Full text |
PROVINCE D’ANVERS. 205
délibérée, ils s'exprimaient en vers de haute graisse, avec la verve mordante et grivoise
d' « Uylenspiegel » lui-même : on en peut juger par les anagrammes et les quatrains du
digne couple, recueillis par un érudit curieux. Ces improvisations, concises et primesau-
tières, dont le trait cingle comme une lanière, mettent
par moments à jour l’histoire intime et populaire de la
remuante cité.
J'ai relevé déjà plus haut le côté railleur et satirique de
l'esprit anversois, perpétué de nos jours dans des pamphlets
et des chansons locales, d’une ironie fustigeante qui ne
respecte rien. Elle éclatait surtout autrefois contre les ordres
religieux. En pleine église Saint-Jacques, sous un portrait
de philanthrope du dix-septième siècle peint par Van Dyck,
on lit une épitaphe élogieuse, dont les deux derniers vers
sont ainsi Conçus
Men wint den Hemel met gewelt
Of is te Roop met Kracht van Geldt.
Traduction : « On gagne le ciel par la force ou par la
puissance de l'argent.»
Toutefois, en dépit
LA CHAPELLE SAINTE-ANNE.
de son naturel frondeur,
l’Anversois, qui, le rire aux dents, bravait les géhennes du
Steen et l'attirail du Petit Cousin (Cosinke), lisez le bour-
reau, demeura constant en sa faveur religieuse. Mais peut-être
est-ce à de secrètes et invariables délectations, à l'attrait
permanent de l’art pour les cerveaux flamands qu'il faut
attribuer la multiplicité et la richesse des églises surgies
du sol anversois. Les lieux de dévotion, décorés comme des
théâtres, abondent; il n'est pas de vieille rue qui n'ait ses
chapelles, ses statues de saints, ses porches s'ouvrant sur
un fond lumineux de tabernacles ; et la fète des yeux
s'augmente, les jours de procession, de l'éblouissement des
bannières, des étoles, des ostensoirs, des reliquaires,
promenés en cortège pompeux par les places.
Tout ce que les sacristies recèlent d'orfèvreries, de
gemmes et d’étoffes précieuses se répand alors sur la voie
publique, comme un fleuve d'or, de pourpre et d'azur;
l'air est embrasé par l'étincellement des habits sacerdotaux ;
les images pieuses brodées dans le velours et la soie
semblent tissées avec des rayons de soleil, et les crosses,
L'ÉGLISE SAINT-JACQUES.
les mitres, les ciboires, les cassolettes, allumés d’un feu à
chacune de leurs facettes, flambent, sous la volée de l’encens, ainsi qu'un rutilant décor de
vitrail gothique. Nulle part la magnificence du culte n'apparait avec un plus étonnant éclat.
Et l'on se reporte au temps où les ghildes, les corporations, les métiers ne trouvaient pas de
meilleur emploi de leurs deniers que la commande de chefs-d'œuvre d'art qui allaient grossir
le trésor des églises. Non contents de se construire des hôtels somptueux sur la Grand’Place,
ils érigeaient à leurs frais de fastueux oratoires chargés de marbres, de ciselures et de tableaux. |