Full text |
on mur
192 LA BELGIQUE.
port; tout le grand tapage du jour Ssanéantissait dans un souffle doux, égal, une sorte de
? © L
respiration apaisée et lointaine, rompue seulement par le craquement des vergues.
La cathédrale. — Anvers vu du haut de la tour. — La « Descente de croix » et « l'Élévation en croix ». — Le puits
de Quinten Massys et sa légende. — Les curiosités de la rue. — Teun Koekeloer et la petite laitière.
Comme ses sœurs de Cologne et de Strasbourg, la cathédrale d'Anvers, ce chef-d'œuvre
de la pierre évidée et sculptée, se complique, à son origine, de merveilleux. L'endroit étant
marécageux, les fondations toujours s'écroulaient ; à peine les murs s'étaient élevés de quel-
ques mètres au-dessus du sol, que des éboulements les entraïnaient. Un des compagnons
de l'architecte alors inféra d'un grimoire cette prédiction : les murs de Notre-Dame ne
pourraient tenir que sils étaient bâtis sur des peaux de bœuf. Mais, possesseur du précieux
secret, ainsi va la sottise humaine, il ne sut point taire sa découverte à sa femme et à
ses enfants. L'un de ceux-ci conta au maitre lui-même la cabalistique découverte. L'artiste
tenta l'expérience, et cette fois la pierre s'éleva comme par enchantement. Le mauvais
compagnon, frustré dans ses ambitions, tua l'enfant qui l'avait trahi. Ensuite, bourrelé de
remords, il quitta la ville, et l'on n'entendit plus parler de lui jusqu'au jour où, au pied
de l'édifice presque achevé, un cadavre effroyablement fracassé, dont les lambeaux s’envelop-
paient d'une robe de pèlerin, fut aperçu par des gens matineux. Nul doute : c'était l'as-
sassin qui, résolu d'en finir avec la vie, s'était laissé tomber du haut de l'église, expiant
ainsi sa scélératesse. Aujourd'hui encore, on montre, au bas de la tour, une dalle bleue
incrustée d'une quantité d'éclats de cuivre. Ces incrustations figurent les parcelles du corps
du maçon criminel, et la tradition veut quil soit impossible de les compter.
En réalité, on ignore le nom du véritable auteur du plan, et l’on ne sait pas davan-
tage en quelle année commencèrent les travaux ; toutefois les livres attribuent à Pierre
Appelmans la gloire de la conception générale ; il mourut en 1454, sans avoir joui du
spectacle de son œuvre achevée. Les architectes Herman de Waghemaekere et Rombout
Keldermans reprirent alors les travaux, en substituant à la pensée du créateur leurs initiatives
personnelles. On aurait ainsi, de la base de la tour jusqu'à la hauteur de la galerie du
cadran, la réalisation des plans d'Appelmans ; au delà de l'horloge, la fantaisie des suc-
cesseurs du maître s'attesterait dans les ares surbaissés et surchargés du gothique flamboyant ;
et, les styles se modifiant à mesure que s'exhaussait l'immense vaisseau, d'autres éléments
se seraient par la suite mélés à ceux-là, tourmentant la pierre de proche en proche et
lui faisant porter des floraisons hybrides. Enfin, les élégances entortillées du gothique
décadent, substitué lui-même à la sévérité de l'art ogival, auraient fait place à leur tour
à une architecture encombrante et aventureuse ; et la flèche d'Appelmans aurait fini par se
coiffer d’un pinacle travaillé au goût de la Renaissance.
Telle qu'elle est, la cathédrale demeure une des fleurs de l'art chrétien. Elle domine la
ville, comme le symbole mystique de la fortune anversoise, et l'histoire établit la communion
étroite qui existait entre le géant de pierre et la cité. De là haut partaient les appels
aux armes, la vie populaire sonnait dans le clairon de ses cloches ; sa merveilleuse tour,
ajourée comme un ostensoir, prenait, sous les branles encolérés ou joyeux, des airs de
beftroi. C'était, en effet, le beffroi anversois; la maison de Dieu devenait, aux heures
TE |