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L’ ÉMULATION.
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nouveau projet. Par décision du 24 juillet i885, M.le Ministre
accordait le terrain nécessaire à l’agrandissement, mais comme
la façade du projet de M. Pleiffer nétait pas de son goût,
les commissaires prièrent MM. Schil et Haverkamp, architec-
tes à Amsterdam, de faire une nouvelle étude de la façade.
Jusqu’ici tout semblait marcher à souhait; cependant on
n'était pas à bout de peines et d’autres complications allaient
bientôt surgir. Les commissaires ne surent faire un choix dans
les différents projets qui leur étaient soumis et eurent recours
aux lumières de MM. Van Dam, de Rotterdam, Sanders,
d’Amsterdam, et Metzelaer, de la Haye.
La conclusion de leur délibération fut l’ouverture d’un con-
cours restreint ; la prime échut au n° 7 ; parmi les 11 projets
envoyés et à l’ouverture des plis cachetés le jury constata avec
stupéfaction qu’il avait couronné le projet de M. Pleiffer! A
peine ce résultat fut-il connu, que de toutes parts de nouvelles
difficultés surgirent. Le jury lui-même, dans son rapport, fai-
sait des réserves. Il déclarait, entre autres, que le projet man-
quait d’unité, que certains détails étaient peu distingués et
qu’il y avait désaccord entre les hauteurs de la vérandah et
de l’étage. Il terminait en concluant que le projet, tout en
étant le meilleur du. concours, ne pouvait être recommandé
pour l’exécution sans subir des modifications importantes.
Le 27 juillet, le Ministre des Finances faisait connaître aux
intéressés que l’administration des domàines ne pouvait prêter
son concours à l’exécution d’une construction qui, de l’avis du
jury, ne pouvait être considérée comme un embellissement.
« De Opmerker » remercie les commissaires d’avoir fourni
ces renseignements et demande la publication du rapport du
jury, afin de permettre au public de s’édifier, de juger en con
naissance de cause. C’est vraiment édifiant, en effet !
Revue de l’Architecture en Belgique
(Voir col. 54, 76, 86, 105, 136)
BRUXELLES
I
orsqu’en 1868, malgré la clameur publique qui
désapprouvait son projet, malgré la formidable
coalition d'intérêts lésés (?) qu’il avait soulevée,
le bourgmestre Anspach commença le voûte-
ment de .la Senne et le percement des boulevards du
Centre, il faisait de Bruxelles, qui n’avait jamais eu jusque-là
qu’urt aspect de petite ville, une vraie capitale, en même temps
qu’il ouvrait un vaste champ à l’industrie du bâtiment et aux-
architectes.
C’est, en effet, de cette époque que commence pour l’art
architectural cette période prospère de progrès constants.
En i5 années, les nouveaux boulevards, longs de plus de
4 kilomètres, furent bordés de maisons, d’hôtels, de magasins,
dans les façades desquels les architectes firent assaut d’imagi-
nation, de science et de goût. Ils n’y réussirent pas tous ;
cependant, à des degrés différents, un grand nombre de ces
façades présentent quelque mérite.
Un concours, ouvert par l’administration communale, pour
les façades les plus remarquables, vint encore augmenter l’ar-
deur de la lutte, et l’on vit surgir les maisons du Chat, Ver-
bockhaven, Schultes, place De Brouckère; les maisons Haech,
Sesino et Café de la Bourse, boulevard Anspach, auxquelles
furent attribuées les primes de ce concours. Nous les avons
publiées dans les IIe, IIIe et IVe années de notre Revue; .
nous leur avons consacré alors quelques articles disant leurs
mérites et leurs défauts, ce qui nous dispense, croyons-nous,
d’en faire ici une nouvelle critique; nous approuvions, à
quelques exceptions près, les décisions du jury concernant la
distribution des primes, dont la totalité s’élevait à 100,000 fr.
A ce propos, qu’on nous permette de faire observer en pas-
sant que ce sont les propriétaires, et non les architectes, qui
seuls en bénéficièrent. Or, si l’on peut prétendre que c’est
grâce à l’argent mis par les premiers à la disposition des
seconds que ceux-ci ont pu créer des œuvres dignes d’être
primées, il est plus vrai encore que c’est à ces œuvres qu’ils
doivent cette bonne aubaine ; il y avait là une question déli-
cate de partage que la plupart ont feint de ne pas entrevoir,
et... fermons le parenthèse.
En parcourant cette riche artère, dont la création semblait
être le rêve ambitieux d’un homme auquel chacun se plaît
aujourd’hui à rendre un légitime hommage, on ne peut se
refuser à reconnaître qu’en Belgique, comme en France, en
Angleterre et en Allemagne, l’architecture s’est engagée depuis
une vingtaine d’années, au milieu de nombreux essais hési-
tants et timides, dans une voie de progrès, d’études, de
recherches, qui la conduira certainement, les réformes récen-
tes de son enseignement y aidant, à cette rénovation, réclamée
avec tant d’insistance par tout le monde, notamment par
certains critiques d’art de la presse quotidienne, qui deman-
dent impatiemment, qui exigent presque que nous inventions
un style !
Inventer, enfanter un style! Mais, Messieurs, cela ne s’est
jamais vu. L’art architectural — vous ne l’ignorez certaine-
ment pas — .a subi, dans sa marche à travers les âges de
l’histoire, des transformations lentes, qui ont amené cette
succession de styles, que l’archéologie a classifiés et dénom-
més à sa guise, mais qui souvent sont séparés les uns des
autres par de longues périodes de tâtonnements analogues
à la nôtre. C’est ainsi — sans vouloir, le moins du monde,
comparer notre siècle de civilisation outrée à ceux qui ont
vu s’achever la décadence romaine — qu’il a fallu 7 ou 800 ans
pour transformer, avec le goût, les formes de l’art du grand
empire, en ces architectures byzantine et romane, savants
précurseurs de l’art ogival qui lui-même n’arriva à cette belle
période du xme siècle, qu’après de nombreux essais malheu-
reux.
Mais cela nous écarte de notre sujet ; revenons aux bou-
levards du Centre de Bruxelles et commençons notre prome-
nade par le boulevard du Nord.
Outre lesmaisons primées n° 111, de feu l’architectePauwels
(i5eprime), celle n°g dont M. FélixLaureys est enmême temps
l’architecte et le propriétaire, et les magasins du Printemps
Universel de l’architecte Vanderhegghen (4e prime) que nous
citons pour rappel, nous y trouvons, au milieu de nombreuses
façades banales — dont les constructions Mosnier, 82 à 88,
5g à 75, etc., disposées à l’instar de Paris, ne sont pas les
moins insignifiantes — quelques maisons simples, sans pré-
tention, révélant, à cause de cette sobriété même, l’interven-
tion d’architectes sérieux ; telles sont les maisons en briques
rouges et pierre bleue, nos 48 et 56 dues à l’architecte Licot,
et sa voisine, n° 52, partie en pierre blanche, partie plâtrée,
dessinée par Emile Janlet.
Un peu plus loin, avant d’arriver à la place De Brouckère,
le passage du Nord étale brutalement ses formes grossière-
ment tourmentées et les saillies outrées de ses cordons et de
ses corniches, qui viennent masquer malencontreusement la
petite maison du Chat, cette perle de nos boulevards (ire prime),
élevée par la Banque de Belgique sur les plans de Henri
Beyaert. Le règlement communal des bâtisses devrait avoir
des articles protectionnistes contre les brutalités de pareille
architecture.
La place De Brouckère, à laquelle le... dos du Temple
des Augustins, que nous avons hâte de voir disparaître, prête
gracieusement le concours de tous ses charmes, est bordée
des maisons primées : de M. Verbockhaven, nos 39 à 41
(3e prime), architecte E. Janletj; de M. Schultes, nos 29
à 37 (i3e prime), architecte G. Bordiau ; celles n° n
(20e prime, architecte Hanicq), n° i5 (9e prime) architecte
Maquet), etc., etc.
Indépendamment de ces façades dont nous nous sommes
déjà occupés, nous y trouvons : à gauche (boulevard du
Nord), la Caisse d'épargne, dont on aurait dû nous épargner
l’insipide façade et surtout le porche monumentalement laid
aux colonnes disproportionnées à l’entablement massif qui
encombre le trottoir sans aucun profit pour 1 art ; à droite
(boulevard de la Senne), une rangée de maisons nos 8 à 20 dues
à l’architecte De Blois, offrant des réminiscences ogivales, rap-
pelant assez certaines maisons de Londres et d’autres villes de
l’Angleterre et de l’Ecosse ; malgré l’incohérence de leur style
et les nombreuses bizarreries que l’emploi d’éléments ogi-
vaux généralement rationnels, lorsqu’on les utilise judicieuse-
ment etsimplement, aurait dû faire éviter, ces façades dénotent
une imagination vive, trop vive même; elles ont des qualités
d’originalité et de pittoresque, que nous préférons, malgré
cette débauche de consoles fantaisistes, de colonnes de toutes
formes et de toutes dimensions, à l’ennuyeuse trivialité de
certaines façades peu éloignées, dont les motifs d’une bana-
lité énervante ont été si souvent rabâchés.
La façade principale de l’Hôtel Continental, de feu Eugène
Carpentier est, des œuvres de ce maître, celle que nous aimons
. le moins ; les formes massives du bâtiment principal, que la
petitesse des ouvertures supérieures, sa toiture écrasante
accentuent davantage, contrastent singulièrement avec la pau- |