Full text |
ee
a14 LA BELGIQUE.
Regardez au musée d'Anvers la « Vierge au perroquet », tout imprégnée de tendresses
familiales ; l'harmonie en est caressante, tendre, vivante, heureuse. C'est le tableau des
ivresses maternelles : l'art n’a pas mieux fait sentir la joie simple, tranquille, souriante
d'une mère, selon la nature. L’adorable Vierge ouvre sur la lumière du fond la couleur
d'abeille de ses yeux pleins de songerie, et, assise dans l’écroulement de ses satins reluisants,
semble écouter la palpitation de sa vie prolongée à travers celle de l'enfant.
Rien ne peut dire non plus la chasteté introublée de la jeune fille dans l « Éducation
de la Vierge », ni la douceur et la simplicité émanées dans ses chaudes prunelles errantes.
La grâce des Flandres n'a point respiré sous une forme plus belle ; le moule est ingénu
comme l'âme qu'il modèle; et la vieille Anne, les perspectives bleuissantes du ciel, l'atmos-
phère envermeillée, tout rayonne autour de la placide et claire enfant, dans un grand
frisson qui de la toile se communique au spectateur.
Telle est la magie, dans l'œuvre de Rubens, que les agonies, les deuils, les catas-
trophes gardent, sous l’enchantement de ses tons comme sous une jonchée de fleurs,
l'éblouissement égal de la vie à son apogée. La « Sainte Thérèse délivrant du purgatoire
Bernardin de Mendoza », fondateur du couvent des Thérésiennes à Valladolid, s'entoure de
langues de feu, dardées dans des fluides transparents, d'un éclat incomparable ; et les
flammes sont pareilles à la rougeur du jour qui monte dans le brouillard fumant d'une
aube de mai.
Dans l « Adoration des Mages », dans le « Christ entre les deux larrons », le charme
se continue ; ce sont des éclats voilés de soleil, des étincellements sourds d'astres, on ne
sait quelle poésie de grands lacs tranquilles, enflammés par le couchant, et, par là-dessus,
des musiques, des vols d’archanges, des parsèmements de fleurs, de scintillantes égouttées
de rosée, des sourires qui ont la forme d'une âme délivrée. Puis, brusquement, la brutalité du
Flamand perce, vous secoue dans les mollesses de rêve où vous glissiez, campe en pleine
apothéose un Christ portefaix, à taille athlétique nouée de musculatures saillantes et sembla-
bles à des câbles, comme dans la « Trinité » et le « Christ à la paille »; mais un rais
de soleil, un ruissellement de ciel bleu, une ondée perlée de lumière ont passé, radieux,
sur le détail choquant, et l'esprit, reconquis après une déroute passagère, de nouveau flotte
dans la joie et la volupté.
Si haut que soit au musée l'éclat de Rubens, il serait puéril néanmoins de méconnaitre
la valeur des peintres qui l'y entourent. N'y a-t-il pas là Van Dyck, Jordaens, de Crayer,
Snyders, Teniers, Fyt, tout un étoilement de constellations ? Et ne sy trouve-t-il pas aussi,
parmi les maîtres de la première heure, Van Eyck, Van der Weyden, Memling, Massys,
et, pour rattacher la filiation, les Mabuse, les Coxcyen, les Gossaert, les Van Orley, les
Mostaert, les Bosch, les Patenier ?
Le long des murs se succèdent ces chefs-d'œuvre : le « Christ en croix », la « Dépo-
sition de croix », la « Mise au tombeau », d'Antoine Van Dyck, le peintre des élégances
piles et des lumières lunaires, qui, dans une perpétuelle approche du maitre, sut garder
sa gentilhommerie raffinée, ses airs de têtes mélancoliques et patriciens, ses grâces longues
et affinées d'amoureux des belles dames anglaises ; la « Cène », le « Christ au tombeau »,
l'« Adoration des bergers », les « Allégories » de Jacques Jordaens, l'un des plus mer-
veilleux, sinon le plus accompli, parmi les grands ouvriers de la palette ; les natures
animalières et les peintures mortes de Snyders, le poète des gourmandises de la table ;
le « Repas de l'aigle » et les « Deux lévriers » de Jean Fyt, un artiste de haute taille,
celui-là aussi, et qui anticipe sur le temps par ses sveltesses nerveuses et ses fines anatomies.
RER
|
E
el |