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LES CONCOURS PUBLICS D’ARCHITECTURE
J. Guadet, architecte du gouverne-
ment, professeur à l’Ecole des
Beaux-Arts de Paris, en nous
donnant l’autorisation de publier
l’article ci-dessous, nous envoie la
lettre suivante :
« Monsieur et cher confrère,
« Je m’empresse de vous envoyer
l’autorisation que vous me deman-
dez de reoroduire dans l'Emulation
mon étude sur les concours publics, qui a paru dans l'Archi-
tecture. Très sensible à ce que vous me dites de flatteur au
sujet de ce travail, j’estime d’ailleurs que sa publication dans
votre recueil ne peut être que très utile. Vous et nous, nous
avons à poursuivre le même but : obtenir une réglementation
par les pouvoirs publics des concours jusqu’ici laissés au
hasard de bonnes intentions qui s’égarent souvent. Si nous y
réussissons d’abord, soit dans un pays, soit dans l’autre, ce
sera un précédent précieux et une grande autorité d’exemple.
Je vous souhaite donc très cordialement un plein succès, car
votre succès serait le présage du nôtre.
« Veuillez agréer, je vous prie, l’assurance de mes meil-
leurs sentiments de confraternité.
« (Signé) J. Guadet. »
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Nous remercions vivement notre éminent confrère et nous
espérons sincèrement que son article, si juste et si mesuré,
ralliera au principe des concours, ceux de nos confrères qui
le boudent encore et amènera les administrations à organiser
leurs concours dans des conditions plus acceptables que par
le passé.
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ÉTUDE
Le cadre d’une étude consacrée à l’organisation des con-
cours publics ne saurait comprendre les questions qui se
posent avant même l’ouverture de ces concours, et notam-
ment l’examen des avantages et des inconvénients de l’insti-
tution même, des circonstances où le concours est utile et
fécond, de celles où il est plutôt dangereux. Là comme par-
tout, il n’existe pas de règle absolue, et c’est à l’intelligence
des administrations intéressées qu’il appartient de peser pru-
demment le pour et le contre, d’apprécier si dans chaque
cas spécial la méthode du concours est ou n’est pas celle à
employer. Tout ce qu’on peut dire à ce sujet, c’est qu’il est
toujours prudent, sur des questions aussi spéciales, de pren-
dre avis et de s’entourer de conseils autorisés.
En général, la mise au concours d’un projet ne peut guère
soulever d’objection lorsqu’il s’agit d’une œuvre dont le carac-
tère doit être avant tout artistique, lorsqu’on peut légitime-
ment attendre une conception originale, un effort d’imagina-
tion. Elle est moins pratique quand il s’agit de construire un
de ces édifices d’utilité qui exigent la combinaison patiente
et successive, l’élaboration continue poursuivie en commun
dans de nombreuses conférences, la retouche incessante non
seulement du plan, mais souvent du programme lui-même.
Enfin, le parti à prendre peut dépendre même des questions
de personnes. Si un édifice n’a pas d’architecte, ou si l’archi-
tecte n’a pas les études et le talent requis pour l’œuvre
nouvelle, certes il n’y a pas de droits acquis capables de pré-
valoir contre l’intérêt supérieur qui s’impose. Mais si l’édifice
à créer est de ceux qui demandent avant tout la connais-
sance approfondie de besoins spéciaux, des solutions plutôt
utilitaires qu’artistiques, et si l’architecte a donné des gages
sérieux d’expérience et de talent, il est cruel de lui enlever
parfois un couronnement de carrière, récompense longtemps
attendue et implicitement promise de longues années de
dévouement. La fonction quotidienne d’architecte d’une
administration, chargé pendant des années du soin laborieux
de l'entretien, est pénible, presque fastidieuse et mal rému-
nérée ; il faut des motifs sérieux pour lui enlever ce qui doit
être la compensation de sa patience dévouée, ce qui est
presque une dette contractée. Et ici une réflexion très sérieuse
s’impose ; il ne s’agit pas de droits acquis, — l’intérêt public
peut et doit peut-être en faire litière, — il s’agit d’un intérêt
général beaucoup plus élevé. Si la méthode des concours
était trop généralisée, son grand écueil serait la désaffection
entre l’architecte et l’administration, — son client, — l’aboli-
tion du dévouement et de la sympathie : d’un côté, l’archi-
tecte temporaire, sans attaches dans le passé, sans attaches
dans l’avenir; de l’autre, un client de circonstance; des deux
côtés, des relations momentanées, restreintes, se terminant
par une dernière quittance.
On ne peut ici qu’indiquer ces considérations ; la question
est grave et mériterait une étude approfondie. En résumé, le
concours est souvent une méthode excellente, parfois aussi
une erreur ; pour en décider il faut, dans chaque cas particu-
lier, de la sagesse, de la prudence, et les conseils nécessaires
pour une détermination qui ne doit pas être prise à la légère.
Sous ces réserves, et lorsqu’à tort ou à raison une admi-
nistration a pris le parti de mettre au concours les plans d’un
édifice, il y a lieu d’examiner quelles seront à tous égards les
meilleures conditions de ce concours. Tel est l’objet de la
présente étude.
1. — Principes applicables aux concours
L’organisation et le fonctionnement d’un concours public
comportent trois phases et trois actions distinctes :
1° La préparation du concours par les soins de l’adminis-
tration intéressée ;
2° L’exécution du concours par les artistes invités à y
prendre part;
3° Son jugement par un jury compétent.
Avant d’aborder les examens des meilleures conditions de
préparation, d’exécution et de jugement, il est utile de bien
marquer le caractère général d’un concours public, ce qu’il
est légitime et ce qu’il est illusoire d’en attendre.
Le concours est un moyen employé par les administrations
en vue de s’assurer, en s’adressant à tous les artistes, un ou
plusieurs projets supérieurs à celui que leur produirait la
commande directe, de permettre un choix entre des idées
heureuses, des solutions ingénieuses et économiques. Incon-
testablement, les administrations ouvrent un concours, non
dans l’intérêt des concurrents, mais dans leur intérêt propre.
De là découle un premier principe certain : c’est que le
concours entraîne nécessairement une dépense pour l’admi-
nistration, qui doit y consacrer un crédit spécial, distinct du
crédit de la construction.
Les administrations ont, d’ailleurs, intérêt à doter large-
ment les crédits affectés au concours : d’abord par justice, car
les frais des concours sont considérables pour les concurrents
et ne seront jamais que très incomplètement remboursés ;
puis, parce que le nombre des projets et la valeur des efforts
seront proportionnés à l’importance des primes attribuées.
De son côté, le concurrent, par le fait seul de sa participa-
tion au concours, s’engage à en accepter les conditions;
notamment, il est certain que l’abandon de son projet à l’ad-
ministration, s’il est primé, n’implique pas seulement la ces-
sion matérielle de ses dessins, mais encore la cession des
idées contenues dans ce projet, et, par conséquent, le renon-
cement à la propriété artistique de son œuvre, en tant que
conception et étude. Mais là doivent s’arrêter les droits de
l’administration, et elle n’en aurait aucun, par exemple, pour
vendre ces dessins ou traiter de leur reproduction. Quant
aux projets non primés, il est évident que l’administration
ne peut en disposer à aucun titre, ni matériellement, ni pour
y puiser des idées. Si difficile, si impossible peut-être que
soit la sanction légale du respect dû à des œuvres temporai-
rement confiées à la loyauté de l’administration, c’est là une
règle impérieuse de la moralité des concours et un devoir
strict de simple probité.
* »
Le plus souvent, les administrations se font des illusions
regrettables sur les résultats qu’on peut attendre d’un con-
cours. En règle générale, on ne peut demander au concours
que des avant-projets. Au contraire, les administrations croient
souvent pouvoir attendre du concours la certitude d’une solu-
tion définitive, un projet arrêté ne varietur, et jusqu’à de véri-
tables forfaits. C’est là une erreur complète, grosse d’embarras
sans issue, de mécomptes et de procès inévitables ; c’est une
erreur d’exiger des concurrents une quantité de dessins à de
grandes échelles, par conséquent une grosse dépense, lorsque
quelques plans, façades et coupes d’ensemble et à échelles
réduites suffisent à faire distinguer la meilleure composition ;
en élevant ainsi hors mesure la dépense de participation au
concours, on écarte un grand nombre de concurrents, et, de
plus, on fausse les éléments du jugement; car, si une esquisse
ou un avant-projet est presque forcément personnel, un projet
développé à grande échelle est presque forcément un travail
d’agence.
Dans certains concours, on est allé jusqu’à demander des
détails d’exécution ; cela n’a aucune valeur et ne compte en
rien pour l’appréciation des projets.
D’ailleurs, pour quiconque sait un peu ce qu’est la prépa-
tion d’un projet d’architecture, il est incontestable qu’on ne
peut à aucun point de vue demander à des projets de con-
cours une solution définitive. On ne peut exiger que cinquante
ou cent architectes fassent, chacun de leur côté, l’énorme tra-
vail qu’exige l’étude complète d’un édifice jusque dans ses
derniers détails, étude qui dure aussi longtemps que la con-
struction elle-même. Puis, un programme, si clair et si détaillé
qu’il soit, ne suffira jamais à cet effet; toujours il faudra que
l’architecte ait de nombreuses conférences avec les adminis-
trateurs, chefs de services, etc., que chaque distribution,
chaque aménagement passe au crible de la discussion ; tou-
jours il y aura des modifications après coup, des remanie-
ments ; les besoins même peuvent changer pendant le cours
de la construction. S'il est nécessaire d’avoir dès le début un
ensemble certain et de s’y tenir avec fermeté, rien ne serait
Septembre 1893.
N° 9.
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L’ÉMULATION.
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