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216 LA BELGIQUE.
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laisser dehors les frivolités de l'esprit; elles n'auraient rien à faire dans cette ruche de
l'intelligence, demeurée bourdonnante à travers le temps ; comme en un salon empli de
vieux portraits, tout y parle austèrement de la vie accomplie.
La vieille imprimerie de Christophe Plantin, avec son logis et ses dépendances, sa
grande cour bordée de murs élevés, son labyrinthe de salles, de chambres et d'ateliers
s'enfonçant à la file dans les profondeurs des maçonneries et reliés ensemble par des
couloirs, des passages, des escaliers, forme un ensemble de bâtiments du caractère le plus
attrayant, où se retrouve, sous les changements qu'y apportèrent par la suite ses gendres
et successeurs, les Moretus, la disposition primitive de la vénérable maison édifiée par le
chef de la maison.
« Den gulden Passer » (le Compas d'or) perpétue dans les agitations du quartier, au
milieu de la ville moderne, le souvenir d'un grand organisme, merveilleusement outillé
pour répandre au loin le Verbe et concentrer les calmes méditations du penseur : il est
tout à la fois une bibliothèque, un cabinet d'étude, un laboratoire. Tandis que, dans les
petites chambres du rez-de-chaussée, les lexicologues et les philosophes du temps, penchés
sur leurs pupitres, rayaient de larges écritures les rames de papier jaune, l'idée se moulait,
à un pas d'eux, dans sa carapace de plomb, comme dans une armure d'airain forgé ; les
petits ouvriers poudreux, maculés d'encre, qu'on devine se mouvant dans la pénombre,
étaient les collaborateurs des graves historiens et des délicats humanistes ; et ceux-ci, en
vue d’un travail à demeure, que la belle organisation intérieure facilitait, étaient entourés
de collections, de livres et d'estampes, n'avaient qu'à étendre la main vers les placards
et les rayons pour y trouver la substance de leurs recherches.
Cédé à la ville d'Anvers par un descendant de la famille Moretus, l'hôtel Plantin a
gardé son mobilier du quinzième siècle, son matériel d'imprimerie, ses vitrines garnies
d'éditions précieuses et de gravures rarissimes, ses bahuts encombrés des archives de la
maison, ses lambris recouverts des peintures du temps, paysages et poñtraits, et, à part
les restaurations jugées nécessaires, l'aspect qu'il avait alors qu'il fonctionnait dans sa pleine
activité. Il nous souvient d'avoir visité, Jusqu'en ses moindres recoins, antérieurement à la
cession, l'immense officine, aujourd'hui placée sous la surveillance d'un conservateur: quelque
chose du désordre des chambres mortuaires régnait parmi les salles ; les tiroirs regorgaient
de papiers entassés, dans lesquels la lumière n'avait pas été faite: et, par places, sur
les murs, le délabrement commençait son œuvre. On doit done se féliciter qu'en abandon-
nant à sa ville natale le patrimoine de ses ancêtres, un patricien intelligent l'ait assuré
contre le sort qui attend généralement les palais historiques et les curiosités qu'ils renfer-
ment. Les mains pieuses qui jusqu'à nos Jours ont su préserver le vieil édifice et ses salles
triséculaires des déprédations, des bouleversements et des morcellements sacrilèges, n'ont
fait que se reposer de ce soin sur une protection plus stable.
Tel qu'il se voit à présent, le musée Plantin ménage un sujet d'études et de contem-
plations unique au monde. En franchissant la grande porte décorée à l'extérieur du compas
armorial, le visiteur se reporte à trois cents ans en arrière; et la force de cette impression
rétrospective augmente à chaque pas qu'il fait dans la maison. C'est d'abord la partie moderne
de l'habitation, une enfilade de pièces hautes, auxquelles on a rendu les fenêtres à meneaux de
plomb, encadrant des vitres cul-de-bouteille, l'alignement des chaises sculptées le long des
murs, les pénombres brumeuses des plafonds saillants en travées, toute une disposition
fastueuse et symétrique de cheminées monumentales, de tentures gaufrées d’or, de meubles
façonnés dans le style du temps. De distance en distance se remarquent des sujets de
peinture variés, alternés de portraits : dans le premier salon, dix portraits par Rubens, dont |