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sénevé devienne un grand arbre, comme dit l’Ecri-
ture! C’est faire preuve de philosophie que de se
contenter de ce que l’on a, surtout quand on craint
d’effaroucher ou d’indispqser le public en revenant à
des ouvrages qui ont plu à nos pères, et qui, remon-
tés avec soin, auraient pourtant bonne grâce encore.
Il fallait du nouveau, n’en fût-il plus au monde,
Et c’est pourquoi, sans doute, ou a pris Esclarmonde !
Nous avons déjà publié un compte-rendu à'Es-
clarmonde, dû à la plume de notre correspondant
artistique de Bruxelles. On sait que la pièce e;t une
sorte de féerie, dont le sujet a été emprunte par
MM. Alfred Blau et Louis de Gramont à un poème
anglo-normand du XIIIe siècle, intitulé Parlheno-
peoo, comte de Blois. Pour rintelligence du lecteur,
que nous ne pouvons décemment renvoyer â un
compte-rendu publié le lr décembre, nous allons re-
produire ici l’analyse du livret, telle que notre cor-
respondant l’a faite avec autant de patience que de
fidélité :
Prologue. — A Byzance : Une Basilique. Pliorcas.
empereur d’Orient et magicien, apprend à son. peuple
que son art lui commande d’abdiquer en faveur dosa
fille Esclarmonde. Celle-ci devra rester voilée jusqu’au
dernier jour de sa vingtième année. Alors...
___Un tournoi dans Byzance
Rassemblera les chevaliers au vaillant cœur
Et la main d’Esclarmonde et la toute puissance
Appartiendront au preux vainqueur.
Acte 1er. — Une terrasse du Palais de l’Impératrice. —
Esclarmonde songe au chevalier Roland qu’elle a entre-
vu un jour dans Byzance, alors que de longs voiles la
cachaient déjà à tous les yeux. Elle dit à sa sœur Par-
séis son amour pour le jeune et beau guerrier. Parséis
lui rappelle que son père l’a instruite dans l’art de la
magie et lui conseille d’user d’un charme pour amener
Roland à sa cour. Mais Esclarmonde se demande si elle
sera aimée par son héros. Enéas, le fiancé de Parséis,
apporte des nouvelles de France. Il a vu Roland à Blois
ou il allait épouser la fille du roi Cléomer. Esclarmonde
n’hésiste plus, elle évoque les esprits qui lui font voir
dans le disque de la lune, la chasse du roi Cléomer et
Roland entraîné par uncerf jusqu’au bord de la mer,
d’où un navire le mène à une île enchantée.
Acte IL — L’Ile enchantée. — Les esprits de l’air, de
l’onde et du feu accueillent Roland et rendorment. Es-
clarmonde arrive sur un char flamboyant. Elle réveille
Roland en le baisant au front et lui offre de l’épouser
sans la voir. Le jeune chevalier accepte et d’un arbre
descend un rideau de roses derrière lequel l’hymen s’ac-
complit.
Une chambre du palais Magique (4° tableau). — Les
époux qui s’étaient endormis sous un arbre se réveillent
dans le palais Magique. Esclarmonde dit à Roland de
retourner à Blois pour délivrer Cléomer assiégé par les
Sarra.zins. Elle lui confie l’épée de Saint-Georges avec
laquelle il vaincra tant qu’il respectera le serment qu’il
a fait de ne pas chercher à connaîtré le visage de sa
maitresse.Eniin,point important, elle lui promet de le
rejoindre toutes les nuits.
Acte III. — Blois. La place publique. — Les Sarrazins
vainqueurs viennent de sommer Cléomer de se rendre.
Le Roi va devoir accepter leurs conditions de paix lors-
que Roland arrive et ranimant tous les courages en-
traîne une dernière fois les guemers au combat. Grâce
à l’épée de St-Georges, le chevalier victorieux sauve la
ville,Cléomer reconnaissant lui offre sa fille èn mariage.
Roland reflise.
Une salle du palais de Blois (6,‘tableau).—L’êvèquede
Blois voulant connaître le motif pour lequel Roland a
refusé la main de la princesse Bathilde,. confesse le
chevalier. CelUi-c: se laisse arracher une partie de son
tjecret et avoue qu’il attend, la nuit même, son épouse
inconnue.L’évèque croit Roland en proie à un sortilège.
J) se retire, mais en se promettant de revenir à l’heure
où les amants seront réunis. Répondant à la voix de
sofi ami, d’Eselarmonde parait, puis l’évêque qui ar-
rache le voile d’Esclarmonde et veut l’exorciser. Les
esprits permettent à l’Impératrice de s’échapper, mais
Roland qui l’a trahie et dont l’épée se brise, ne la verra
plus.
Acte IV. — La forêt des Ardennes. — Parséis oui
sait que son père a choisi comme retraite là forêt (Içs
Ardennes, vient le trouver et lui annonce que depuis
de longs .jours sa sœur l’a quittée. Pliorcas ordonne
aux esprits d’amener la coupable devant lui. Esclar-
monde parait et son père lui dicte l’arrêt du destin :
elfe renoncera à l’amour de Roland ou celui-ci périra de
la main de Pliorcas. Survient Roland qu’Eselarmonde
sauve en le congédiant malgré l’amour qu’elle n’a cessé
de lui porter. Roland désespéré part pour Byzance,
espérant trouver la mort dans un tournoi fameux qù’on
y annonce et auquel il veut prendre part.
Epilogue. — Byzance. — La Basilique. — Esclarmonde
voilée est à côté lie Pliorcas revenaà Byzance pour con-
naître le résultat du tournoi annoncé au début de fac-
tion. On introduit le vainqueur, revetu d une armure
nqirc, la visière du casque baissée. Pliorcas lui dit qu’il
ji conquis la main d’Esclarmonde. et lui demandé son
■mip, Roland, carc’estlui, répond:
lès Alen nom est Désespoir ! Je m’appelle Douleur !
Je n’étais venu chercher qu’un glorieux trépas.
' .....................Trône, puissance, beauté,
ffqtfë ces biens malgré moi conquis, je les refuse.
Esclarnioqde, heureuse, a reconnu la voix de Roland:
0 joie, il me refuse,
C’est bien lui, mon Roland, mon amour, mon seul bien j
Cependant Roland a relevé la visière de son casque et
Pliorcas lui dit :
L’objet de ton refus,
Insensé, ne veux-tu pas au moins le voir?
Pour plaire au Roi, Roland, consent à fixer les yeux
sur Esclarmonde, dont les voiles sont tombés. On de-
vine le reste. Roland, qui ne connaissait point le nom
de soi) amante, la reconnaît sous les traits de la jeune
Impératrice et celle-ci lui tendant les bras :
Oui, mon amant, c’est moi !
Veux-tu toujours mourir ?
Dernier duo d’amour. — Chœur. — Rideau.
Confine on le voit, ces six tableaux sont très rem-
plis, niais-ni la vraisemblance ni l’originalité n’y
brillent excessivement. On pourrait demander com-
ment l’épée de Saint-Georges est tombée ehtre les
mains d’une famille qui s’occupe de magie, et s’éton-
ner du hasard qui réunit dans la forêt des Ardennes
Pliorcas et Parséis, qui arrivent de Byzance, Ro-
land qui vient de Blois, et Esclarmonde qui était on
ne sait où. Mais il faut fermer les yeux sur ces cir-
constances inexpliquées, et passer aussi sur le rôle
équivoque de l’évêque, qui trahit le secret de la con-
jçssion-et guette, comme un mari jaloux, le moment
PÙ Ips amants vont se retrouver dans les bras l’un
de l’autre. Qn doit avoir de Pindiilgence pour un
évêque fié féerie j ij en feut tant, quelquefois, pour
les autres ! .
Nous ne savons si Massenet a été bien Inspiré, dans
pes derniers temps, en gonflant sa muse et en visant
mu grandiose. D’aucuns estiment qu’il a tort de
foreçf son talent, fait plutôt de délicatesses et de
puqnces, et que les procédés wagnériens jurent avec
Je tour éssepijpllement français de son imagination.
Quoique le Cid renferme de beaux endroits, on ne
retrouve qu'incomplètement le nerveux auteur de
Manon dans la façon déjà alourdie^e cet ouvrage.
Esclarmonde nous révèle un Massenet tout nou-
veau, épris des cymbales, des trompettes et de toute
la bande de .Eux, au point de confondre, trop souvent,
le bruit avec la puissance. Sans compter qu’il ne feut
pas regarder de trop près cette orchestration, où les
passages écrits à la hâte sont plus nombreux qu’on
ne pense. Chez Wagner, qui n’abuse pas tant des
cuivres qu’on le dit généralement, il y a un musi-
cien qui a besoin d’une expression forte, d’une poly-
phonie brillante. Massenet, au contraire, semble
surmener sa nature, et loin qu’il y ait accord entra
son genre d’inspiration et le vêtement métallique
qu’il lui donne, sa muse semble aussi étonnée, sous
cette carapace,que léserait une mignonne jeune fil le,
en s’éveillant un beau matin dans l’armure d’un
géant féodal.
La théorie du leitmotiv est largement appliquée
dans Esclarmonde. On a imprimé un catalogue
thématique, où tous les motifs de. l’ouvrage sont
exposés, avec des remarques nombreuses sur leur
emploi judicieux. Les malins se poussent du coude
et se disent entre eux : « Tu entends? Le motif de la
Possession ! Le motif de la Magie ! Le thème de Ro-
land ! » Beaucoup s’imaginent qu’ils deviennent mu-
siciens à ce jeu-là, et cela flatte leur amour-propre.
Tous les grands compositeurs, depuis Gluck, ont ra-
mené certaines idées musicales, lorsque la situation
leur paraissait l’exiger ; le leitmotiv remonte aux
origines de la musique expressive ; il restait à en
abuser, et l’on n’y a pas manqué. .Cette théorie, qù
l’art musical devait puiser des ressources inatten-
’dues, est bien près de tomber dans l’enfantillage.
Il y a dans Esclarmonde un tableau qui nous a
beaucoup plu ; c’est celui où l’héroïne invoque les
esprits qui lui font voir, dans le disque de la lune, les
léripéties de la chasse qui doit amener Roland dans
’ile enchantée. Outre que ce tableau est d’un bel
èffetscénique,la musique,pleine derhythmesétranges
pt de sonorités fantastiques, en est d’une excellente
Jacture. C’est une page vraiment ciselée et qui fait
honneur à Massenet. Nous signalerons aussi le ballet
des sylphes de l’île magique et la pastorale de la
forêt des Ardennes. Le grand duo d’amour a du
mouvement, mais il est laborieux. On sait que
l’hymen d’Esclarmonde et de Roland s'accom-
plit derrière un rideau de -rases. Ce rideau des-
cend subitement des frises sur les amants en-
lacés, et la musique décrit alors, pendant quel-
ques minutas, les transports des époux. Cette
Scène un peu réaliste était rendue à Paris avec plus
lie poésie ; les roses arrivaient de tous les bosquets
des environs et s’amoncelaient peu à peu autour des
amants, dont le visage restait longtemps visible
dans une baie fleurie. Dans les . tableaux . sui-
vants , nous avons distingué le duo de Roland
et de l’évêque, qui à de la fermeté et dont l’accom-
pagnement, formé d’une pédale religieuse, est d’une
grande distinction, puis le lamento d’Esclarmonde,
qui pleure son pouvoir perdu et la fln de son rêve
l’amour. L’épilogue est court et peu remarquable. :
En somme, Esclarmonde est le moins inspiré des
opéras de Massenet, mais la partition est faite par un
homme du métier, qui connait son public par cœur
çt n’en est pas à un artifice près. En passant,
flous avons surpris quelques réminiscences, , dont la
plus curieuse, cri dehors du thème de la magie, dis-
crètement emprunté à Meyerbeer, est une phrase
musicale reprise par Parséis au tableau de la forêt ;
dette phrase est sortie toute vive du premier allegro
du concerto en sol mineur de Mendeïssohn.
, Quelques personnes ont trouvé certaines situations
risquées.Ce n’était pas assezcle cet hymen consommé
derrière des roses, qui sentent l’oignon, il y a un
moment où Esclarmonde apparaît à Roland devant
îe lit nuptial, et ce lit ouvert, où l’on voit deux
traversins, ne laisse pas, en effet, d’être assez*
choquant. Si l’usage des sous-titres existait encore,
il faudrait intituler le nouvel opéra-de Massenet:
Esclarmonde pu les Joies de l'alcôve. Mais, en
somme, l’ouvrage a obtenu un vif succès. Il y a eu
clés rappels presque à. chaque tableau.
Il fautdire aussi que l’interprétai ion a é té au-dessus
(Je ce qu’on péut attendre d’un théâtre de province.
Mme Vaillant n’a pas la voix aiguë de Mile Saun-
derson, qui monte jusqu’au contre-sol, mais elle
est bien meilleure comédienne ; elle s’est d’ail-
leurs tirée avec habileté dés passages extrême-
ment périlleux de l’invocation des esprits, et elle
èst délicieuse dans son costume d’impératrice. Le
public lui a fait une véritable ovation. M. Duzas, de
son côté, a fait un Roland plein de feu et de noblesse,
et sa voix n’a jamais paru plus fraîche. M. Vilette a
tiré un parti excellent du rôle de l’évèque. Les autres
rôles sont sacrifiés, y compris celui dePhorcas, que
M. Fàbre a rempli avec sa distinction ordinaire.
Le chevalier Enéas (M. Gautier) ne fait que passer,
et Parséis (Mme Huguet) a moins d’importance que la
dernière des confidentes de tragédie. L’orchestre,
bien stylé par M. Delà Chaussée, a montré une grande
correction, les chœurs n’ont pas déraillé et le ballet
n’a pas été ridicule. En fait de décors nouveaux, il
n’y a que des accessoires et des pièces rapportées, où
s’affirme pourtant le talent fleuri de MM. Célos et
Bernier. On a très ingénieusement utilisé les décors
drÂÏda, de la Favorite et du Tribut de Zamora,
ce qui nous mène partout, excepté à Byzance. Mais
l’ensemble flatte suffisamment la vue, etM. Lignel,
qui a réglé toute la mise en scène, s’est cette fois
surpassé. E. L.
THÉÂTRE DES VARIÉTÉS. — La première
d'Esclarmonde et l’ouragan qui s’est déchaîné hier
Sur notre ville ont été cause qu’un public trop peu
nombreux a assisté aux Variétés à la représentation
de la Cosaque par ufiè réunion d’artistes des
Bouffes Parisiennes, des Nouveautés et des Variétés
de Paris. Ç’a été tant pis pour les absents, caria
pièce nouvelle de Meilhac est originale, <piquànte et
gaie, et les couplets dont Hervé Ta poursemée sont
lestement et coquettement troussés.
La Cosaque,c’est une princesse russe névropathe,
excentrique, qui tire le fleuret, fait de la photo-
graphie, suit la| clinique des hôpitaux, entre à che-
val dans un salon, dompt des fauves et Sonne sa
femme de chambre à coups de revolver. Elle a un
cœur, avec tout cela, un cœur un peu dévoyé, qu’elle
finit par retrouver et par mettre à sa place, avec
l’aide d’un commis-voyageur en nouveautés, pari-
sien naturellement, qu’élle épouse au nez et à la
barbe d’un trio de burgràves fiioscovites, le fils, le
père et l’aïeul, qui sont de la plus belle et de la plus
ébouriffante fantaisie. Du Meilhac, et de la bonne
année.
L’exécution a été très bonne, et les artistes ont.
été l’objet d’une véritable ovation.
La tournée de MM. Martin et Perrault ne devait
donner qu’une représentation à Anvers. Espérons
.que cette décision ne sera pas irrévocable, et qu’il
sera permis aux victimes du grand vent et de la
grande musique de venir applaudir un de ces soirs le
Cosaque et sês excellents interprètes.
FAITS DIVERS
La Papaya Peptone Cibils produite sans acides
minéraux, est la plus riche et la plus naturelle. Elle
guérit les estomacs les plus affaiblis. 68
Equateur. — Chocolat exquis à 2 fr. le l/2kilog. 89
Terrible explosion de houillère. — 5 morts.
— On nous télégraphie de Newport (Monmouthshire)
qu’une explosion qui a causé la mort de cinq ou-
vriers, a eu lieu hier matin dans la mine de Glyn à
Pôntypôol. Du bois dans les galeries avait pris feu,
et il en est résulté une exlosion de gaz. Les cinq
hommes qui travaillent près du lieu de l’accident
lurent tués sur le coup, neuf autres gravement bles-
sés, et les travaux fortement endommagés.
La tempête en Angleterre — Villes inon-
dées. Les marées extraordinaires auxquelles
nous faisions allusion hier sous notre chronique
locale ont causé des inondations dans plusieurs
villes d’Angleterre. On en signale de désastreuses à
Chiffon, par le débordement delà rivière Avon.
L’üsk s’est élevée plus haut qu’on ne l’avait vue
depuis un demi siècle, inonda..t un grand nombre de
màièons, la câle sèche de MM. Môsdey, Carney et
Ce ët tous les terrains bas.
Là Gàlles du Sud a été visitée par une violente
boürrasque accompagné d’éclairs et de tonnerre,
suivie de la chute de grêle la plus formidable qu’on
se rappelle.
De Güernsey, Jersey, Bude, Swansea, dans toutes
les partjes du Devonshire, à Sfdmouth, etc., des
nouvelles de meme nature nous parviennent. Des
dégâts étendus ont été causes aux maisons et édi-
fices, des arbres déracinés, les communications télé-
graphiques interrompues.
Les bateaux de pêche ont beaucoup depertes.
Plusieurs ont fait naufragé.
La nouvelle que douze câdavres avaient été jetés
à la côte de Dorsèt dans la "baie Ouest est heureuse-
meht dénouée de fondement. On doute également
que les épaves marquées Erin de Londres, recueil
lies, puissent provenir du grand transatlantique
Erin de Lïverpôol, qui est en retard,
Les grèves. — On écrit de Charleroi, 23 janvier,
à la 'Gàzétte :
Cette fois,'on peut considérer la grève comme ter-
minée : 5,000 ouvriers sont encore rentrés au travail
ce mâtin.
Il ne reste plus qu’une Couple de milliers de grévistes,
répartis dans un certain nombre de communes ; c’est à
Chatefineau, un foyer d'agitation, et.à Montigny sur-
Sambre qii’oi) en compte le plus grand nombre : 600 dans
la première de ces communes, 9Ó0 claris la seconde.
Dans une entrevue qu’ils ont eue hier avec M. Stoes-
ser, président de l’Association charbonnière, les délé-
gués ouvriers auraient obtenu délai la promesse sotén-
nelle que le compromis serait respecté par tous ceux
qui y avaient adhéré. Les délégués auraient alors en-
voyé dans les différentes ligues le conseil de reprendre
la travail. -
C’est donc absolument inutilement que les ouvriers
ont perdit leurs salaires depuis le Jour où de toutes '
parts on leur donnait le conseil de reprendre le travail,
là tout au moins où le compromis-étai t accepté.
Mais n’ayons par l’air de récriminer. Faisons plutôt
des vœux pour l’avenir.
Après six semaines d’agitations continuelles, depertes
incalculables pour l’industrie et le commerce, de dures
privations pour l’ouvrier et sa famille, puisse une lon-
gue période de calme et de propéritê cicatriser cés plaies.
La tempête. — Depuis deux joùrs, le vent soufflait
avec une violence extrême. Un vent d’Ouest qui, s’il
faut en croire les médecins, ne peut, après avoir passé
sur l’Atlantique, qu’améliorer l’état de l’atmosphère du
P Hier, le vent a sévi à l’état de tempête. Ç’a été, tout
l’après-midi et le soir, une bourrasque, à peine inter-
rompue de temps à temps. Les fils téléphoniques et télé-
graphiques se son t payé leur concert des j ours de grands
vents.
A Bruxelles, sur les boulevards, à l’avenue Louise,
des arbres ont quelque peu souffert. Il a fallu fermer de
bonne heure le Parc. Cependant, on no Signale pas à
Bruxelles de sérieux accidents.
A Charleroi, la tempête sévit avec une intensité inouï.
Des cheminées renversées. Sur la Sainbre, fes bateaux
s’entre choquent comme s’ils so trouvaient sur une mer
agitée.
Les charbonnages ont ôté prévenus il y a trois jours,
par l'Observatoire de Bruxelles, de la perturbation at-
mosphérique, qui se préparait. On sait qu’en cas de dé-
pression du baromètre ilfeut redouter des dégagements
de grisou.
A Mens, le 23janvier, 2 heures, il souffle une forte
tempête, accompagnée de pluie et de grêle. Les toitures
et les cheminées auront à souffrir, ainsi que les lignes
télégraphiques et téléphoniques.
A Liège, la tempête a continué hier deplus belle. Le
Vent souffle avec rage et sur les ponts, l’on est jeté
contre les garde-fous.
Les cheminées continuent à s’abattre. La pluie tombe
Sans discontinuer et fait monter considérablement les
eaux de la Meuse. On a dû lever complètement les bar-
rages le matin.
Tous fes ports sont inondés.
Le matin, on sauvait un chargement de grain, en sacs,
déposé au port du quai de l’Industrie et qui était envahi
par les flots.
A onze heures, un cadavre a été aperçu descendant
le courant très violent. Deux hommes l’ont retiré à Ja
hauteur de la Passerelle. Ce cadavre,—celui d’un jeune
homme de vingt-cinq ans environ, — était hideux à
voir. Les doigts étaient rongés, et les chairs des joues
pantelantes. Il parait avoir séjourné un mois soüs les
eaux.
Les eaux de l’Ourthe et de la Vesdre ont une crue de
lm50. Elfes continuent à monter.
Si la pluie continue, Chénée sera inondé. On a de
grandes inquiétudes.
A Grévenmaeher, un épouvantable ouragan accom-
pagné de grêle s’est abattu le 22 janvier sur toute la
vallée de la Moselle. De tous côtés de grands (légats
sont signalés.
Beaucoup d’arbres ont été déracinés. Des toitures
entières ont été enlevées des maisons à Flaxweiler. Des
poteaux télégraphiques ont été brisés par la violence
du vent.
Les vignobles surtout ont eu beaucoup à souffrir des
eaux, qm y ont creusé des sillons profonds et détruit un
grand nombre de ceps.
On ne se rappelle pas qu’à pareille époque de l’année,
un ouragan d’une telle violence se soit déchaîné sur
cette valléa. • -
Des dépêches des départements français, en date du
22 janvier, annoncent gu’une tempête terrible a sévi
toute la nuit précédente sur le littoral de l’Océan.
A Royan, la tempête a fait plusieurs Victimes. Le
patron d’une chaloupe de pêche rapporte qu’en ren-
iant par la passe du Sud. il a vu la chaloupe Confiance,
de Royan, chavirer par un coup de mer, â une encablure
de la sienne ; puis un homme surnageant, qui a disparu
presque aussitôt. Quatre hommes montaient cette cha-
loupe. Tous les quatre ont péri.
A Cherbourg, la tempête a liiit rage toute la nuit. Le
canot de là Société centrale de sauvetage des.naufragés
est sorti à sept heures du matin et a secouru le bateau
de pèche Charles et Marie, en perdition.
A Dison.ïm violent orage a éclaté dans la région pen-
dant la nuit : éclairs violents, coups do tonnerre, pluie,
grêle, rien ne manquait. L’orage s est surtout manifeste
entre Darcey et Flavigny. Les rivières l’Oze et l’Ozerain
ont grossj à vue'd’œil et inondé les villages riverains.
Un terrible accident est arrivé, mardi matin, à
Havinriès, au passage à niveau du chemin de fer. Une
voiture venant de Bruxelles, appartenantàM.Dambrin
et contenant trois personnes : M,u, s Drébart, Dumbrin et
F. Liart, qui se rendaient en pèlerinage à Thimougios,
s’était engagée sur la voie, quand tout à coup arriva Un
train do marchandises.
La locomotive vint heurter la voiture, qui fut mise fin
pièces ; le conducteur et le cheval ne furent pas atteints;
mais les trois dames furent blessées ; l’une d’elles, Mm“
■ Liart, succomba peu do temps après. ,
La barrière n’était pas fermée : mais on assure que le
train de marchandises était en avance d’un quart
d’heure : une enquête a été commencée.
Tentative d’assassinat et suicide. — On écrit
de Louvain, le 23 courant :
Henri R..., ancien ouvrier à l’administration des
chemins de fer, d’où il a été renvoyé pour indélicatesses,
s’était rendu avant-hier soir, étant pris de boisson, dans
le café de la rue de Diest portant pour enseigne Aïs
Chaudron.
M. Willems, sous-elief de notre gare, se trouvait dans
cet établissement.R..., aprêsavoir proféré,des insultes
et des menaces, metttait la main à la poche pour en
retirer une arme, quand un des consommateurs, voyant
le mouvement, le saisit par. les épaules et le terrassa ;
d’autres assistants le fouillèrent : on trouva sur lui un
revolver chargé de six coups.
La police ayant été avertie, R... fut conduit sous
bonne escorte au bureau de la Permanence et mis en
■cellule pour cuver sa boisson. Dans le courant de la
nuit, un agent constata que le pochard s’était pendu à
,l’aide d’une manche desa jajuetteaux barreaux de sa
celluie. Il coupe immédiatement le lien et après avoir
reçu des soins, le pendu reprit connaissance.
Hier, vers 9 heures du soir, ce même individu s’est
couché sur la voie ferrée à la limite de notre gare, au
moment de l’arrivée d’un train et a été horriblement
broyé.
La mort a été instantanée.
Les corsaires du commerce. — On écrit de
Mens, le JG et :
Les commerçants pincés dans la faillite des escrocs
Monoyer, d’Havrô,sont tous Français: <le Valenciennes,
Paris, Arras et Dunkerque. Les Monoyer n’avaient de
rapports avec des Belges que pour l’écoulement des
marchandises escroquées à leurs dupes.
L’instruction de cette grave affaire est conduite par
M. le juge d’instruction Legrand ; le passif augmente
tous les jours.
Le magasin de Bruxelles, où le curateur] M0 Paul
Franeau a trouvé 10,600 kil. de malt,est situé au Vieux-
Marché-aux-Grains. Les deux frères Ursmur et Emile
Monoyer ne sont pas encore arrêtés.
Le drame conjugal de Lille. — Mort de Marie
peveugle. — Contrairement à l’espoir qu’on avait con-
servé, la femme Baratte, victime du drame qui s’est
déroulé dimanche après-midi dans la rue des Bateliers,
à Lille, est morte mardi soir à l’hôpital Saint-Sauveur,
des suites de ses blessures.
Affaire Gouffé [Suite). — Voici, d’après la fille
Bompart, ce qui se serait passé dans la nuit du 25
au 26 juillet, où l’huissier Gouffé a, comme oii sait,
été assassiné :
Eyraud, a dit Gabrfelle Bompart, avait loué, à cetto
époque, pour un mois, un petit appartement meublé,
situé au rez-de-chaussée,dans le quartier du Fatibourg-
Saint-Honoré.Lo soir où le crime a été commis,Eyraud,
Sous un prétexte que je ne me rappelle plus.m’a envoyée
faire une course qui m’a retenue dehors une heure en-
viron.
Lorsque jo suis rentrée, j’ai vu Eyraud en manches
de chemise. Il suait à grosses goûtes et était essoufflé
comme s’il venait d’accomplir une besogne très rude.
Au moment où je pénétrais dîtes l’appartement j’en
vis sortir un homme blond.
(Gabrielle Bompart a donné le signalement de cét
homme, signalement que nous no pouvons reproduire
pour ne pas entraver l’action de Injustice.)
Je demandai, poursuivit Gabrielle Bompart, quel
était cet individu.
— C’est uu de mes amis, me répondit-il. qui m’a ap-
porté un appareil que je dois transporteren Amérique.
Je viens de le mettre dans cette malle.
Je n’ai su que plus tard, dit la fille Bompart. que cet
appareil n’était que le cadavre de M. Gouffé. Sans aucun
soupçon, alors, je me couchai tranquillement.
Eyraud, qui avait l’air très préoccupé, saisit tout à
coup un trousseau de clefs qui était sur la table et sortit
précipitamment.
A son retour, il était bouleversé. De temps en temps
il prononçait des phrases qui, pour moi, «avaient alors
aucun sens. Il marchait dans la chambre comme un fou.
Il se mit à boire et absorba ainsi près d’un demi-litre de
cognac. Soudain il me dit :
— Nous no pouvons pas rester ici plus longtemps; il
va falloir quitter cet appartement.
Il no me dit que ces mots et rentra chez lui, à LeVàl-
lois, auprès dosa femme.
Le lendemain, il me dit :
— Nous partons aujourd’hui même pour Lyon.
A la gare, jo revis l’homme blond que j’avais vu la
veille, et un autre individu, très brun, que je ne con-
naissais pas pour être un ami d’Eyraitd.
L’homme blond a dit à mon amant :
— Surtout, prenez bien soin de mon appareil.
Continuant ses révélations, la fille Bompart a, donné
le signalement de plusieurs personnes habitant Lyon
et qui ont été mêlées à cette affaire.
On recherché actuellement ces personnes.
P.-S. — Gabrielle Bompart a complété hier soir ce
récit. Elle a assisté à l’assassinat de Gouffé. Eyraud,
assisté d’un complice, a étranglé rhuissier.
Le complice, nommé Launay, a été arrêté.
Un attentat sauvage vient de mettre en émoi les
habitants de la commune de Croix-Saint-Leufroy, en
France.
Un nommé François Aehard, âgé de trente ans, do-
mestique, s’est introduit la nuit dans la demeure d’une
vieille femme, pauvre et infirme, âgée de quatre-vingt-
dix ans, la femme Chantelot.
Après avoir fait subir les derniers outrages à cette
nonagénaire, le misérable lui arracha les cheveux, lui
laboura la poitrine èt le ventre de coups de pieds et la
jeta toute nue sur le pavé, où la malheureuse demeura
évanouie jusqu’à sept heures du matin. En revenant à
elle, elfe se traîna chez un voisin -pour demander du
secours.
Confronté avec sa victime, Aehard ne put nier sa
culpabilité et se contenta de répondre : « Je ne sais pas
comment j’ai pu faire cela ; je ne me rappelle rien. «
La rage. — Le Bulletin médical donne, sur les
résultats du traitement de la rage à l’Institut Pas-
teur, des renseignements intéressants :
Depuis le 21 août dernier, c’est-à-dire depuis cinq
mois, 850 mordus ont été traités. Gr, sur ce nombre, il
n’y a pas eu un seul décès.
Oes résultats, vraiment inespérés, peuvent s’expliquer
de diverses façons ; il y a d’abord ce fait qu’en général
lés malades viennent se faire traiter plus rapidement;
mais il y a aussi à tenir compte) do quelques modifi-
cations dansla technique des inoculations. OV-n ainsi
qu’a l’heure actuelle, la qu;imité.de liquide injecté est
en général plus considérable que par le passé.
lsn outre, lorsque les blessures sont particulièrenient
dangereuses (morsures multiples et profondes, mor-
sures à la face et au crâne), les moelles très virulentes,
comme la moelle de trois jours, sont injectées, non plus
seulement un seul jour, mais deux jours consécutifs.
Le catastrophe de Drocourt.— La Compagnie des
mines do Drocourt exploite, à deux ou trois kilomètres
d’Hénin-Liétard, une fosse appelée « la Parisienne :
c’est ce puits qui a été lo théâtre de là catastrophe. Vers
2 heures de l’après-midi, le mécanicien de service fai-
sait remonter la cage contenant vingt-sept mineurs la
plupart jeunes ouvriers appelés galibots en langage de
mines, et dont les fonctions Consistent à lancer les ber-
lines (le charbon,sur les plans inclinés.
Lorsque la eagequi remontait avec une rapidité ver-
tigiueiiso arriva à quelques métrés du sol, fe mécanicien
voulut faire jouer le frein d’arrêt; mais cet appareil,
prétend-il, ne fonctionna pas: lalourikrcage continuant
â s’élever rapidement alla bientôt atteindre le feite des
bâtiments et se broya contre, fes énormes poulies qui
servent à enrouler les câbles.
Un choc épouvantable se produisit, détruisant tout
à la fois la cage et la charpente en for du batiment, et
fes malheureux ouvriers turent projetés.de tous côtés
avec une violence inouïe. Le bruit de la collision, les
cris désespérés des blessés attirèrent aussitôt de nom-
breux ouvriers dujoùr et bientôt les travaux do sau-
vetage commencèrent, sou s la direction do M. Delmiclie,
ingénieur on chef do l’exploitation.
On releva d’abord doux cadavres, ceux du porion
François Payen, âgé de quarante-cinq ans, chef porion,
qui avait le crâne fracasse, et d’Achille Moreau, jeune
galibot, âgé de quinze ans, qui portait également une
horrible blessure à la tète.
Autour d’eux gémissaient une vingtaine de blessés,
la plupart dans un état pitoyable. Deux d’entre eux,
Joseph Chaijier et Elfe Rouvaux, âgés de seize ans, ex-
pirèrent pendant qu’on les transportait à l’infirmerie.
Plusieurs autres sont à l’agonie'.
Le parquet de Béthune a aussitôt ouvert une enquête.
Le mécanicien de service au moment de la catastrophe,
nommé Delcolfe, a été mis en état d’arrestation. Il a dû
être protégé par la gendarmerie contre la foule qui
voülaitlui faire un mauvais parti.
P.-S. — Deux des ouvriers blessés dans le terrible
accident survenu, lundi après-midi, aux mines de Dro-
court (Pas-de-Calais) ont succombé dans la nuit de
mardi a mercredi, aux suites de leurs blessures. Ces
deux nouveaux décès portfent.à six 1e nombre dos morts.
L’exécution de Dauga. — On télégraphie de
Nancy :
Deiblor et ses aides étaient arrivés depuis deux jours
et tous les niatins iine foule énorme se réunissait sur la
place où a été dressé l’échafiitul.
Dauga a ôté exécuté à 7 heures du matin.
R a protesté jusqu’au dernier moment de son inno-
cence et a demaïidé à écrire à sa famille et à commu-
nier.
Deux lions se sont échappés d’une ménagerie à
Goldherd, eu Basse-Silésie. Ils se sont réfugiés dans fine
foret des alentours. Ce dangereux voisinage contraint
les habitants'à né sortirqu’armés.ct à partir do 5 heures
on lia voit plus personne dans les rues. Une compagnie
d’infanterie y a été envoyée étTefa tliie battue.
Un tableau de Turner. — Les journaux opt raconté
que M. Vanderbilt avait acheté un tableau de Turner
500',000 francs. Turner l'avait peint on 1S60 pour M.
Gambart, qui l’avait payé 63,000 francs et revendu en-
suite à M- Mendcl. A la vente de la galerie Mende], lord
Dudley acheta le tableau 200.,000 francs.
Il parait que M. Vanderbilt a fait offrir 100,000 livres
(2,500,000 francs) à la reine Victoria pbur la Rixe, de
Moissonier. L’offre a été repoussée. •
Exécution par l'électricité. —On vient d’expérimen-
ter, dans la prison de Clinton, près de New-York, le
nouvel appareil destiné à l’exécution par l'électricité
dos condamnés à mort. •
Cette expérience a eu lieu on présence de la Commis-
sion officielle de l’Etat.
Un bœuf pesant 450 livres a servi de sujet. Lest con-
ducteurs de la machine dynamo ont été mis en contact
avec l’animal, l’un des pôles sur la tète, l’autre sur lo
flanc droit. L’extrémité do chaque conducteur était
munie d’une éponge mouillée.
A un signal donné, un courant de 900 volts fut-établi,
et instantanément, sans un spashie, sans une plainte,
l’animal tomba foudroyé.
La Commission fit ensuite d’autres expériences avec
les courants alternatifs, et obtint également, des résul-
tats satisfaisants.
Voici fe mode définitivement, adopté pour tes exécu-
tions capitales : un électro couvert (tune éponge humide
sera placé sur la tôte dû condamné, un autre. sur son
pied au moyen d’une chaussure spéciale; après l’avoir
ligoté on le* fera asseoir sur une chaise ou on le bou-
clera : il n’y aura plus qu’à toucher le bouton du com-
mutateur et justice sera faite.
Une histoire de chien. — Le chien est l’ami de
l’homme, chacun sait cela. Mais voici une histoire
qui prouve que l’homme n’a pas moins d’attache-
ment pour la bête que celle-ci pour celui-là :
Le chien des gardiens de la paix du 2” arrondisse-
ment, à Paris, vient de mourir. Sa carrière avait été
remplie do vicissitudes et la persécution même était
venue consacrer sa renommée;.
Il y a quelques années,ce chien (qui était une chienne)
avai t été recueilli par les gardiens du poste de la rue de
la Banque. La pauvre bête était venue faire ses petits
devant te poste, et cetto situation intéressante avait
touché te cœur dès braves agents. Sos petits furent im-
médiatement partagés entre cinq ou six d’ciitre eux.
Quant à la chienne, elle fut adpptée par la brigade toiit
entière et immat riculée sous lé nom doTototte. Elle vi-
vait dans un coin (feposte, abondamment nourrie, con-
fortablement chauffée en hiver et parfaitement heu-
reuse.
Tototte n’avait pas tardé à joindre au sentiment de la
reconnaissance la conscience des nouveaux devoirs que
lui imposait son changement de situation. Toutesles
nuits, elle assistait à l’appel des gardiens désignés pour
faire des rondes deux à deux. Elfe choisissait un couple
et, emboitant le pas aux dehx agents, faisait la ronde
sur leurs talons. Animée de l’esprit de corps le plus
absolu, jamais elle n’a suivi de gardiens d’autres an on-
dissements. .
L’offleier de paix, nommé commissaire depuis, informé
(le la bonne conduite de cette nouvelle recrue, fermait
les yeux et tolérait sa présence dans un coin du poste.
Au bout de deux ans do bons et loyaux services, Tototte
compromit sa situation par des excès de zèle. A force de
voir arrêter des vagabonds et des poehards, elfe avait
fini par reconnaître en eux les ennemis naturels de la
société et de ses défenseurs, les gardiens, Ses hôtes et
amis.
Elle résolut de prêter main-forte à sa façon aux
représentants do l’au tori té, grondant d’abord contre les
gens arrêtés, puis leur mordant lès mollets à belles
dents de chienne terrier qu’elle était.
De nombreuses réclamations se produisirent de la
part des inculpés dévorés partiellement, M. Caubet,
alors chef de la police municipale, s’émut et donna à
l'officier du 2“ l’ordre de faire conduire la bête trop zélée
en fourrière. On juge de la désolation de la brigade.Uno
délégation des gardiens vintdemamlerà l’officier de paix
une commutation de peine, fe bannissement au liep de
la mort. Un agent se chargeait d’emmener Tototte et
de la garder. .
Ce parti fut adopté. Mais au bout de trois mois, la
chienne s’échappait et, reprenant son service au 2°,
dès la première nuit s’attaquait aux jambes d’un mal-
heureux pochard, avec uûe ardeur toute nouvelle.Cette
fois l'officier de paix se montra inflexible et donna l’or-
11 poussa
dre positif de conduire Totott ■ en foi
tion. V ' * .
Los employés de la fourrière avaient, en effet, reçu
une chienne amenée par un agent du deuxième et mise
a mort aussitôt. Depuis, on n avait plus entendu parler
ue Tototte, mais est-il besoin de Jo dire ? Elle vivait en-
core, sauvée et rocfléifiîë par un de sès nombreux ca-
marades.
La première chienne errante venue avait été saisie
conduite en fourrière et immolée en ses lieu et place. ’
La, neige aux Etats-Unis. — Une tempête do neige
connue on n’en a plus vu depuis dix ans, sévi., depu s
huit jours (huis le centre de 1 Amérique. Les commun -
cations sont interrompues sur 1e chemin de fer du
Centrai Pacifique.
On ifa plus reçu aucun "courrier de San-Franciseo
depuis une semaine.
P.-S. Une dépêche do Jaconia (Etat de Washington)
annonce qu’un ouragan s’est abattu sur la ville et le
district.
10 personnes ont été tuées et plus de 1,000 moutons
ont péri. ,
Les masses de neige qui bloquent le chemin de fer du
Pacifique dépassent tout ce qu’on a vu jusqu’ici sur
cette ligne. En certains points, dansles défilés des mon-
tagnes, J obstacle a plus de 20 pieds de liant. Toutes fes
communications postales avec San-Franciseo sont donc
interrompues depuis plusieurs jours.
Le plus ancien des médicaments préconisés contre
Je rhume est la Pâte de Regnuuld. Aucune préparation
de ce genre nest plus agréable ni plus efficace pour
la gûenson des rhumes, enrouements et affections do
poitrine. 37^
dIii‘onîtiue judiciaire.
COUR D’APPEL. — i.’affaire “ des jveAviexs. •• —
On se rappelle cette triste affaire. Un agent de police,
Lavers,_fut odieusement maltraité, Courte rue Neuve.
Il a été incapable de reprendre son service.
Le tribunal d’Anvers prononça des condamnations
diverses contre les auteurs et los condamna à une cer-
taine somme de dommages-intérêts.
La Cour d’appel, appelée à se prononcer à son tour,
remit la cause à 6 mois, pour j uger do l’état ultérieur
de Lavers.
Hier, ce délai expirait.
La Cour a élevé fes dommages-intérêts de 10,000 à
30,000 fr.
JiniSlMU DEVCE CONSl I.AfHE. — CEAISE « OSi PAV-
ME\T OF FltKOJHT >•. — DÉCÎIAIlOFW XT Al X FRAIS ET
RISQl ES DU 11ESTINATURE. — SI RESTARIES. — Jugé à
nouveau qu •< en vertu de la clause do connaissement
. râarohan^isè devait être délivrée on payment
ot trcujht, le capitaine a le droit strict de nè délivrée
chaque mesure de marchandise que contre le montant
correspondant du fret ; les droits des parties sont réci-
proques et lune no.peut exiger que fautre remplisse
ses obligations, préalablement à celles qui lui incombent
personnellement, les obligations étant corrélatives, ot
devant s exécuter dans 1e même temps, donnant don-
— Le défendeur, ayant commencé par faire des diffi-
cultés quant au payement du frèt dans les conditions
prévues, lo capitaine a refusé la délivrance et a débar-
qué la. marchandise en vertu de la clause « que si lo
destinataire n’était pas prêt à recevoir dès que 1c va-
peur était prêt à délivrer, la marchandise serait débar-
et emmagasinéaaux frais et risques du destina-
Le tribunal alloue en conséquence au capitaine te
remboursement des frais de débarquement. Les sures-
taries de l’allège affrétée par le défendeur doivent rester
a charge de ee dernier pour le mémo motif que los frais
de débarquement doivent être payés par le demandai!-.
(3'“« chambre. — Plaidante : Mcs Van de Vorst,
Shêridan.)
Lcltreg, Sciences et Arts.
La Société des artistes de Munich ouvrira, au
Palais de Cristal, du 1er juillet au 15 octobre 1890,
son exposition annuelle des Beaux-Arts.
Envoi (les adhésions : jusqu’au lre mai.
Envoi des ouvrages : du L1' au 20 niai.
SSîi>Iio^i*»pIiie.
De Vlaamsche Schooi,. — La première livraison
de 1890 qui vient de paraître donne la description
du nouvel hôtel communal de Borgerhout. Une
grande planché photofypique d’une exécution par-
laite accompagne le texte. Le volume qui vient de
commencer promet d'être aussi intéressant que ses
devanciers. La Vlaamsche Schooi contribue licau-
coup a faire connaître et apprécier à leur juste valeur
les œuvras de nos artistes contemporains, sans né-
gliger cependant celles qui firent la gloire de notre
pays dans le passé. Nous avons mainte fois déjà
a (lirai attention de nos lecteurs sur cette belle pu-
blication; elle soutient dignement la réputation
qu elle s’est acquise.
Niêcrologîe.
Nous avons à annoncer aujourd’hui la mort d’un
homme qui, dans la simplicité de son existence, fut
une des figures d’Anvers, et qui allait atteindre l’àge
do 80 ans sans presque àvôir eu le temps de paraître
un vieillard : Armand Auger, le doyen de nos
avocats, ancien bâtonnier et ancien conseiller com-
munal.
11 avait célébré avec le regretté Jacques Cuylits le
50rte anniversaire de son entrée au barreau. ’
Le travail n’a pour ainsi dire cessé pour luiqu’avec
la vie.
C’était un excellent homtne et un bon citoyen.
Le Roi avait reconnu les services rendus par lui à
la chose publique en lui conférant la croix d’officier
de l’ordre de Léopold.
Deux mots caractérisent sa longue carrière d’avo-
cat : talent et respectabilité.
La commune de Boom vient de faire une très
grande perte: M. Jean Servais Tuyaerts, avocat,
ancien bourgmestre, y est décédé à l’âge de 80 ans.
Il jouissait de l’estime et de la confiance publiques.
Il les devai t à ses vertus, à la noblesse dé son carac-
tère, au talent et au dévouement dont il fit preuve à
la tète de l'administration.
M. Tuyaerts avait aussi des titres spéciaux à la
reconnaissance de tous nos amis politiques, juste-
ment préoccupés de l’avenir de cette belle et i'ndus-
trieuse commune de Boom : il présidait l'Assocùi-
tion libérale avec un zèle et un désintéressement
dont le souvenir ne Se perdra pas.
Nous empruntons au Journal de Liège les lignes
suivantes sur l’en terreinen t de M. Pastor, dont nous
avons annoncé la mort et lait la biographie :
Modeste et ennemi de tout apparat, M. Paster avait
recommandé que ses funérailles fussent tiiites avec sim-
plicité. C'est pour cela qu’il y a eu hier à son enterre-
ment ni cortège, ni nombreux discours, ni présence de
la troupe, à laquelle il avait droit comme commandeur
de l’Ordre de Léopold. , .
La maison mortuaire était remplie de monde, com-
Feuilleton du PRÉCURSEUR. N° 13
LA MADONE
m MAN PARISIEN
PAR
.lAGtJI IH8 HORlIAND
Puis, après Jes plantas, les arbres .- mimosas en
fleur sapoudrés d’or ; eucalyptus à l’éeorce lisse, aux
senteurs saines, plus touffus que le saule, mais, ainsi
que lui, déchevolés, éplorés dans le vent; et puis les
arbres d’essences communes, niais si caractéris-
tiques : amandiers verts, oliviers argentés, figuiers,
tamaris, orangers en enfilades,vrais arbres-joujoux,
ronds, coquets, s’allumant des mille points d’or de
leurs fruits.
Magnifiquement jeté sous toutes ces plantes, un
tapis eje fleurs s’étendait, immense sachet naturel
aux mille parfums : larges violettes, anémones
pt incelantes, — véritables étoiles de terres,—jaein-
j4f,3S, renoncules multicolores rappelant les rosettes
panachées des diplomates; puis, les roses aux mille
espèces différentes, rouges, blanches, jaunes, jaune
pâle, jaune safran, jaune nankin, rehaussées de
carmin aux pointes ;'les roses, produits merveilleux
de la Côte,fleurs de saison,qui, tant que dure l’hiver,
s’en vont par masses s’effeuiller dans l’étouffement
de quelque salon de Paris ou de Londres, et le prin-
temps venu, méprisées enfin, peuvent s’épanouir en
paix sous leur ciel natal et mourir sur place, cares-
sées par les brises amies, brûlées par le soleil qui les
fit éclore.
— Êst-ce assez amusffnü s’écria Pierre à chaque
pas, manifestant son admiration en stylo d’atolicr.
Quelle palette!... Quelle lumière!... Et dire que
personne 11’a pu prendrç ça encore !... Des imbéciles,
nos paysagistes ! Fontainebleau ou Bougival; Trou-
ville où Etretat, et c’est fini 1 Ne les sortez pas de là !
Ils ne comprendraient plus ! Toujours le même coin
de rivière, la même mare aux canards, la môme
falaise trouée... Tandis que ça !... Difficile, parbleu !
Ecrasant, tout ce qu’on voudra...Mais impossible!...
Ah ! si je faisais du paysage, moi 1
— Pourquoi n’en ferais-tu pas ! dit vivement la
Madone. Je suis sûre que tu réussirais !
D’instinct, elle avait compris combien l’idée de
l’artiste, mise à Exécution, pouvait être favorable à
la durée,de son amour pour elle. Ce travail nouveau
l’occuperait, le passionnerait, l’empêcherait de
revoir le passé et d’entrevoir l’avenir, deux causes
de trouble constantes dans des liaisons comme la
leur. Vivement, à mots pressés, elle se mit à l’en-
courager :
- Songe donc! Quel succès ! Un genre à toi, bien
à toi. Tu signerais d’un faux nom, tu expédierais les
toiles à un marchand, qui, prévenu, te garderait le
secret. Vois-tu d’ici les petits camarades? Un
nouveau venu ! Un talent inconnu, énigmatique !
Qui ça peut-il bien être ? Et l’on chercherait, et l’on
ne trouverai t pas. Ririons-nous assez tous deux !
—Oui...Oui..;disaïtPierre séduit, maisje m’emballe
peut-être trop. Arriverai-je jamais à quelque chose,
avec cette nature bizarre, éclatante, aveuglante,un
décor de féerie, enfin !
— Une féerie!... Eh bien, c’est moi, qui jouerai la
fée... Et voici le talisman !
Légère, mutine, elle fit un saut hórs de l’allée et
disparut derrière un mur de palmiers. Une seconde
après, écartant brusquement lés feuilles, elle repa-
rut, comme sortant (l’un truc, toute blanche dans
le vert, tendant une'rose au jeune homme avec le
geste et le sourire stéréotypés dés figurantes de
théâtre.
Féral ne put. s’empêcher de rire. Entrant lui-
même dans son rôle de Prince Charmant, il mit
un genou en terre, la main gauche sur son cœur,
et, de la main droite, il prit la fleur et la porta à ses
lèvres.
Dans ce baiser il mettait tout sa vie.
XVIII
— Eh bien, moi! je t’affirme qu’il reviendra! Une
toquade d’artiste, pas autre chose ! Un coup de folie,
quoi! Mais t’oublier, t’abandonner pour toujours?
Je parie qu’il en a déjà plein le dos, de sa gueuse ! Je
le lui avais bien dit! Dangereuse, la coquine / past!
Un vieux! Est-ce que ça s’écoute? Mais va, mignonne,
console-toi ! Je connais Pierre. Un'gfahd bèta, mais
un bon cœur. Et le cœur, vois-tu bien, ça sauve
tout. Pas vrai, Valérie?
Furieux, la moustache hérissée, les mains dans les
poches, Pijassou marchait avec agitation de long en
large, dans son atelier. Depuis le départ de Pierre,
il ne décolérait pas. Et encore, d.evant Jeanne, s’ei-
fôrçait-il de se contenir, pour ne pas enlever tout
courage à la jeune femme ; niais, quand il était seul
avec Valérie,il qe cessait de tonner contreson ancien
élève, contre celui qu’il avait eu la naïveté d’aimer
à l’égal d’un fils. Un joli coco , en vérité ! Un gre-
din, digne des galères... au moins 1 Et l’autre, cette
péronnelle, cette Italienne de malheur ! Il faisait
appel, pour la foudroyer, à tout l’arsenal des épi-
thètes anciennes et modernes, romantiques et na-
turalistes courant le monde des peintres depuis
quarante ans. Dieu sait quelle kyrielle... et quelle
saveur! La pudique Valérie s’en bouchait parfois
les oreilles.
Assise dans un coin de l’atelier, entre la brave
femme et Yvonne, Jeanne, les yeux vagues, rouges
des làrmes versées, ne répondait que d’un signe de
tête aux encouragements de son vieil ami. Elle était
bien changée, la pauvre petite, pâle, amaigrie, vi-
brant douloureusement à la moindre parole, au plus
léger bruit. D’abord, elle avait cru devenir folle;
ensuite, sérieusement, elle avait songé à mourir.-
Seule, sa tendresse pour sa fille l’avait retenue. De-
quis quelques jours elle était plus calme, matée par
la souffrance.’
Mais, en dépit de ses efforts, elle ne pouvait chas-
ser le souvenir de l’affreuse soirée où s’etait brisée sa
vie. Elle revoyait tout, son attente prolongée rue
d’Assas, son départ inquiet, son arrivée de Villiers,
l’étonnement des domestiques en l’apercevant seule,
sa course fiévreuse à travers la maison vide, enfin,
dans l’atelier encore en désordre, la lettre de Ferai,
'les quelques'mots secs, cruels, qui dansaient devant
ses yeux, qu’elle avait dû relire plusieurs fois avant
d’en saisir le sens... Alors la porte s’était ouverte...’
un homme était entré, très pâle... Vitalis ! Plus de
doute possible... La Ma lone ! C’était avec la Ma-
done ! Il l’avait interrogée ; elle avait nié énergi-
quement, sentant bien que si cet homme le retrou-
vait, c’en était lait de Pierre. Mais son trouble
l’avait trahie, elle perdait connaissance et ne se ré-
veillait que longtemps après, entre les petits bras
d’Yvonne, Pijassou et Valérie à son chevet.
A peine remise, elle avait voulu quitter l’hôtel de
'avenue de Villiers, pour n’y rentrer jamais. Il lui
faisait horreur. Bien qu’elle s’y refusât d’abord, par
discrétion, elle avait dû accepter l’hospitalité rue
d’Assas. On s’était serré quelque peu, mais bah ! 011
tenait quand même, et, si près, les cœurs ne se ré-
chauffaient que mieux.
Dans les premiers temps, Yvonne s’ôtait étonnée
de l’absence de son père. Elle pleurait. Elle préten-
dait qü’il était mort, qu’on le lui cachait.
— Tu serais en noir, si c’était vrai ! lui répondit
Jeanne un jour.
— Alors, s'il n’est pas mort, il va revenir ?
La pauvre femme s’était détournée pour cacher
ses larmes. L’enfant avait senti qu’il y avait là
quelque chose de terrible, d’impossible à comprendre;
et depuis, dès que le 110m de « papa « arrivait in-
considérément à ses lèvres, elle s’arrêtait tout
court après la première syllabe, les yeux sup-
pliants comme pour demander à sa mère de ne pas
pleurer.
Et toujours pas de nouvelles ! Elle avait fait tout
au monde pour en avoir, mais vainement. Rien qui
pût la renseigner sur la direction prise par ’es fugi-
tifs. Où était Pierre ?... en France encore?...à l’étran-
ger?... Où enfin ?... C’était à se casser la tête contre
le mur, de désespoir.
Dût-il même ne pas revenir, elle aurait voulu,
savoir où il vivait, le suivre par la pensée. Il lui eût
semblé moins loin. Elle l’aimait toujours, et toujours
autant. 11 l’avait blessée jusqu’au fond de l’ànie.
Mais elle était une simple enfant; du peuple, sans
morgue, sans complications de sentiments. Qu’il
revienne seulement, qu’il cesse d’aimer cette femme,
et elle lui tendra les bras, elle lui pardonnera, elle
sera sa Jeanne d’autrefois, aussi dévouée, aussi
aimante..
, Depuis le jour terrible, on ne savait ce que Vitalis
était devenu. Il avait quitté Paris le lendemain
même. Une lettre à son homme d’affaires disait qu’il
ne reviendrait plus avenue de Villiers, qu’on eût à
mettre aussitôt l’hôtel en- vente, pour desintéresser
les créanciers, en partie du moins, car les créan-
ces ne pourraient j aiiiais être couvertes. Sans doute, .
il s’était lancé à la recherche de son ennemi mortel,
il voulait les tuer, le tuer tous deux peut-être. Sa
nature violente et dissimulée était capable de tout.
Mais, pour se guider dans cette poursuite, avait-il
quelque indice ? Ou bien était-il parti follement, à
l’aventure, comptant sur un hasard invraisemblable
qui les lui fit découvrir ?
Chaque jour Jeanne craignait d’apprendre la nou-
velle d’une rencontre entre les deux hommes, dont
l’issue aurait été fatale pour Pierre. Elle vivait
clans des transes perpétuelles qui la minaient, la
rendaient de plus en plus fiable, nerveuse, anémiée.
Dans le monde des peintres, l’émotion avait été
vive. Pendant huit jours la fugue de la Madone
et le Salon furent la seule conversation des ate-
liers. On s’accordait à blâmer la conduite de Pierre,
à plaindre Jeanne. Une si bonne petite femme ! Un
amour d’enfant ! Quelle infamie d’abandonner tout
cela ! Si peu sympathique qu’il fût, 011 était pris
de pitié pour Vitalis. O11 ne songeait pas à rire
de son infortune. Il l’aimait sincèrement après tout,
cette Madone ! Il s’était ruiné pour elle. Aussi,
était-ce sur elle qu’on s’acharnait. Les femmes sur-
tout ne lui pardonnaient pas sa beauté et son extra-
vagance.
O11 savait maintenant qui elle était. Buriiettj
qu’aucun scrupule ne retenait plus, racontait à qui
voulait l’entendre l’histoire de la comtesse Luciano.
Le récit volait de bouche en bouche, s’allongeait, se
grossissait. Gemma devenait peu à peu un spécimen
accompli d’aventurière. Son type idéal et chaste la
rendait encore plus hypocrite, plus étrangement
perverse. Les hommes riaient' entre eux et se pous-
saient le coude en parlant de ses anciennes fiasques
en Italie.
Quant au monde parisien, qui l’avait accueillie à
bras ouverts, il se voilait la face, dignement, tout
penaud de s’être trompé, et les brebis plus ou moins
immaculées se serraient les unes contre les autres
pour cacher bien vite le trou béant lais:é par la bre-
bis galeuse.
. XIX
Pour la centième fois le Patron recommençait sa •
promenade de long en large dans râtelier, s’arrêtant
près du vitrage, y tambourinant un air du bout des
ongles et regardant, au dehors, les toits humides
des giboulées d’avril.
Un coup de sonnette retentit. Jeanne ne put s’em-
pêcher de tressaillir. Une mauvaise nouvelle peut-
être. Les visites étaient rares rue d’Assas. C’était si
loin du parc Monceau! Et, en un mois, les sym-
pathies avaient eu le temps de se refroidir.
— .levais voir ce que c’est, fit Pijassou.
U11 double ah ! joyeux retentit, et Burnett entrait'
dans l’atelier, gilet blanc,chapeau gris, gants rouges,
toujours le même, brave homme et affectueux,
il n’avait cessé de se montrer tel depuis l’abandon
de Jeanne. Son premier mouvement, en apprenant
la nouvelle, fut une rage viblehte contre Gemma.
Il 11’y avait pas à dire : il était joué. Pendant toute
la soirée delà crémaillère, elle s’était amusée de lui,
comme une chatte s’amuse d’une souris. Imbécile !
Il n’avait; rien vu, rien compris ! Elle lui avait volé
son peintre, à son nez, à sa barbe !... C’était bien
lapeinededescendre de tous les Bas-de-Cuir et autres
Trappeurs de l’Arkansas pour se laisser berner
comme un écolier par la prémière femme venue !
Ah ! la coquine !
lien voulait profondément à Féral de la lâcheté
qu’il avait commise, ’niais îlVen voulait encore plus;
à lui-même de ne l’avoir pas empêchée. Peut-être;
Luirai t-il pu,en disant franchementà l’artiste ce qu’é-
tait Gemma. A cette révélation, sa passion eût sans
doute reçu un coup mortel, et alors.... Mais non !
Il avait obéi à des scrupules exagérés ! 11 s'était
montré gentleman vis-à-vis de cel te drólesse ! IVuu
mot, il pouvait la perdre, et il ne l’avait pas voulu,
par délicatesse, par bêtise! Sa bonté naturelle, sa
sympathie pour Jeanne, lui faisaient tout exagérer.
Très sincèrement, il se croyait en grande partie cou-
pable du malheur arrivé.
Aussi, à force d’attention, de tendresse quasi-
paternelle, s’eflbrçai t-il de réparer le mal qu’il pen-
sait avoir fait. Presque tous les jours, un élégant
coupé s’arrêtait devant la nutisôn de la rued’Assas et
l’Américain én descendait, portant quelque paquet,
un livre pour distraire la niera, un jouet pour l’en-
fant. Son âge interdisait toute supposition malveil-
lante. En même temps que de ses attentions pour
l'abandonnée, on lui savait gré, dans le quartier,,
desa bonne figure réjouie, de sa jolie voiture, de
son cocher anglais, de son cheval noir, piaffant au
départ, que les petits marchands et les commères,
avides de distractions, détaillaient et admiraient,
les poings sur les hanches, à l’entrée de leur
boutique.
— Monsieur Burnett ! dit Jeanne, en apercevant
l’Américain.
Et elle ajouta vivémént ;
— Rien de nouveau?
— Rien,fit le brave hommeen lui prennntla main
eten s’asseyant devant elle, dans un fauteuil avancé»
par Valérie, empressée.
— Tiens ! voilà (pour toi. petite!
Il tendit à Yvonne une boite dont l’enfant tira,
avec des cris de joie, une magnifique poupée.
— Etes-vous bon! dit Jeanne, touchée.
À continuer) |