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Pour cela, il faut des règles rigides : il est nécessaire que
le concours préparatoire ne soit pas exposé, qu’il soit jugé
par élimination et sans classement entre les esquisses conser-
vées, que cependant le principe de la publicité des opérations
du jury soit respecté. Par conséquent, toutes les esquisses
doivent être conservées sous scellés, après le jugement pré-
paratoire, pour permettre une exposition générale, compre-
nant à la fois toutes les esquisses et les projets étudiés, au
moment du jugement définitif.
Quant à la discrétion des jurés, c’est là surtout qu’elle
s’impose comme une règle morale de première nécessité.
Les projets envoyés à un concours doivent-ils être signés
ou anonymes ? Cette question encore est résolue différemment
par les administrations. Le plus souvent on exige l’ano-
nymat ; on n’admet que la devise répétée dans un pli cacheté
qui ne sera ouvert qu’après le jugement, et seulement pour
les projets récompensés. La ville de Paris, au contraire, et
quelques autres administrations, exigent des projets signés
et la production par les auteurs d’une notice indiquant leurs
titres, les travaux déjà faits par eux, etc.
Il faut bien le dire, le secret du concours n’est jamais un
secret complet pour tous les membres du jury, et mieux vaut
assurément la publicité complète des noms qu’un secret
imparfait, qui constitue un danger de faveur avec l’apparence
de l’impartialité obligée.
Mais il y a des artistes, et non des moindres, qui consen-
tiront à affronter le concours, à la condition seulement que
leur insuccès, le cas échéant, reste ignoré. L’obligation de la
signature les écarte du concours. Peut-être aussi la faculté de
signer encourage-t-elle la production de projets qui ne sont
que le travail d’une agence sous la signature d’un simple
bailleur de fonds. C’est là, en effet, une des plaies des con-
cours publics : dans un but trop facile à comprendre, on voit
souvent, dans les expositions de concours, des projets dont la
paternité officielle est attribuée à tel ou tel qui n’a jamais tenu
un crayon.
Toutefois, les inconvénients de l’anonymat paraissent
encore les plus graves; peut-être, en présence des ces diffi-
cultés contradictoires, le plus sage serait-il de laisser à cet
égard toute liberté aux concurrents.
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L’enjeu du concours est lui-même très variable. Parfois, le
programme assure nettement l’exécution du meilleur projet ;
le plus souvent, il engage seulement des primes et réserve la
question d’exécution ; souvent même, l’allocation des primes
n’est pas garantie et dépend du jury.
Cette dernière condition est vraiment inadmissible ; il y a,
pour l’administration, obligation stricte de consacrer à la
rémunération — toujours trop partielle et insuffisante — du
concours le crédit mis à sa disposition pour cette affectation
spéciale, et il ne s’agit, en définitive, que de déterminer la
valeur relative et non absolue des projets exposés. Cela, d'ail-
leurs, est d’autant plus vrai, que l’ensemble d’un concours
vaut toujours ce que vaut le programme, qu’un bon pro-
gramme donne toujours un bon concours, et que, si le con-
cours est virtuellement stérile, c’est que le programme n’était
pas susceptible de solution, -— chose beaucoup plus fréquente
qu’on ne le suppose.
Il faut répéter, d’ailleurs, que les administrations ne com-
prennent pas assez qu’un concours doit avoir son crédit
propre, et que ce crédit doit être assez large pour intéresser
les concurrents qu’elle appelle. Récemment, la ville de
Vernon, pour un hôtel de ville dont la dépense était évaluée
à 3oo,ooo francs, disposait en tout d’une prime de 5oo fr.;
cela est dérisoire. Au contraire, le gouvernement roumain,
pour chacun de ses deux concours des palais du Sénat et de
la Chambre des députés, garantissait des primes de 15,ooo,
7,000 et 3,ooo francs.
Cette intelligente libéralité lui a valu des concours très
intéressants, très féconds, et dont assurément il tirera le plus
sérieux profit.
Quant à la garantie de l’exécution assurée au meilleur
projet, il n’appartient pas à des architectes d’en faire la cri-
tique. D’ailleurs, il est rare que cette disposition soit prise
par avance d’une façon absolue, sauf pour des concours pure-
ment décoratifs, lorsque le programme ne comporte pas
toutes les modifications qui s’imposeront à l’étude des amé-
nagements compliqués d’un projet de distributions.
Il faut bien le dire, il est certain que cette promesse de la
part d’une administration serait peu prudente ; trop de raisons
d’âge ou de distance, de santé, d’antécédents, voire même la
question d’honorabilité, font que l’auteur du meilleur projet
peut n’être pas apte à remplir le rôle de l’architecte construc-
teur.
Mais, surtout, la raison qui pourrait parfois déterminer les
administrations à engager par le concours l’attribution de
l’exécution, procède le plus souvent de cette même illusion
qui consiste à croire que le concours peut donner un projet
définitif. Il est très légitime et souvent désirable que l’auteur
du meilleur projet, s’il est reconnu d’ailleurs présenter les
qualités requises, soit chargé de la direction des travaux ;
mais cette attribution doit alors être entendue purement et
simplement, en ce sens que, honoré d’une récompense plus
élevée que la simple prime, il est nommé architecte de l’édi-
fice à construire ; l’administration, éclairée par le concours,
par les renseignements pris, fait ainsi un choix heureux ;
mais cela ne veut pas dire qu’il fera exécuter son projet de
concours sans modifications et sans études ultérieures, ayant
pour but de l’améliorer.
Ici encore, la question devra être clairement régie par le
principe rationnel du concours : le concours reste une opé-
ration préparatoire, distincte et spéciale ; à la suite de ce
concours, l’administration choisit comme architecte du futur
édifice, le lauréat du concours ; la phase de l’exécution com-
mence alors, distincte et entière.
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* *
Vient enfin la dernière opération du concours, son épilogue
et sa sanction : le jugement. La question est ici particulière-
ment grave et ardue; trop de concours sont faussés par le
jugement, non pas faute d’équité et de bonne foi, mais faute
de direction juste ou de compétence des juges.
Et d’abord, quel doit être l’esprit de ce jugement? Un mot
suffit à répondre : la justice. Cela paraît évident, et cependant
cela est contesté.
Très souvent, dans les jugements de concours, on entend
soutenir cette opinion qu’il s’agit avant tout de l’intérêt de la
ville ou du département, et que, si tel concurrent n’a réussi à
convaincre qu’en faisant litière du programme, on pouvait
obtenir un résultat plus avantageux, le jury doit, lui aussi,
oublier le programme et saisir avec empressement la solution
plus heureuse qui lui est offerte, lors même, par exemple,
que, pour l’obtenir, l’auteur se serait affranchi des conditions
d’emplacement ou autres dont le programme faisait une obli-
gation.
On ne saurait trop l’affirmer, cela est immoral. Un con-
cours constitue un contrat bilatéral, où le programme est
absolument la loi des parties.
Un exemple fera saisir la justesse de cette énonciation.
En 1880, la ville de Paris ouvrait un concours pour la
décoration de la place de la République. Par une disposition
étrange, elle mettait séparément au concours les mâts, les
colonnes rostrales, les candélabres, les balustrades; on pou-
vait concourir pour le tout, ou pour un seul de ces sujets
distincts. Au jugement, le directeur des travaux exposa que
l’intérêt de la ville était certainement que la décoration de la
place présentât un ensemble et fît un tout, et demanda, en
conséquence, que le jury cherchât d’abord les éléments de
son jugement parmi les projets dont les auteurs avaient traité
tous les sujets. Il avait évidemment raison, mais trop tard.
Un des jurés désignés par les concurrents, fit remarquer qu’on
mettrait ainsi hors de concours les artistes qui, sur la foi du
programme, n’avaient envoyé qu’un, ou deux, ou trois sujets,
et que ce serait un déni de justice; le préfet reconnut le bien
fondé de cette observation, déclarant que le concours mon-
trait que le programme avait été mal conçu, que l’erreur en
était à l’administration, et ne pouvait être au préjudice des
concurrents ; et, en fait, sur l’un des sujets (les mâts), le prix
fut alloué à un artiste qui n’avait traité que ce seul sujet.
Telle est bien la vraie doctrine, la seule juste et morale. Si
le concours montre que le programme était imparfait, l’ad-
ministration peut aviser ultérieurement ; mais, lorsqu’il s’agit
de jugements, le jury est lié par le programme comme un
tribunal est lié par la loi. Il n’a pas à faire œuvre utile, il a à
faire œuvre juste.
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* *
Comment doit être composé le jury d’un concours?
La raison répond : d’hommes compétents, ou, comme on
dit au Palais, d'hommes à ce connaissant. Cela encore paraît évi-
dent, de même que, lorsqu’il s’agit, par exemple, de juger un
concours de mathématiques, on ne pense pas à d’autres juges
que des mathématiciens. Et cependant, c’est le contraire qui
a presque toujours lieu; dans les jurys de concours d’archi-
tecture, à peine voit-on quelques architectes, et tout récem-
ment encore, le jury du concours ouvert par l’administration
de l’Assistance publique pour le projet d’hôpital fondé par
Mme Roucicault, comprend trois architectes sur quinze mem-
bres. La proportion varie, mais toujours les architectes sont
en minorité; parfois même il n’y en qu’un seul, comme au
concours de la ville de Lorient, peut-être quelquefois aucun ;
toujours majorité dé jugés incompétents, quelle que soit d’ail-
leurs leur valeur à tous égards, car, pour lire des plans, des
coupes, des façades même, distinguer ce qui est pratique,
constructible ou étudiable, il faut une instruction spéciale
qui leur fait défaut.
D’où vient donc cette étrange anomalie ?
Toujours de la même idée fausse sur le rôle du concours,
de la confusion entre le concours et une sorte d’adjudication
de nature particulière. Si, en effet, le jugement d’un concours
avait le caractère et la portée d’une passation de marché,
d’un acte administratif, le jury serait sans droit et sans qua-
lité pour engager une décision qui, légalement, ne peut être
prise que par les administrateurs. Mais le concours étant ce
qu’il doit être, des propositions d’idées, le jugement étant ce
qu’il doit être, le choix des meilleures idées, alors c’est le
jury compétent qui a seul qualité pour prononcer.
Aussi doit-on l’affirmer très nettement, et sans concessions,
que la logique ne comporte pas : le jury doit être composé
uniquement d’architectes désignés parmi les plus expéri-
mentés. Ce jury peut entendre les administrateurs ou fonc-
tionnaires intéressés, leur demander tel renseignement qu’il
appartiendra, mais à titre consultatif, puis prononcer souve-
rainement; après quoi, le concours étant terminé, la période
de mise à exécution commencera s’il y a lieu, et alors se pro-
duira l’action administrative ; la logique sera ainsi respectée,
chacun remplira son rôle naturel, et l’on ne verra plus de ces
jurys hybrides dont la composition résulte d’une confusion
entre des attributions distinctes. Les jugements, enfin, acquer-
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L’ÉMULATION.
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