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ni plus illusoire ni plus dangereux qu’une prétendue invaria-
bilité des détails et des mises en œuvre, et l’administration
qui croirait avoir, par ces exigences impérieuses, emprisonné
l’auteur du projet dans des barrières infranchissables, s’y
serait emprisonnée elle-même, à son très grand préjudice,
sans recours possible contre sa propre imprudence.
*
* *
Évidemment, il en est de même pour la dépense. On tend
à faire une confusion illogique entre le concours et l’adjudi-
cation. Le programme du concours ouvert récemment par le
département de l’Aube pour la construction de sa préfecture
est un exemple frappant de cette confusion.
On y lit, en effet :
« Ces avant-projets devront comprendre l’exécution de tous
les ouvrages indiqués au programme et se composer :
. ..........................................
« 70 D’un engagement pris par un entrepreneur d’exécuter
les travaux prévus au projet, moyennant les prix fixés dans
les prix annexés au dit projet.
« L’entrepreneur devra présenter des garanties sérieuses
de solvabilité. »
Une telle clause est chimérique et inexécutable.
Le concours, cela est de toute évidence, ne peut donner
un projet définitif et immuable; la dépense ne peut donc être
fixée invariablement; c’est plus tard, lorsque le projet adopté
aura subi les diverses phases de l’étude définitive, lorsque
les approbations nécessaires en auront fixé de façon précise
et l’ensemble et les détails, et la construction et les aménage-
ments, jusqu’à sa décoration même, que l’administration aura
le choix entre deux systèmes :
Ou l’adjudication à forfait, si elle consent — à ses risques
et périls — à s’interdire tout remaniement, toute modification
même minime, et à attendre, pour passer des marchés, que
tous les détails sans exception, jusqu’au dernier article de
quincaillerie ou jusqu’au dernier filet de peinture, soient
arrêtés de façon immuable ;
Ou l’adjudication au rabais sur série de prix de règlement,
ce qui est la véritable règle administrative et la loi même de
la comptabilité publique.
Mais, dans l’un et l’autre cas, l’adjudication, obligation
légale des administrations, s’adresse à des personnes toutes
différentes des concurrents ; l’architecte n’a rien à faire dans
l’adjudication, c’est Y entrepreneur seul qui à ce moment entre
en scène, et ce n’est que par une confusion inexplicable entre
deux professions et deux actions aussi nettement différentes
que celles de l’architecte et de l’entrepreneur, représentants
d’intérêts non seulement distincts, mais opposés, qu’on a pu
introduire dans des programmes de concours des dispositions
irréfléchies qui, en voulant donner des assurances chimé-
riques, sont, au contraire, la négation de toute garantie des
administrations elles-mêmes.
Vainement s’applique-t-on, dans les programmes de con-
cours, à exiger des devis estimatifs détaillés, à appuyer cette
exigence de clauses comminatoires. Jamais, une expérience
constante le montre, jamais ces devis ne sont sérieusement
examinés, jamais ils n’entrent en ligne de compte pour le
jugement. C’est que ce contrôle est tout simplement impos-
sible ; c’est qu’il faudrait des mois entiers pour contrôler
effectivement un grand nombre de devis; c’est qu’il est même
impossible de le faire sans de nombreuses conférences entre
le contrôleur et l’auteur du projet.
La vérité, c’est que, de même que le concours, au point de
vue de la conception et de la disposition, ne peut produire
que des avant-projets, il ne peut produire, au point de vue
de la dépense que des évaluations générales ; le programme
ne peut spécifier cette prévision de dépense qu’à titre d’indi-
cation. Ces vérités d’expérience peuvent surprendre si l’on
s’est fait une fausse idée du but et de la portée du concours ;
elles sont l’évidence même si l’on ne voit dans les concours
que ce qu’ils sont réellement : des propositions d’idées, pou-
vant assurer une solution heureuse d’un programme, mais
devant réserver les décisions définitives. Du reste, on peut
s’autoriser ici d’un exemple qui ne saurait être récusé : la
direction des travaux de la ville de Paris, dont l’expérience
n’est pas contestable en pareille matière, a mis au concours
depuis vingt ans des édifices très importants ; elle n’a garde
de demander des devis proprement dits, elle se borne à indi-
quer une prévision approximative de dépense et à demander
une évaluation sommaire; ainsi, pour le concours de la
caserne des Célestins, le programme portait :
« Art. 7. — Chaque concurrent devra produire :
« 1° Une note explicative de son projet ;
« 20 Une estimation de la dépense au mètre superficiel,
pour l’ensemble de la construction et, s’il y a lieu, une esti-
mation spéciale, également au mètre superficiel, pour cha-
cune des parties différentes du projet, et un résumé, dressé
d’après ces bases, de la dépense totale à prévoir pour la mise
à exécution de son projet ;
« 3° Un devis descriptif sommaire de la construction.
« L’estimation, accompagnée de la note explicative du
projet et du devis descriptif, sera contrôlée par les reviseurs
du service d’architecture.
« Les concurrents pourront, d’ailleurs, joindre aux pièces
exigées celles qui leur paraîtront utiles pour l’intelligence et
l’appréciation de leur étude. »
Et en effet, qu’on le sache bien, la vraie base d’évaluation
de la dépense n’est pas le devis, qui ne signifie rien, c’est le
projet, et un jury compétent pourra toujours, par l’examen
des projets, dire quelle devra être la dépense approximative
au mètre superficiel de constructions, et en tout cas classer
les projets intéressants au point de vue de la cherté ou du
bon marché, et cela avec bien plus de certitude que si l’on
demandait aux chiffres des devis, même révisés en apparence,
les éléments de ce classement.
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Sur le mode même des concours, il n’y a pas d’errements
fixes. Il y a des concours internationaux ; en plus grand
nombre, des concours nationaux ; il y en a enfin de régio-
naux. Il y a des concours à deux degrés, plus souvent des
concours à un seul degré.
L’usage des concours internationaux n’existe guère en
France; cependant, le concours du nouvel Opéra était inter-
national. Il est plus répandu à l’étranger, et des concours
internationaux très importants ont eu lieu depuis quelques
années : pour l’achèvement de la cathédrale de Milan et de
cellede Florence, pour la Bourse d’Amsterdam, pour les palais
du Sénat et de la Chambre des députés de Bucharest, etc.
L’école d’architecture française est en possession d’une
supériorité assez certaine pour qu’il soit inutile d’aller cher-
cher au dehors des inspirations. Le concours international
n’a, heureusement, aucune raison d’être en France.
En général, les concours sont ouverts à tous les architectes
français ; cependant, on n’y admet quelquefois que les artistes
d’une région déterminée. Cette décision est toujours dictée
par l’intention fort louable de favoriser les régionaux ; mais,
si elle a ses avantages, elle a aussi ses inconvénients, et ce
n’est qu’en s’inspirant des circonstances spéciales à un con-
cours déterminé qu’on pourra prendre à cet égard la décision
la plus utile.
L’inconvénient saute aux yeux : en restreignant ainsi le
concours, on se prive d’un contingent d’idées heureuses et
variées. Mais, d’autre part, et au point de vue d’un intérêt
général qui dépasse la portée du concours à ouvrir, on tra-
vaille peut-être à conjurer le danger très sérieux qui naît et
qui surtout naîtra de la mise en pratique générale des con-
cours. Cette importante question mérite quelques développe-
ments.
*
On se plaint, non sans raison, que les jeunes artistes les
mieux doués, après avoir fait de bonnes études à Paris, —
grâce souvent aux subventions, bourses ou pensions de leur
département ou de leur ville, — ne retournent pas dans leur
pays prendre la place que leur talent devrait leur y assurer.
Pour bien des raisons, rien ne les y attire; mais un des plus
puissants motifs pour les en détourner est la probabilité que
lorsque, chez eux, l’occasion toujours rare se présentera de
faire une construction importante, cette construction sera
mise au concours; et alors si l’artiste qui habite Paris peut
risquer un concours où l’insuccès ne sera pas pour lui un
échec, l’architecte, au contraire, qui exerce dans la ville même,
ne peut affronter le concours sans s’exposer à être absolument
diminué dans l’esprit de ses compatriotes s’il ne réussit pas.
L’échec pour lui sera retentissant. Aussi, en général, il s’abs-
tient. Et, par suite, l’une des conséquences du concours est
de concentrer de plus en plus au profit de l’élite parisienne,
les constructions de quelque importance ; par un cercle vicieux
inévitable, les architectes des départements, ayant de moins
en moins l’occasion de faire de grands travaux, acquièrent
moins d’expérience, se découragent, et finalement ne se
recrutent pas.
L’idée des concours régionaux est donc juste ; si ces con-
cours sont immédiatement en opposition avec l’intérêt actuel
de l’administration, ils sont dans l’intérêt plus général d’un
aménagement longuement préparé des forces artistiques de
la natjon.
Aussi, ce sont surtout des considératiors de fait et de cir-
constance qui peuvent ici dicter les décisions. Si la région
est malheureusement trop pauvre en talents, ou si le monu-
ment est, par son importance ou son caractère, de ceux qui
intéressent l’art national tout entier, on doit s’interdire le
concours régional. Si, au contraire, l’édifice à projeter est
de ceux qui exigent une connaissance spéciale des besoins
locaux, ou si son importance modeste, la distance des centres
artistiques font supposer qu’un architecte résidant trop loin
ne pourra être suffisamment en mesure de poursuivre les
études de concert avec l’administration, ou de diriger et sur-
veiller les travaux s’il en est chargé, alors la méthode du
concours régional est très judicieuse et peut donner les meil-
leurs résultats. Seulement, dans ces sortes de concours, il sera
particulièrement nécessaire que la composition du jury l’af-
franchisse des influences et des suspicions locales.
*
Les concours à deux degrés produisent évidemment des
œuvres plus étudiées, puisque après une première sélection,
les meilleures esquisses ont été l’objet d’une étude nouvelle
et plus approfondie. On comprend donc que les administra-
tions aient volontiers recours à ce système. Mais sa pratique
soulève des questions très délicates.
Tout d’abord, le concours à deux degrés, exigeant de la
part des artistes une plus grande somme de travail, doit être
plus rémunéré : l’administration fait en réalité une double
étude préalable, elle doit consacrer à cette double étude un
double crédit.
D’autre part, il est nécessaire que ce concours soit organisé
avec assez de prudence pour que, dans ses phases successives,
les concurrents se trouvent toujours, et jusqu’au bout, dans
des conditions d’égalité complète et de garantie suffisante.
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L’ÉMULATION
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