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L’ÉMULATION.
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Nous ne recherchons pas si la société a raison de la com-
prendre ainsi, nous disons que cela est; et commet art archi-
tectural n’a pas pour mission de moraliser la société et de
redresser ses erreurs, mais bien d’être la fidèle expression de
sa physionomie, l’architecte n’a pas à se préoccuper de ce
quelle devait être, mais de ce qu’elle est.
Le développement des sciences ayant considérablement
changé la nature de nos besoins, il s’est produit au sein de
cette société deux courants distincts qui certainement n exis-
taient pas il y a deux siècles : le courant scientifique et le cou-
rant artistique. De là deux vérités, filles d’une même mère, si
vous voulez, mais ayant chacune des caractères différents.
La première de ces vérités a pour caractères spéciaux
l’utile, le nécessaire, l’économie, la forme n’étant qu’une ex-
pression de l’utile ; la seconde emprunte ses caractères propres
aux lois de l’ordre : c’est l’unité, la variété, l’harmonie, la
convenance.
Il nous semble que telles sont exactement les bases des
études de l’ingénieur et de l’architecte.
La solution du problème artistique oblige évidemment ce
dernier à acquérir des. connaissances faisant partie des études
de l’ingénieur, mais ayant avant tout pour but la recherche
de la vérité artistique ; les exigences de la science et de la
rationalité ne doivent pas lui faire perdre de vue son rôle d ar-
tiste et le cantonner dans la sécheresse des solutions mathé-
matiques.
Il est de. toute évidence que l’art s’adresse aux sentiments et
la science à la raison. L’architecture, étant avant tout un art,
doit premièrement obéir aux lois du beau ; elle doit ensuite
être vraie et répondre à nos besoins. Mais il ne faut pas ren-
verser l’ordre de ces principes : placer l’utile au premier rang
pour reléguer le beau au troisième.
C’est cette tendance fâcheuse que nous combattons dans le
discours de M. Wagener.
A l’appui de notre opinion, nous citerons un résumé du dis-
cours de M. W. Bockmann, architecte prussien, membre du
Congrès international"de Paris en 1867, qui critique vivement
les institutions de son pays, institutions qui, d’après M. Wa-
gener, seraient le modèle du genre.
Dans notre pays, dit M. Bockmann, l’art de l’architecte et
celui de l’ingénieur des ponts et chaussées sont enseignés
simultanément ; ils sont réunis ; mais toutefois il annonce
qu’en ce moment même lejgouvernement prussien cherche la
séparation de ces deux arts ; cette séparation est vivement
désirée; en Prusse, ajoute-t-il, tous ceux qui arrivent à deve-
nir architectes, ne le peuvent qu’à, la condition de se débar-
rasser des entraves de ce qu’il appelle le technocratisme. Aussi
la réalisation de la mesure actuellement à l'étude est-elle l’ob-
jet le plus vivement souhaité de tous nos confrères prussiens.
La preuve est donc faite ; le système des doublés (ingénieurs-
architectes) est mauvais; il est condamné, et nous sommes
heureux d’avoir pour (nous l’opinion de nos confrères d’outre-
Rhin, qui ont fait leurs études sous ce régime et qui connais-
sent par conséquent mieux que personne ce qu’il peut avoir
de défectueux.
Mais, nous dira-t-on, puisque vous reconnaissez que l’archi-
tecte a besoin de la science pour donner cours à son imagina-
tion, quelle est donc la dose nécessaire qui lui convient?
Est-elle en définitive une quantité assimilable au globule
homéopathique ?
Nous répondrons très" franchement, sans cependant cher-
cher à nous esquiver, que la question n’est pas là. Nous ne
discuterons pas ici le plus ou moins de science que doit pos-
séder un architecte ; ce qui nous intéresse, c’.est la voie qu’il
importe de faire suivre à nos jeunes confrères. Nous ne com-
battons pas la science, ce serait absurde, mais nous repous-
sons un système d’instruction qui, se basant principalement
sur des études techniques, produirait peut-être d’excellents
constructeurs, mais de bien misérables artistes.
Comme répartition du temps, le programme élaboré par la
Société Centrale d’Architecture de Belgique répond parfaite-
ment à notre desideratum, mais il y ,a loin d’un règlement
des études à l’esprit qui préside à son application. Répandra-
t-on dans l’enseignement les théories de M. Wagener, qui ne
sont en somme que celles de feu Viollet-le-Duc, et qui, pous-
sées à l’extrême, amèneraient la domination de la matière sur
l’idée, ou bien développera-t-on les principes que nous défen-
dons : les études scientifiques dirigées en fonction du rôle que
la science doit remplir en matière d’art?Voilà le point impor-
tant qui doit tenir la première place dans les préoccupations
de ceux qui s’occupent d’enseignement..
Un jour, un élève de rhétorique, depuis philosophe célèbre
par sa méthode émancipative, J. Jacotot, ayant à faire une
composition latine, y fit entrer un vers de sept pieds. Le
professeur releva avec étonnement .cette lourde faute dans une
pièce dont il était d’ailleurs charmé. « Je l’ai fait exprès, dit
l’enfant ; je pouvais rogner mon vers, mais je tronquais mon
idée, et j’aime mieux manquer le prix. » Il l’obtint.
Nous aussi, nous aimons mieux, dans certains cas, man-
quer à la vérité scientifique que de tronquer notre idée et l’as-
sujettir aux dogmes d’une sciencè intolérante. Que les ortho-
doxes nous déchirent, que nous importe ; nous nous conten-
terons de leur rappeler que Pascal, leur maître, disait de ceux
qui netaient que géomètres, qu’ils étaient devenus fermés et
insensibles à tout ce qui n’était pas susceptible de recevoir
une solution mathématique.
Nous n’avons rien de commun avec ces gens-là.
Nous dirons à nos élèves et nous l’inscrirons, si l’on veut, en
lettres d’or au fronton de la nouvelle école : L'art est rationnel,
mais ne l’oubliez pas, l’architecture est le grand livre de la
tradition; c’est de la philosophie exprimée en pierre, en fer,
en marbre; soyez de votre époque, laissez à la place où les
circonstances les ont fait naître les formes esthétiques qui ne
sont en harmonie ni avec notre civilisation, ni avec notre cli-
mat, mais appliquez-vous à produire des œuvres caractéris-
tiques affranchies de toute préoccupation d’école, soumises
à la logique et au raisonnement au même titre que doit letre
toute pensée humaine.
P. Stevens.
L’Académie et la nouvelle École des Arts décoratifs
de Bruxelles
es nominations et des mutations assez nom-
breuses viennent d’être d’être faites dans le per-
sonnel de l’Académie des Beaux-Arts et de la
nouvelle Ecole des Arts décoratifs ; ce person-
nel se composera comme suit pour les classes d'architecture :
MM. F. Portaels, directeur de l’Académie et de l’École des
Arts décoratifs, chargé des cours de peinture d’après
nature et de composition historique.
J. Baes, architecte, sous-directeur de l’École des Arts
décoratifs, chargé du cours de composition d’archi-
tecture décorative (ire classe) à cette école et du
cours de composition d’ornement.
A. Heine, secrétaire-administrateur.
Laureys, architecte, chargé du cours de composition
monumentale (cours du jour).
Pavot, ' architecte, chargé des cours d’application des
ordres et de restauration d’édifices (cours du jour).
Naert, architecte, chargé des cours d’architecture déco-
rative (2e classe) et d’emploi des matériaux.
Acker, architecte, chargé du cours d'ensemble des
ordres d’architecture.
* Wageneer, architecte, chargé du cours de détails des
ordres d’architecture.
* Maukels, architecte, chargé des cours d’hygiène et de
jurisprudence du bâtiment.
* Vandevin, ingénieur, chargé du cours de géométrie
descriptive et de coupe de pierres.
Van Mierlo, ingénieur, chargé du cours de construc-
tion avec visites aux chantiers, ateliers et manufac-
tures.
Van Hammée, artiste peintre, bibliothécaire.
D’Hondt et Schepens, aides-bibliothécaires.
Les noms des nouveaux élus sont marqués d’un astérique,
les autres appartiennent depuis plus ou moins longtemps au
personnel de l’Académie.
Quel que puisse être le mérite des nouveaux titulaires et
de ceux appelés à de nouvelles fonctions, mérite qu’il ne
nous convient pas de discuter en ce moment, nous ne pou-
vons nous empêcher d’exprimer nos regrets de ce que l’auto-
rité communale n’ait pas cru devoir consulter le Conseil
académique et faire un appel public aux candidats. La devise
des autorités devrait être : Au plus digne, au plus capable, dans
ces circonstances comme dans beaucoup d’autres. Peut-être
même ces places auraient-elles dû être mises au concours,
ainsi que cela s’était fait pour la dernière nomination, celle
de professeur des principes d’ornement. Cette question de la
mise au concours des places de professeur de nos académies
mérite qu’on s’y arrête, le concours étant, dans tous les cas,
le plus juste moyen de répartition des emplois publics.
Nous nous proposons de l’examiner quelque jour. |