Full text |
PROVINCE D'ANVERS. 190!
recherche des effets contrastants et forts. Les étrangers qui croient admirer à la cathédrale les
maitresses œuvres du prodigieux artiste, celles dans lesquelles il se serait surpassé, n'admirent
que des pages où s'est dépensé son génie habituel ; tout au plus trouverait -on dans la
« Descente » des élégances plus serrées et un dessin moins tourmenté. Comme la plupart
des grandes toiles du maitre, celles-ci ouvrent à l'esprit des échappées sur un monde
énergique et rude, sur des visions d'humanité réelle, induite seulement en un grandissement
d'idéal, sur les grosses sensualités d'un paradis flamand; elles égalent ses autres chefs-d'œuvre
et ne les dépassent pas. Un intérêt considérable s'attache, il est vrai, à l'une d'elles
l_« Érection » se rapporte au temps où Rubens, revenu d'Italie, cherchait à combiner
l'exemple de Rome et de Florence avec son
propre instinct de l'art ; mais la nature, déjà
plus forte que l'imitation, fait percer le goût
de la belle chair débordante à travers les
symétries réglées de l'arrangement italien.
Il est regrettable que les deux tableaux ne
soient point traités par la fabrique d'église,
qui en tire pourtant des profits considérables,
avec le respect dû aux grandes productions
du génie humain. Constamment on les recou-
vre d’un rideau de serge verte sous lequel
l'humidité poursuit ses lents et sûrs ravages.
Parfois. il est vrai, l'édilité s'émeut ; on engage
des négociations avec la fabrique; mais la
ténacité des fabriciens finit par décourager
le zèle le mieux intentionné.
Si Rubens trône à la cathédrale dans
l'immortelle vie de l'art, Quinten Massys y
règne à travers la mort. Une pierre tumulaire
scellée à l'intérieur du mur, au bas de la tour,
perpétue son souvenir glorieux. Et, comme
pour unir ensemble les belles heures de la
jeunesse et l'heure funèbre du trépas, un puits
martelé de la main du peintre forgeron s'atteste
non loin du lieu de sa sépulture, sur la place LE PUITS DE QUINTEN MASSYS.
du Marché aux Gants, au pied même de
Notre-Dame. De haut en bas évidée au marteau, en d'infinis entrelacs de feuillages et de
fleurs, la cage s’épanouit comme un bouquet de métal, avec une légèreté incomparable,
un étonnant découpage de folioles et de vrilles ; et les branches montent, se tortillent,
s'infléchissent dans un ploiement gracieux de cep jusqu'au sommet où, par-dessus leur
jonction finale, se dresse la statuette du légendaire Salvius Brabo prêt à lancer la main du
géant Antigon.
Une légende d'amour se rattache à ce délicieux travail de ferronnerie. Quinten, étant
encore orfèvre, s'éprit de la fille d'un riche bourgeois, amateur d'objets d'art. Celui-ci
s'opposait à leur union. « Passe encore pour un artiste ! disait cet homme; mais donner
mon héritière à un forgeron, le dernier des artisans ! » Piqué dans son amour - propre de
batteur de fer, comme aussi aiguillonné par les beaux yeux de sa mie, Quinten offrit au |