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L’ÉMULATION.
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Exposition triennale d’Architecture
IV
SECTION CONTEMPORAINE
a commission de placement a eu une
heureuse idée de réunir dans un salon
d’honneur les œuvres de Poelaert, de
Carpentier et de Neute, récemment
décédés. La destinée mettait ici en présence trois
personnalités éminemment différentes et dignes
d’être étudiées à plusieurs points de vue.
Commençons par le premier, le Gustave Doré de
l’architecture, l’homme dont l’imagination ardente
avait dépassé la Grèce et rêvait aux vastes hypogées
indiennes.
Pour cet homme étrange, la décoration architec-
turale ne traduisait plus un empilement ou un
agencement de matériaux de grandeur moyenne,
mais revêtait le caractère d’une fantaisie taillée en
plein monolithe.
Nous ne connaissons dans le passé qu’un archi-
tecte qui ait eu cette puissance créatrice, c’est
l’Italien Bibiena. Ajoutons immédiatement que ce
dernier ne réalisait les rêves de son imagination
que sur la toile, et que son œuvre comprenait
en majeure partie des décorations théâtrales.
Poelaert, homme de génie, mais architecte in-
complet en raison même de son génie, a trouvé le
moyen d’exécuter ses conceptions en pierre. Mais,
en véritable artiste, il les abandonnait parfois dans
le cours de l’exécution, à peu près comme le
peintre crève la toile qui lui semble rebelle.
En architecture, il faut cependant savoir se limi-
ter et s’en tenir, autant qu’il est possible, dans le
projet arrêté.
Poelaert prenait plutôt sa conception première
comme un simple motif musical, qu’il orchestrait
dans le cours des travaux.
En somme, cet homme sera une des gloires de
notre pays, et en même temps, un exemple néfaste
pour toute une génération d’artistes qui le suivent
immédiatement.
Sa gloire se maintiendra par la place du Con-
grès (sa première manière) (I), et surtout par le
palais de Justice.
Disons ici que tous nos vœux, ainsi que ceux de
la plupart de nos confrères, sont pour le para-
chèvement de ce dernier monument, suivant le
magnifique projet des abords, élaboré par Poelaert
même et qui figurait à notre exposition.
Le plus franc contraste avec Poelaert se trouvait
(I) Voir planches 35 et 36 de cette année.
(Note de la Rédaction.)
1886
ici à ses côtés, réuni à lui par la mort. Je parle de
son confrère Carpentier, de Belœil.
Chez ce dernier, nous constatons le triomphe de
la patience. Son œuvre est un polissage constant
d’une idée première, qui l’amène insensiblement
au style.
Dans le principe, ce ne fut guère qu’un archi-
tecte soigneux, doublé d’un dessinateur soigneux.
Il commença dans un temps où tout était per-
mis et châtia peu à peu les formes employées, pour
se rapprocher enfin des admirables constructions
romanes du Rhin.
Ajoutons encore que son œuvre se prêta admira-
blement à ce progrès constant dans une même direction.
Le nombre d’églises, édifiées par Carpentier du-
rant sa carrière, est réellement étonnant, et ce fut
là le monument auquel il se consacra presque
exclusivement.
Nous voyons donc ici un architecte qui se limite,
qui achève la construction commencée et qui
annote une série d’observations, dont il tiendra
compte dans la construction suivante.
Évidemment, c’est là la marche la plus conve-
nable à tous égards, et, cependant, il est si vrai
que l’avenir ne tient pas toujours compte du pré-
sent, que le nom de Carpentier sera depuis long-
temps oublié quand Poelaert brillera encore, non
comme résumant une période architecturale, pas
même comme chef d’école nouvelle, mais comme
une personnalité s’élevant au-dessus de toute clas-
sification.
Le troisième nom provoque en nous un senti-
ment de tristesse. C’est qu’ici nous nous trouvons
devant une personnalité ébauchée, qui allait con-
quérir sa place quand la mort l’a arrêtée.
Cependant, il y a moyen, grâce aux travaux
exposés par notre regretté Charles Neute, de pré-
sumer dans quel sens le développement se serait
produit.
Ici nous n’aurions pas été en présence d’un déco-
rateur admirable comme Poelaert, d’un praticien
patient et plein de goût comme Carpentier, mais
d’un lutteur qui aurait essayé de marier la science
à l’art dans ses conceptions; qui n’y aurait réussi
qu’en partie peut-être, mais qui aurait, en raison
même de ces efforts, fait plus de bien aux généra-
tions futures que les deux personnalités précé-
dentes, quels que soient leurs mérites.
Non seulement le mouvement architectural perd
en lui un praticien qui aurait payé d’exemple,
mais il perd un organisateur, un homme d’initia-
tive, qui était capable de grouper les forces éparses
autour de lui et de les réunir à ses efforts person-
nels.
Un autre artiste que nous devons mentionner,
et dont les œuvres se trouvent à côté des précé-
dentes, c’est feu l’architecte Schoy, principalement
connu par sa publication sur l’art architectural
pendant le règne de Louis XVI et par la restaura-
tion de l’église du Sablon.
A notre sens, l’esprit de notre regretté confrère
ne fut pas spécialement porté vers l’exécution et se
prêtait surtout aux recherches et aux études du
bibliophile. Aussi mentionnons-nous ici tout par-
culièrement la restauration de l’église du Sablon,
parce qu’une reconstitution de formes primitives
laisse une part plus grande à l’érudition qu’à la
conception.
(A continuer.) J. De Waele.
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