citer un nombre
considérable de publications périodiques qui, bien que figu-
rant au catalogue, ne font leur apparition sur les rayons
qu’après un retard considérable, de trois mois, six mois, un
an et même plus, ce qui leur enlève leur principal mérite :
l’actualité.
Il m’est revenu, de plus, que des plaintes analogues se sont
produites dans tous les autres ordres de publications. Ces
plaintes ont même trouvé un écho dans le dernier rapport de
M. le Conservateur en chef. Mais ceci n’empêche pas que la
situation ne reste la même et j’appelle sur ce point l’attention
de l’honorable ministre de l’intérieur.
Je lui demanderai également si on ne pourrait pas bientôt
reprendre l’élaboration du catalogue systématique, qui doit
se poursuivre à côté de celle du catalogue d’entrée ?
Pareil travail est indispensable dans toute bibliothèque
publique. Il l’est d’autant plus ici que la Bibliothèque royale
de Bruxelles se compose de différents fonds qui ont chacun
leur catalogue distinct et que ces catalogues ont grand besoin
d’être refondus d abord entre eux, puis avec les acquisitions
ultérieures.
On avait commencé le travail, il y a quelques années, et
on l’avait même presque achevé pour les publications relatives
à l’histoire naturelle. Mais, depuis lors, c’est-à-dire depuis
quatre ou cinq ans, plus rien n’a été fait. Il faudrait un ser-
vice spécial dans ce but : cela ne coûterait pas très cher et ce
serait la meilleure façon de former de futurs employés pour
le service de la bibliothèque et même des archives.
En troisième lieu, je demanderai à l’honorable ministre s’il
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L’ÉMULATION.
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