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CONSEIL DE PERFECTIONNEMENT
DE
L'ENSEIGNEMENT DES ARTS DU DESSIN
RÉPONSE AUX QUESTIONS POSÉES
PAR M. LE MINISTRE DE L’AGRICULTURE, DE L’iNDUSTRIE
ET DES TRAVAUX PUBLICS
(ADMINISTRATION DES BEAUX-ARTS, SCIENCES ET LETTRES)
Reproduction ordonnée par le Conseil
(Suite et fin.) — Voir col. 67, 86 et 103
CINQUIÈME QUESTION
Comment devrait être organisé, en vue des mêmes besoins, l'enseigne-
ment professionnel ?
n des problèmes sociaux dont la solution
s’impose le plus impérieusement, mais dont
l’étude est hérissée de difficultés sans nom-
bre, en raison d’une excessive complexité,
c’est la création d’un bon enseignement pro-
fessionnel.
Si en Allemagne, en Angleterre, en France, il est permis
de constater de grands progrès industriels, ceux-ci doivent
être attribués à la bonne organisation, dans ces pays, de cette
partie de l’enseignement. L’Allemagne, notamment, ne néglige
rien à cet effet. Il n’y est pas une branche de l’industrie, si
humble qu’elle soit, qui n’ait ses écoles professionnelles spé-
ciales, dûment protégées en haut lieu ; ces encouragements
se sont manifestés une fois de plus, lors d’une tentative pour
propager chez la femme, la confection à domicile des objets
de vannerie.
Nous devons à l’honneur de notre pays de dire que s’il ne
tient pas le premier rang, parmi les nations dotées d’un
enseignement professionnel, il possède du moins beaucoup
d’écoles de ce genre, pourvues d’un personnel dévoué et tout
aussi à la hauteur de sa mission que les éminents fonction-
naires eux-mêmes, préposés par l’Etat à la direction spéciale
de cette branche importante de l’instruction publique.
Il y a plus de cinquante-cinq ans que la question de l’en-
seignement professionnel est venue à l’ordre du jour en Bel-
gique. Dès i835, le gouverneur de la Flandre orientale, ému
de la situation pénible dans laquelle végétait une notable
partie de la population de sa province, émettait une circu-
laire invitant les administrations communales à la création
d’écoles-ateliers. Depuis, beaucoup d’hommes de talent ont
fait de la question une étude spéciale, et leurs travaux rencon-
trèrent, non seulement dans les hautes sphères politiques et
gouvernementales, mais dans toute la partie éclairée de la
population, un accueil assez favorable pour décider nombre
de chefs d’industries importantes et même de particuliers à
s’occuper activement de l’organisation des écoles profession-
nelles, en vue du développement et du perfectionnement de
notre industrie ; plus tard ce mouvement s’est de nouveau et
surtout manifesté à la suite des expositions de Bruxelles en
1874 et d’Anvers en i885. Enfin, en 1886, le gouvernement
provincial du Brabant institua un prix d’une valeur de mille
francs, pour le meilleur mémoire sur la création des écoles
professionnelles.
Le concours donna des résultats très remarquables. Le prix
fut décerné ex-œquo au mémoire de M. Bouvy, docteur en
droit, à Liège, et à celui de feu Henri Evrard, artiste-
peintre et professeur à Bruxelles.
L’un et l’autre travail renferment des idées originales, des
vues justes et élevées, des conceptions simples et pratiques,
qui dénotent une entente parfaite de la question dans toute
son importance. Aussi nous nous sommes fait un devoir de
signaler ces travaux à l’attention de qui de droit, pour que, le
cas échéant, ils soient étudiés à fond. Citons, à ce propos, le
passage suivant du mémoire de M. Bouvy :
« Devant tous les vœux des économistes et des hommes
« d’Etat, qui se sont occupés de cette question de l’enseigne-
« ment professionnel, devant les essais officiels et industriels
« qui ont été tentés, devant cette affirmation universelle,
« continue, publique, et la nécessité de cet enseignement, on
« s’étonnera qu’il se soit si peu développé et que ses créations
« soient si spéciales et si peu nombreuses. »
L’explication de ce fait, dit M. Bouvy, gît dans les difficul-
tés de l’organisation de cet enseignement.
« Autant l’enseignement théorique présente de facilité
« d’établissement, autant l’enseignement technique ou profes-
a sionnel offre de difficultés dans ses applications. »
Nous croyons répondre à la pensée de l’auteur en ajoutant
que ces difficultés tiennent précisément à la complexité du
problème, lequel, pensons-nous, ne pourra être résolu que
lorsqu’on aura renoncé à s’inspirer d’un même principe d’or-
ganisation pour toutes les écoles, à quelque profession
qu’elles se rattachent. En effet, il est peu probable, sinon
établi, que les règles qui doivent présid er à l’institution d’une
école de joaillerie ou d’orfèvrerie puissent être les mêmes
pour une école d’ébénisterie ou de dentellerie par exemple.
A notre avis l’organisation des diverses écoles profession-
nelles doit être d’abord détachée de tout plan général formé à
priori et confiée, pour chaque corps de métier, à des hommes
spécialement compétents, seuls à même de concevoir en réelle
connaissance de cause les moyens utiles et pratiques. Il est
dans l’ordre naturel que la spécialisation précède la générali-
sation. Celle-ci arrivera tout naturellement et ne doit s’ap-
puyer que sur l’ensemble des résultats acquis par les essais
particuliers officiels ou privés et ayant reçu la consécration
toute-puissante de l’expérience. C’est ainsi que lorsqu’il s’agit
de méthode d’enseignement des arts du dessin, nous pouvons
à notre tour, nous croire spécialement compétents pour affir-
mer que beaucoup de modèles en usage dans les académies
et écoles professionnelles ne répondent pas suffisamment aux
besoins des professions manuelles, de même qu’il y a néces-
sité de faire comprendre aux masses quelles sont les causes et
l’utilité de cette sorte de dualisme artistique et pratique, dans
les industries.
Le regretté Henri Evrard disait dans son mémoire cité
plus haut : « Les académies, les écoles du soir de dessin et
« de modelage ont un enseignement à peu près uniforme et
« très généralement anti-industriel. »
M. le bourgmestre Buls, d’autre part, signalait, en 1884,
au conseil communal de la ville de Bruxelles, la nécessité de
réorganiser l’Académie des Beaux-Arts, et, à cette occasion,
il déposait un rapport auquel nous empruntons le passage
suivant :
« Tout son enseignement (de l’Académie) est uniquement
« organisé en vue de former des sculpteurs, des architectes
« et des peintres.
« Ce résultat, elle l’atteint parfaitement ; il suffit pour s’en
« convaincre de parcourir la liste des artistes distingués sortis
« de ses classes.
« Mais rien ou presque rien n’a été fait en vue des soixante-
« seize métiers, dont nous avons donné l’énumération plus
« haut.
« Quels sont les résultats de cette organisation de notre
« enseignement des Beaux-Arts ?
« D’une part, la décadence de nos industries artistiques ;
« d’autre part, la création d’artistes médiocres, auxquels
« l’exercice de leur art donne à peine des moyens d’existence.»
Le fait est avéré pour nos académies et écoles de dessin
dans tout le pays : elles ont produit d’excellents artistes,
mais, par contre, malheureusement trop peu d’artisans, tels
que nos industries modernes les réclament d’urgence.
Cependant d’heureuses tentatives avaient déjà été faites
dans la voie des arts appliqués, à l’Académie de Bruxelles,
sur l’initiative de M. Portaels, directeur de cet établisse-
ment, mais les règlements et les ressources budgétaires ne
suffisaient point pour donner à ce principe tout le développe-
ment désirable, lorsqu’enfin fut créée l’Ecole des arts décora-
tifs dont actuellement les résultats sont très appréciables
quoique toujours perfectibles.
Quant aux écoles professionnelles, elles feront un pas
immense, le jour où l’on emploiera, à côté des modèles gra-
phiques, que nous croyons indispensables, des modèles réels,
naturels, permettant à l’élève d’étudier la forme et la
technique, à l’aide des descriptions complémentaires dont
nous avons exposé la théorie et la pratique.
Ainsi, pensons-nous, l’enseignement des arts graphiques
et plastiques, dans les Académies et Ecoles professionnelles,
sera en rapport de continuité directe et de gradation avec les
cours de travail manuel, tels qu’ils ont été introduits dans nos
écoles, et que nous considérons comme étant l’introduction,
et, nous le répétons, le prélude des études professionnelles.
sixième question
Quelles mesures y a-t-il lieu de prendre pour assurer le recrutement
professoral, et pour mettre le personnel actuel au courant des pro-
grammes et méthodes adoptés ?
Cette question soulève immédiatement celle si délicate et
si controversée de l’institution du concours pour la collation
des emplois.
C’est particulièrement lorsqu’il s’agit de recrutement du
corps professoral des Académies et Ecoles de dessin, qu’il
est difficile de se prononcer d’une manière absolue.
Généralement, on y rencontre bon nom,bre d’artistes, qui
doivent leur titre à leurs brillants travaux ou à leurs hautes
capacités personnelles. Or, l’obligation de se soumettre à un
examen éloignerait indubitablement beaucoup de candidats
de ce genre, pour ne pas exposer un renom laborieusement
acquis, au résultat toujours hasardeux et aléatoire d’un con-
cours.
D’autre part, il faut convenir que condamner le concours
sans restriction, c’est s’exposer à donner le champ à l’intrigue
et aux influences de camaraderie.
Aussi, afin de prévenir dans la mesure du possible les
inconvénients et les abus que nous venons de signaler, nous
accordons la préférence à un moyen terme, qui n’admet ni ne
repousse d’une façon formelle aucun des deux systèmes en
présence, et permet d’adopter soit l’un, soit l’autre, suivant
les cas et les conditions parfois très spéciales, dans lesquelles
des vacatures et des candidatures peuvent se produire.
Lorsque, dans une académie ou école, il y aurait un
emploi à conférer, le collège chargé de pourvoir à la nomi-
nation des membres du personnel enseignant, porterait offi-
ciellement le fait à la connaissance du public.
AoUt 1893.
No8.
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L’ÉMULATION.
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