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PROVINCE D'ANVERS. 207
VU
Particulièrement le soir, ces'intérieurs de sanctuaires revêtent une poésie singulière.
C'est quand on à assisté à l’une ou l'autre des grandes cérémonies du rituel catholique, aux
offices de la Semaine sainte ou de l'octave des Ames, par exemple, dans telle de ces églises
meublées comme des palais, qu'on se rend compte de l'influence incomparable d'un culte
ainsi solennisé. La nef est à peine éclairée, les autels latéraux demeurent plongés dans une
obseurité que pique un trèfle vacillant çà et là. Au pied des colonnes démesurées enfonçant
leurs chapiteaux dans le noir des voûtes, comme dans l'infini, des cierges de cire sont fixés
sur des ifs en fer, et leurs langues jaunâtres dardent du fond de la nuit, élargissant dans
les prénombres des ondes lumineuses qui petit à petit se perdent sous les arceaux. Par les
verrières, l'ombre du dehors pénètre presque en clarté, tant les ténèbres sont épaisses. Seul
le maitre autel où officie le chapitre, resplendit de hautes clartés sur lesquelles se détachent
des christs d'ivoire, aux chairs presque humaines, et des tableaux fleuris comme des jardins.
Tous ensemble, les fidèles se tournent de ce côté, inclinant ou relevant, aux paroles de
l'officiant, leurs faces päles comme autant de lis mystiques frôlés par un sonfile du ciel.
Pendant ce temps, l'orgue soupire et gronde dans les profondeurs du temple. Du jubé, les
voix des chantres descendent, caressantes ou irritées, avec d'ineffables murmures ou de
retentissants éclats. Et par moments le prêtre psalmodie les paroles latines auxquelles les
diacres répondent avec un nasillement concerté; puis le rigide chant grégorien résonne
seul dans le vaisseau, imposant silence aux mugissements de l'orgue; et d'autres fois des
chants hiératiques, des mélopées lentes et douloureuses, comme un chœur de trépassés,
trainent sous les piliers, énervant l'âme par la pensée constante de la fin de tout.
J'ai gardé, pour ma part, l'impression d’un office du jeudi saint réglé sur le rite effrayant
de la Sixtine par le maître de chapelle de Notre-Dame en ce temps, ce puissant, fougueux
et rude Peter Benoit, âme merveilleusement filiale, en qui s’incarna la musique flamande.
Bien que de nombreuses années se soient écoulées depuis, je n'ai pu oublier l'obsédante
monotonie des répons succédant au chant désespéré des violons et des bases, avec un
bourdonnement sourd, qu'on eût dit parti de dessous terre; c'était comme une lamentation qui
revenait chaque fois, une elameur vomie par les catacombes, un « De profundis » jeté
sur toutes les joies d’ici-bas par des voix sombres, voilées et rapides. Souvent des tentures
de deuil recouvraient les autels, retombant à grands plis étoilés de larmes d'argent; de la
splendeur des tableaux, des marbres et des ors, plus rien ne s'apercevait; l'église avait été
transformée en sépulcre.
Deux jours après, le temple, débarrassé de ses parures obituaires, braséait dans les
illuminations du jour de Pâques et, de la voûte à la base ébranlé par des polyphonies
triomphales, résonnait comme une forêt dans laquelle passe l'ouragan.
VIII
Le goût des arts. — Le musée de peinture. — Rubens et les peintres de l’école.
Le goût de la couleur, signalé déjà dans ce livre comme un des côtés essentiels du
caractère flamand, s’exalte jusqu'au fanatisme dans la population anversoise. fl n'est pas de
riche bourgeois, pas de gros négociant qui, dans son hôtel meublé de bahuts sculptés
et de dressoirs chargés d’argenteries, ne réserve une large place au morceau de peinture.
Même le petit commerçant, celui qui vend en détail et vit derrière un comptoir, dans un |