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Fig. III. Etat actuel.
II
SAINT-SÉVERIN-EN-CONDROZ
Fig. IV. — En 1851.
L’église du prieuré de Saint-Nicolas-en-Glain, très petite,
se compose d’une seule nef et d’une abside semi-circulaire.
Son principal intérêt consistait dans la décoration extérieure
de cette abside, où se voyait une combinaison caractéristique
de l’architecture rhénane de l’époque : une galerie formée
d’une suite d’arcades à plein cintre retombant sur des colon-
nettes à bases attiques et à chapiteaux ornés de palmettes.
Or, toute cette galerie supérieure a disparu ; les murs de
l’abside, comme ceux de la nef, ont été arasés au-dessous du
cordon sur lequel reposaient les colonnettes ; de toute l’ordon-
nance primitive, on ne voit plus aujourd’hui que les arcatures
aveugles coupant la nudité de la partie inférieure des murs :
une de chaque côté de la nef, sept autour de l’abside.
Les fenêtres cintrées, qui étaient percées dans les arcatures
latérales de la nef et dans trois de celles de l’abside, ont été
en partie murées, pour empêcher la pénétration de la pluie
dans l’édifice, converti d’abord en magasin à marchandises,
puis, comme nous l’avons déjà dit, en grange et dépôt de
matériel agricole.
A l’intérieur comme à l’extérieur, il n’y a plus traces de
moulures ; les arêtes des angles sont écornées ; il n’est pres-
que pas une pierre des parements qui ne soit vermoulue;
enfin les murailles, lézardées, ne paraissent pas de force à
supporter le rétablissement de leur partie supérieure disparue
et de la charpente ; le tout n’est plus qu’une masse informe
dont tout intérêt artistique a disparu (fig. II) (1). On ne
pourrait, si on voulait maintenir le monument, que le raser
complètement et le reconstruire de toutes pièces.
Un pareil travail ne présenterait ni valeur archéologique,
— puisqu’on aurait une construction entièrement neuve, —
ni utilité, car, nous l’avons dit plus haut, une église très
suffisante pour les besoins du culte a été élevée à peu de dis-
tance de la chapelle désaffectée.
Nous voilà loin de la restauration facile, très convenable
et peu coûteuse dont parlait le journal auquel nous avons fait
allusion au commencement de cette notice.
Quoiqu’il nous soit pénible de voir disparaître un édifice
qui eut naguère une grande valeur archéologique, nous ne
pouvons souhaiter aucune mesure pour sa conservation.
Une autre occasion se présente actuellement d’employer
utilement les fonds dont dispose l’administration des Beaux-
Arts pour les travaux de l’espèce.
Non loin de Liège encore, à Saint-Séverin-en-Condroz,
existe une église romane antérieure à celle de Saint-Nicolas-
en-Glain ; la tradition la fait remonter à l’an 1000 (2).
Sa situation fait malheureusement quelle n’est guère con-
nue que de quelques archéologues.
Cette église, qui sert toujours à l’exercice du culte, forme
un ensemble du plus haut intérêt (v. fig. III) (3).
Les trois absides, le transept et la tour ont été restaurés, et
une sacristie construite, il y a une dizaine d’années.
Il faudrait aujourd’hui s’occuper du vaisseau, dont les
murailles présentent d’inquiétantes lézardes ; isoler l’église,
en démolissant le presbytère et certains bâtiments, d’ailleurs
en ruines, de l’ancienne abbaye des religieux de Cluny, qui
en masquent toute une face latérale et une partie de la
façade ; reconstituer les roses qui se trouvaient au-dessus de
l’abside principale et probablement au-dessus du portail (la
(1) Croquis d’après une photographie prise par l’auteur au mois de
juillet dernier.
(2) Voy. le Bull, des Comm. roy. d’art et d’archéol., t. I (1862), p. 291, et
la notice concernant les fonts baptismaux de cette église, t. XXXI (1892)
P 1 2 37
(3) La fig. IV est executée d après un dessin de M. le vicaire Schoofs,
daté de 851 ; la fig. III, d'après une photographie prise par l’auteur au
mois de juillet dernier.
première a été, nous ne savons trop pourquoi, remplacée par
une fenêtre à plein cintre : l’autre, si elle a existé, doit avoir
été supprimée à une époque déjà ancienne) ; renouveler la
charpente, qui paraît être la primitive, mais dont l’état de
vétusté est de nature à donner de sérieuses appréhensions ;
enlever les épaisses couches de badigeon qui défigurent les
détails architectoniques de l’intérieur; reconstruire, enfin, les
voûtes des bas-côtés et celle de la grande nef, auxquelles on a
substitué des plafonds plats ; ce dernier point est toutefois
sujet à controverse.
L’intérieur du monument est remarquable ; les trois sup-
ports sur lesquels s’appuient les retombées intermédiaires
des quatre arcades qui séparent la grande nef des bas-côtés,
sont tous de forme différente : le premier, près de l’entrée, est
une colonne isolée ; celui du centre, un gros pilier à section
carrée, sur chaque face duquel est accolé un pilastre peu sail-
lant; le troisième, enfin, est un faisceau de quatre colonnes
disposées sur un plan en losange, c’est-à-dire que les diago-
nales en sont l’une perpendiculaire, l’autre parallèle à l’axe
de la grande nef.
Vers l’intérieur de celle-ci, au-dessus des supports intermé-
diaires des arcades, se dessine une niche rectangulaire élevée
et peu profonde, dans laquelle sont placées deux colonettes
torses. Cette décoration est d’un effet extrêmement original.
Un astragale termine le fût des colonnes et porte un cha-
piteau formé d’une corbeille cubique reliée, par une gorge
peu accentuée, à un tailloir uni. Les édifices romans anglais
et rhénans renferment de nombreux exemples de chapiteaux
de cette forme.
A l’extérieur, les murs des nefs latérales sont décorés de
grandes arcades simulées, encadrant, à l’exception de celles
des extrémités, des fenêtres à plein cintre ; la portion des
murs de la grande nef qui dépasse la toiture des bas-côtés est
répartie, par deux pilastres d’angles et deux intermédiaires,
en trois panneaux dont l’arête supérieure figure une suite de
dix arcatures; celles-ci retombent, deux par deux, sur de
petites colonnes peu ornées ; plus haut, des corbeaux sail-
lants supportent les combles.
Nous n’avons pas l’intention de nous étendre davantage
sur cet intéressant édifice ; un archéologue distingué en pré-
pare une monographie et nous ne voulons en aucune façon
empiéter sur ce travail. D’autre part, un architecte de talent
s’occupe d’élaborer un projet de restauration complète qui
sera bientôt soumis aux autorités compétentes.
L’étude de l’archéologie a fait un immense pas depuis
quelques années ; de nombreux documents, — que l’on n’avait
pas découverts, ou bien auxquels on ne s’intéressait point, —
permettent de faire, non plus des modifications plus ou
moins fantaisistes décorées du nom de restaurations, mais des
reconstitutions scrupuleuses des parties détruites de nos
anciens monuments. Enfin, grâce à un crédit inscrit depuis
peu d’années au budget des Beaux-Arts, on a pu déjà entre-
prendre d’importants travaux qui rendrontànos belles églises,
souvenirs inestimables des siècles écoulés, leur primitive
splendeur architecturale.
Il est donc permis d’espérer que l’église de Saint-Séverin-
en-Condroz n’aura pas été signalée en vain à l’attention des
autorités desquelles dépend actuellement la conservation des
édifices monumentaux consacrés à l’exercice des cultes.
Août 1892.
Henry Rousseau,
Secrétaire du Comité Directeur du « Bulletin des Commissions
royales d’Art et d'Archéologie ».
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L’ÉMULATION.
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