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Fig. VIII. — Château d’Amboise. - Vue de la chapelle Saint-Hubert.
Fig. IX. — Château d’Amboise. — Vue du corps de logis principal
et de la tour des Minimes.
Tout, en effet, y dénote une main française : l’ensemble
comme les détails (5o).
LA CHAPELLE SAINT-HUBERT. --- FlG. VII
et les tours qui contiennent — rare exemple — des rampes
praticables aux véhicules et aux chevaux, ont été tout parti-
culièrement baptisées «italiens ». Qu’y a-t-il dans la chapelle,
dont le gracieux campanile est dû à M. Ruprich Robert, dans
le beau portail, au tympan admirablement restituépar M. Geof-
froy Dechaume, l’éminent directeur du Musée du Trocadéro,
qui puisse légitimer cette attribution? — Fig. VIII. Et dans
les tours, dont les féodales allures ne rappellent que vague-
ment — on en conviendra — les palais de marbre de la
Péninsule (51) ?
LE CORPS DE LOGIS PRINCIPAL ----- FlG. IX
est également intéressant et probant à cet égard. On regrette,
en le voyant, les sottes démolitions que fit faire à Amboise,
Roger Ducos, à qui Napoléon le donna, et qui s’avisa d’en
faire abattre la majeure partie et mutiler le reste, parce que les
frais d'entretien étaient trop grands. Heureusement — nous par-
lons au point de vue historique — le fameux balcon de fer (52)
auquel, en 156o, après la conjuration d’Amboise, les cadavres
des chefs huguenots furent pendus, est toujours là. Voilà un
fait historique qui trouble la belle impression que cause cet
admirable site des bords de la Loire.
Mais arrêtons-nous et, après avoir remercié MM. Ruprich
Robert fils et Chouanard de leur obligeance et de leurs nom-
breuses explications, quittons le château d’Amboise, en signa-
lant tout particulièrement la sortie de la « Tour Heurtant »,
vers la rue Montrichard, comme un superbe et grandiose
morceau d’architecture.
Gageons qu’il se trouvera bien quelqu’un pour dire que cela
aussi est italien.
D’ailleurs, si nous avions été à Château-Meillant (53) ou à
Gaillon, la même fable nous aurait été dite de façon différente.
Là nous aurions trouvé le nom de Fra Giacondo (54), l’associé
de Michel-Ange et de San-Gallo à Saint-Pierre de Rome;
comme s’il y avait quelque chose de commun entre l’art de la
basilique romaine et celui des manoirs de René et de Georges
(50) Voir, à ce propos, le magistral ouvrage de M. Eugène Muntz, la
Renaissance en Italie et en France à l'époque de Charles VIII, p. 520. Paris,
Didot, 1885.
(51) On attribue la construction de ces tours à Jehan Regnard, maître
des œuvres de maçonnerie, de charpenterie du Roy en Touraine.
(Bauchal, ouv. cité, p. 499.)
(52) Ce balcon est dessiné dans la Revue gin. d'Arch. de C. Daly,
X« vol., p. 33.
(53) Voir Gailhabaud, Monuments anciens, vol. III, pl. et texte.
(54) Voir Bauchal, Dict. arch. franc., p. 312.
d’Amboise. Mais voilà, c’est la mode, et on aura beau dire que
les comptes de Gaillon (55) ne mentionnent pas Fra Giacondo,
cela ne fera rien. Pour beaucoup de critiques, Guillaume
Rolland Leroux, Pierre de Lorme, Pierre Valence, Antoine
Juste et Michel Colomb ne sont que les interprètes des idées
de Fra Giacondo (56).
Tout cela provient de cette innocente manie que l’on avait
en France, en vertu de cet adage que « nul n’est prophète en
son pays », de ne rien trouver bon que pour autant que cela
vînt d’Italie. On croyait que tous ces beaux monuments
étaient inspirés, ou mieux encore, copiés sur ceux de la
Péninsule. Ce qui a donné naissance à cette croyance, c’est
qu’au XVIe siècle, le suprême bon ton était d’avoir un Giacondo
ou un Primatice comme surintendant des travaux. Mais les
artistes indigènes n’en travaillaient pas moins librement sous
la tutelle de ces hauts dignitaires.
L’honneur était pour les étrangers, l’oubli pour les véritables
auteurs. C’est ainsi que l’on a attribué l’hôtel de ville de Paris
à Dominique de Cortone, dit le Boccador, alors que des
auteurs sérieux nient le fait (57). De même pour l’église Saint--
Eustache, dans la même ville, Blois et Amboise à Giacondo,
Chambord au Primatice, les premières constructions de Fon-
tainebleau sous François Ier à Serlio, le château de Madrid à
Lucca della Robbia (58), etc. Tous faits qui n’ont pas été
prouvés par des recherches plus sérieuses et plus attentives.
On ne doit pourtant pas en conclure que ces maîtres italiens
n’eurent qu’une faible influence. Tout au contraire; lorsque
la première Renaissance, pour le fond absolument française
celle-là, arriva à son déclin, l’Italie prit une place prépondé-
rante, et à l’école des Pierre Chambiges et des Pierre Gadier
vint s’implanter une autre (59) qui, pour ne pas être complète-
ment étrangère au sentiment français, n’en portait pas moins
profondément les marques de son origine. Les dernières con-
structions de Fontainebleau en sont la preuve. Là nous trou-
vons l’influence bien marquée de Vignole et de Serlio ; ce
ne sont plus les délicates fantaisies de Pierre Sohier, à Saint-
Pierre de Caen, mais le style robuste des Florentins. Certai-
nement il y a dans ces façades des parties qui ont véritable-
ment de la grandeur, d’autres dont les détails sont d’un excel-
lent style ; mais comme tout cela s’éloigne des idées ration-
nelles des vieux architectes français !
(55) Voir Deville, Comptes de Gaillon, i85i.
(56) L. Chateau, Ilist. arch. en France, p. 408.
(57) Pierre Guillain et Pierre Chambiges en sont, paraît-il, les véri-
tables auteurs, d’après MM. Léon Palustre et Marius Vachon. (Voir
Bauchal, Dict. arch., p. 137, qui soutient une opinion adverse.)
(58) Il est prouvé que Pierre Gadier et Gatien François en sont les
architectes. (Voir Berty, laRcn. en France, vol. II.)
(59) Cette école, éclose sous la protection de Catherine de Médicis et
de Henri II, fut surtout iufluencée par le talent et le savoir de Philibert
de l’Orme, de Pierre Lescot et d'Androuet du Cerceau.
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L’ÉMULATION.
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