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Orléanais, Berry, Touraine, Blésois
NOTES DE VOYAGE
(Suite. — Voir col. 145 et 161)
III
n Belgique, la Renaissance s’est introduite de
façon différente.
Notre pays était régi par un gouvernement
étranger ; depuis longtemps nos divisions terri-
toriales n’existaient plus que de nom — si ce n’est la princi-
pauté de Liége — et l’initiative d’un mouvement semblable
devait nous arriver par l’influence du gouvernement des
princes espagnols et tout particulièrement de Marguerite
d’Autriche, ou par les relations d’affaires de nos cités com-
merçantes avec les villes du Midi.
En effet, Schayes (32), et à sa suite Schoy, citent comme le
premier spécimen de l’art méridional dans les Flandres, l’hôtel
des Biscayens à Bruges, aujourd’hui détruit, qui avait été
élevé, dit-on, en 1495; mais M. Ch. Verschelde (33) a réfuté
cette opinion, qui ne semble nullement prouvée d’après ce que
nous pouvons en juger par les vignettes qui en restent. On
peut dire qu’il ne s’agit point là d’un art qui tâtonne en cher-
chant sa voie, mais de formules artistiques arrivées à une
certaine maturité. Cela semble prouver qu’il s’agit de l’œuvre
d’un artiste étranger.
M. Alph. Wauters croit que les premières applications du
style nouveau furent faites au palais de Nassau, à Bruxelles,
et dans des parties secondaires de l’église de Léau (34).
On a encore cité le bâtiment du Greffe, à Bruges, comme
le premier édifice bâti en Renaissance chez nous, pourtant il
date de 1535 à i537, d’après J. Weale (35), et le portail de la
chapelle du Saint-Sang, de la même ville, l’emporte, puis-
qu’il fut commencé en 1529, d’après M. Piot (36).
M. Piot cite d’ailleurs de nombreux monuments d’art
Renaissance antérieurs à cette date. Tels, par exemple, un
autel de la chapelle de Charles-le-Bon dans l’église de Saint-
Sauveur, à Bruges, placé en 1517 ; le tombeau de Guillaume
de Croy, à Héverlé, datant de 1521 ; la cheminée du Franc
de Bruges, exécutée en i529, et le portail d’Audenarde,
sculpté en i53i (37).
D’ailleurs, les arcs de triomphe élevés pour l’entrée de
Charles-Quint à Bruges et à Bruxelles, en i5i5, étaient déjà
empreints des caractères de l’art nouveau, puisqu’on en a dit
qu’ils étaient « de si vieille façon qu’était chose nouvelle et
« très joyeuse à voir! » (38)
De tout cela on peut conclure que le palais de Marguerite
d’Autriche, à Malines, l’emporte comme ancienneté (39),
puisque l’aile construite en Renaissance le fut de i5i7 à
153o (40), alors que Chambord ne date que de i526 et le
Louvre de François Ier de 1546 (41).
(32) Schayes, Histoire de l'Architecture en Belgique, vol. IV, p. 140.
(33) Annales de la Société dé Emulation de Bruges, vol. XXIII, p. 87
(34) Wauters, Etudes relatives à nos anciens Architectes. Bruxelles. 1885,
p. 53.
(35) W.-H. James Weale, Bruges et ses environs. Bruges, 1862, p. 25.
(36) Ch. Piot, le Bâtiment de l’Ancien Greffe à Bruges, Bulletin des Com-
missions royales, vol. XV, p. 155.
(37) Ch. Piot, Ouv. cit.
(38) Wauters (Alph.), Etudes relatives à nos anciens Architectes. Emula-
tion, 1885, col. 22, et Bruxelles, 1885, p. 55.
(39) Cela est vrai en admettant l'attribution à l’art gothique du char-
mant hôtel de Jérôme de Busleyden à Malines.
Bâti de 15o5 à 1509, on peut le considérer eomme appartenant à l’art
nouveau, malgré les vestiges d'art gothique qui s'y rencontrent. (Voyez
E. Neefs, l'Hôtel de Busleyden â Malines. Bulletin des Commissions royales,
vol. XIV, p. 174.
(40) Cons. L. Van Keymeulen, le Palais de Marguerite d'Autriche à
Malines. Revue Artistique. Anvers, vol. III, nos 3, 4, 5.
(41) Emulation, 885, p. 104.
1887
Cela a été remarqué dans le temps par M. Kempener (42)
au Conseil provincial d’Anvers, et ce fait est suffisamment
éloquent par lui-même pour se passer de commentaires.
Ceci dit, revenons à notre sujet, que nous n’aurions peut-
être pas dû quitter.
Le château français de la Renaissance, tel que nous avons
pu le voir sur les bords de la Loire, nous a rappelé une spi-
rituelle, mais très hardie boutade de notre confrère anglais,
M. Lawrence Harvey, qui écrit la langue de Corneille et de
Racine avec un humour britannique qui lui donne un cachet
spécial.
La voici :
« Quand on est chauve, il y a trois manières de se coiffer :
« 1° On peut se faire faire par un artiste émérite une per-
« ruque.....
« 20 Si la partie dénudée n’est pas trop grande, l’on peut
« ramener avec art les cheveux qui l’entourent......
« 3° On accepte courageusement la volonté du ciel et,
« loin d’en avoir honte, on exhibe avec orgueil l’arche sainte
« de la pensée, en se disant qu’il y a quelque chose de digne,
« d’estimable même à avoir perdu la crinière de.la jeunesse
« au service de l’humanité. »
Pour M. Lawrence Harvey, « ces trois manières de coiffer
« une calvitie contiennent les principes de trois architectures.
« La perruque, c’est la Renaissance italienne.....
« Celui qui ramène sa chevelure pour couvrir les vides,
« celui-là fait au fond de l’architecture française.
« Enfin, l’homme qui est assez fier pour ne pas se soucier
« de l’impression qu’il fait aux autres..., et qui brosse ses che-
« veux de manière à bien exhiber son crâner cet homme-là
« fait de l’architecture anglaise (43). »
Des trois hommes, l’homme à la perruque et l’homme qui
« ramène » nous semblent parfaitement ridicules, même s’ils
le font avec art ; le troisième seul agit d’une façon rationnelle.
Mais si c’est le propre des Anglais, c’était aussi celui des
anciens architectes français de la Renaissance, qui ne faisaient
qu’imiter en cela leurs glorieux aïeux du Moyen Age. Pour
eux, calvitie est calvitie et les nécessités qui imprimaient cer-
taines dispositions à leurs édifices leur semblaient parfaite-
ment respectables ; aussi, loin de les dissimuler derrière des
colonnades monumentales, les accusaient-ils à l’extérieur.
Les architectes français de la Renaissance ne partaient
pourtant pas de ce principe pour faire, comme les Anglais,
de leurs édifices une réunion de constructions diverses acco-
lées ensemble, ce qui faisait dire à Pope, dans une lettre bien
piquante qu’il adressait au duc de Buckingham à propos
d’une construction semblable, que « toutes ses parties en sont
« tellement détachées l’une de l’autre, et cependant si conti-
« guës, que dans une de ses rêveries poétiques il s’était
« imaginé que, du temps d’Amphion, c’était un village dont
« les cabanes, après avoir dansé quelque temps au son de sa
« lyre, restèrent immobiles d’étonnement aussitôt qu’elles
« se trouvèrent réunies (44) ».
Bien loin de tomber dans ce travers, les architectes fran-
çais de la Renaissance ont réussi à donner une remarquable
unité à leurs édifices, tout en respectant les exigences des
distributions et d’un art rationnel. Seulement, tout en accu-
sant les dispositions intérieures en façade, ils ont compris —
pour reprendre la comparaison de tantôt — que si l’homme à
la perruque et celui qui « ramène » sont ridicules, le troi-
sième risque le même sort en faisant trop voir sa calvitie.
Aussi d’heureux arrangements viennent-ils cacher les dispa-
rates et, sans rien enlever du pittoresque, donner à l’ensemble
de l’harmonie.
Nous devons avouer cependant qu’au point de vue de la
silhouette des édifices, de l’art de profiler sur le ciel des
masses harmonieuses, nous trouvons nos édifices du Nord
supérieurs.
Ils sont plus chaudement colorés, leurs arrêtes sont plus
hardies, plus franches et, disons-le, plus fières; bref, au point
de vue de l’ensemble, ils rachètent ce qui leur manque géné-
ralement : la sobriété dans les détails en place d’une surcharge
excessive d’ornementation, par une grâce toute particulière
dans le profil général.
Les édifices français de la Renaissance, tout au contraire,
s’ils pèchent parfois par une trop grande ampleur de lignes,
(42) Discours prononcé le 10 juillet 1879 au Conseil provincial
d’Anvers.
(43) Lawrence Harvey, la Construction moderne en Angleterre, dans la
Construction moderne, dirigée par M. P. Planat. Paris, 1885-86, p. 98.
(44) Journal belge d’Architecture, 1849, p. 40.
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