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L’ÉMULATION.
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imposé en quelque sorte par l’abolition des octrois, et venant
à point pour arracher à la misère nos fileurs et nos tisserands
sans ouvrage, lors de la guerre de sécession en Amérique (1862).
Tandis qu’à Bruxelles on vit les constructions passer suc-
cessivement d’un style à un autre, et le goût public s’arrêter
d’abord au style Louis XVI, pour remonter ensuite les diverses
périodes de la Renaissance, à Gand il y eut absence totale
de style dans les habitations. Les constructions acquirent peu
à peu une physionomie locale qui ne brillait ni par l’invention,
ni par le caractère, ni par la richesse surtout. Ce que nous
signalons ici tient évidemment à des causes générales, dont la
plus importante se trouve dans la prospérité relative des deux
villes que nous mettons pour le moment en parallèle.
Actuellement nous pouvons heureusement enregistrer une
période d’activité qui s’ouvre, grâce à une administration nou-
velle composée d’éléments jeunes. Une transformation en
plein cœur de la cité, créant une artère importante qui reliera
la station au centre de la ville, est en voie d’exécution.
La Société immobilière belge a entrepris la réalisation de ce
projet qui semble devoir promptement être réalisé.
Indépendamment de ce premier projet, il est sérieusement
question d’une autre combinaison qui permettra d’utiliser les
terrains en bas-fond appartenant à la précédente Compagnie
du gaz, en y créant une importante galerie vitrée dans le genre
de celle de Milan, et sous laquelle on établirait un grand éta-
blissement hydrothérapique. Ce dernier projet est de M. O. Van
Rysselberghe, de Bruxelles, et serait très réalisable, grâce aux
différences de niveau que présentent ces terrains que longe le
haut Escaut.
Si nous ajoutons à ce qui précède les travaux du bassin faits
en complément de l’élargissement du canal allant de Gand à
la mer ; les nombreuses écoles créées récemment ; un projet
d agrandissement de l’hôtel de ville par M. Ch. Van Ryssel-
berghe;, un projet de conservatoire par M. De Vigne; enfin
un magnifique institut des sciences en voie d’exécution, sous
la direction de M. Pauli ; nous voyons que la ville de Gand
entre à son tour dans le mouvement qui a animé successive-
ment Bruxelles, Anvers et Liége.
Enfin, si nous nous rendons compte de l’influence exercée
par ces grands travaux sur les constructions urbaines les plus
récentes, nous voyons également un progrès sensible se mani-
fester dans ces dernières ; par exemple : dans les magasins
traités avec tant de goût et de soins par l’architecte De Leu ;
dans les maisons construites par l’architecte Neyrinck (signa-
lons de ce dernier l’ensemble de bâtiments entourant le café
de la Rotonde, au quartier de l’ancienne citadelle, et qui peu-
vent compter parmi les meilleures œuvres exécutées récemment
à Gand); enfin dans les dernières œuvres de MM. Bureau,
Van Hoecke et autres, qui en maintes occasions nous ont déjà
montré la souplesse et la variété de leur talent.
ANVERS
Tous ceux qui se souviennent encore du vieil Anvers d’il y
a vingt ans, sont étonnés du développement rapide et pour
ainsi dire incroyable de cette ville essentiellement commer-
çante, dont le port est aujourd’hui le plus important du conti-
nent !
La démolition de l’enceinte et des citadelles qui l’étrei-
gnaient, le redressement et l’élargissement des quais, la
construction des nouvelles cales sèches au Nord et des bassins
spacieux au Sud ont donné à la vieille cité flamande un air de
grande ville moderne.
La disparition des quartiers malsains avoisinant le fleuve,
notamment aux environs de l’ancienne citadelle du Sud, a livré
à la spéculation un grand nombre de terrains à bâtir sur les-
quels se sont élevés rapidement des constructions de genre
et de style des plus variés parmi lesquels la renaissance flamande
s’est taillée une large place.
C’est ainsi que le quai Flamand et les rues qui y aboutissent
se sont bordés de maisons de commerce, de cafés, de cabarets
dont les façades, presque toutes en matériaux apparents, bri-
ques et pierre, présentent un ensemble vraiment pitto-
resque.
Parmi ces façades un certain nombre, notamment celles
élevées par l’architecte Delpierre, de Bruxelles, dénotent peu
d’étude et une grande négligence dans l’exécution.
D’autres se font remarquer par la recherche outrée de l’ori-
ginalité qui produit inévitablement une conception bizarre et
irrationnelle, telle est la maison de M. Winders, rue du Péage ;
ou par le mépris hautain et inexpérimenté des principes de
l’architecture comme celle construite avenue du Sud par
M. Ryssens de Lauw, qui, quoique conçue dans des don-
nées plus raisonnables, manque complètement de propor-
tion.
D’autres enfin attirent l’attention par leur simplicité qui
n’exclut pas une originalité de bon goût et par le soin scrupu-
leux apporté à l’étude des détails. Nous citerons parmi ces
dernières : au coin de la rue des Sculpteurs et du quai Fla-
mand, le café avec entrepôt de la bière de Bornhem, par
MM. Blomme frères, façade très simple indiquant bien la des-
tination de chacune de ses parties ; au quai Flamand, deux
maisons avec pignons à gradins très heureusement propor-
tionnés, par M. F. Hompus, et, du même architecte, une mai-
son boutique rue de l’Escaut (I).
De l’autre côté des bassins s’élève, entre l’Escaut et ceux-ci,
une construction bizarre formée de deux sortes de tours
jumelles, aux détails fort rustiques ; c’est le château d’eau
dont M. Dieltjens a dressé les plans; nous la considérons
comme une des œuvres les moins heureuses de cet artiste de
réelle valeur, qui honore la ville d’Anvers.
Dans ce même quartier du Sud, où s’élève le nouveau
Musée, d’après les plans de MM. Van Dyk et Winders,
s’élève le monument de l’affranchissement de l’Escaut, d’une
silhouette tourmentée et bizarre, dont la statuaire et la sculp-
ture, confiées évidemment à des... praticiens inhabiles, lais-
sent énormément à désirer. Il y là, écrivant dans une position
invraisemblable, une espèce de génie, dont les jambes exci-
tent la commisération.
Si nos souvenirs sont exacts, l’exécution de cette œuvre,
pour laquelle on a dépensé 110,000 francs, a été confiée de la
main à la main à M. J.-J. Winders, qui en a été en même temps
l’architecte et... l’entrepreneur.
*
* *
Aux nouveaux quais, dont les murs, la grille et le pavage
sont en grande partie achevés, les constructions sont encore
rares ; les façades sont généralement plâtrées, percées régu-
lièrement de trous rectangulaires encadrés du traditionnel
chambranle en plâtre, orné (?) d’une clef de voûte au beau
milieu de son linteau rectiligne. Si ce sont là des édifices desti-
nés à soutenir la vieille renommée artistique d’Anvers, ils
manquent tout à fait de caractère monumental, et la pauvre
vieille porte de l’Escaut, qu’on a bien fait de conserver, avec
son vieux bonhomme qui a la prétention de symboliser le
fleuve, n’aura point trop à redouter du voisinage.
Pourquoi nos édiles anversois n’ont-ils pas imité ceux de
Bruxelles, en instituant une sorte de concours, en attribuant
des primes aux plus belles constructions des nouveaux quais ?
Ce moyen a puissamment contribué à l’embellissement des
nouveaux boulevards de la capitale ; pourquoi ne l’emploie-
rait-on pas ici ? Il en est temps encore : en présence du déve-
loppement invraisemblable du port, alors qu’on dépense des
sommes considérables pour faire d’Anvers le plus beau port
du monde au point de vue des facilités d’accès, de la perfec-
tion des installations et de l’outillage, l’édilité doit-elle reculer
devant un léger sacrifice (Bruxelles a donné 100,000 francs
de primes) pour empêcher que le caractère trop mercantile,
de nos armateurs, de nos financiers, de nos bâtisseurs étouffe
ce vieux sentiment artistique qui a fait la gloire d’Anvers dans
les siècles passés?
* *
Autour du Parc on a élevé, durant ces dix dernières années,
un grand nombre de maisons et de riches hôtels privés, parmi
lesquels il en est de remarquables à des titres divers ; tels sont :
L’hôtel de M. Huybrechts, construit d’après les plans de
M. Stordiau père, à l’angle des avenues Rubens et Marie-
Henriette, et qui a été en partie incendié il y a deux ans. Cet
hôtel, dont la façade en matériaux apparents : briques jaunes,
noires et pierre bleue, est couronnée de toitures très ornées et
d’un dôme monumental, présente certaines qualités ; nous lui
reprochons la proportion malheureuse de quelques fenêtres,
ayant une même hauteur pour des largeurs différentes, sans
que rien vienne atténuer ce défaut, plus apparent encore dans
la nouvelle construction, de dimensions plus modestes, et
dont nous n’aimons pas les détails trop tourmentés, que le
même architecte y a ajoutés récemment, en respectant les
lignes d’architecture de la première.
(1) L'Emulation a publié récemment quelques-unes de ces construc-
tions. La première : Magasins Brys, dans la XIe année, planches 2, 3
et 4; la seconde, dans la IXe année, planches 46 et 47.
(Note de la Rédaction.) |